Maroc : les « hommes libres » relèvent la tête

Photo: vie de village à la Vallée des Roses © Isolda Agazzi

Aujourd’hui 13 janvier, les Berbères fêtent le Nouvel An. La vie de ceux de l’Atlas s’améliore lentement : reconnaissance de leur langue dans la nouvelle constitution marocaine, construction de routes et électrification des villages. La Suisse soutient ce processus par un projet de tourisme durable. Celui-ci s’inscrit dans la nouvelle volonté politique du Maroc de décentraliser et valoriser la diversité de sa culture

L’ascension du M’Goun, qui culmine à 4’071 m, commence à 5h. On part du refuge Tarkddite après un bref sommeil interrompu par le hurlement des chacals. Très vite, on éteint les lampes frontales pour laisser la lune et les étoiles guider nos pas dans la nuit majestueuse qui touche à sa fin. Après avoir gravi 1’000 mètres et parcouru une longue crête battue par les vents, on arrive enfin au sommet de cette imposante montagne de l’Atlas marocain (la deuxième la plus élevée d’Afrique du Nord, après le Toubkal), déjà coiffée par la neige en cette mi-octobre.

Lessive à la Vallée des Roses © Isolda Agazzi

 Les Berbères, « hommes libres » enracinés dans la terre, la tête tournée vers le ciel

En redescendant, les derniers randonneurs de la saison croisent les derniers bergers qui amènent les moutons dans la vallée – ou effectuent une semi-transhumance vers le sud – après avoir passé l’été dans les bergeries d’altitude, dans le dénuement le plus total. Un vent froid balaie les cimes. Quelques montagnards furtifs referment prestement les portes des maisons. Sur les murs, des symboles nous rappellent qu’on est sur la terre des Berbères, « les hommes libres » : enracinés dans le sol, la tête tournée vers le ciel. D’autres habitants, emmitouflés dans d’épaisses djellabas à la capuche rabattue sur la tête, arpentent à dos de mulet des sentiers où le rouge de l’argile alterne à des striures de vert et à d’étonnantes sculptures rocheuses façonnées par l’érosion. On suit Hussein, le doyen des muletiers, « un GPS vivant qui connaît le Haut Atlas mieux que vos appareils !», qui nous propose de monter sur sa mule avec quelques mots d’encouragement en tamazight, la langue parlée par les habitants de la région.

La route et l’électricité sont arrivées au village

En longeant la rivière qui prend sa source au pied du M’Goun, on arrive aux ruines d’une maison fortifiée en argile gardant jalousement l’entrée de la vallée. Et là, la vie reprend ses droits : les villages se succèdent, avec les typiques maisons rouges aux toits plats et les cours intérieures où sèche le maïs et s’entassent les moutons. Dans les champs, les hommes sont affairés à cueillir les pommes et les femmes courbées à cultiver pommes de terre et carottes. A la rivière, elles lavent le linge et l’orge pour le couscous du soir. De l’école nous parvient la litanie des enfants reprenant en chœur les paroles du maître. Sur le chemin, ils nous demandent des stylos, des bonbons ou quelques dirhams (la monnaie locale) en arabe, langue qu’ils apprennent à l’école car à la maison ils parlent berbère.

La vie est simple, mais paisible dans cette vallée d’Ouzighimt. « Il y a quelques années, les habitants ont manifesté pour revendiquer leurs droits. Et ils ont eu gain de cause : ils ont obtenu l’électricité et une route goudronnée, nous déclare fièrement Hassan Radi, qui a été élu à trois reprises vice-président de l’association de son village. La situation des Berbères s’est beaucoup améliorée ces dernières années. Maintenant dans chaque village il y a des associations très efficaces qui gèrent les canalisation, l’installation d’eau potable et de panneaux solaires. Et le berbère est reconnu comme langue officielle dans la nouvelle constitution marocaine de 2011. »

Et quand la route cède par suite du débordement de la rivière, c’est toute la solidarité villageoise qui se mobilise pour installer des planches de fortune sous les roues des véhicules car « les habitants arrivent toujours avant l’Etat !», nous assure-t-on.

Entrée d’un village berbère © Isolda Agazzi

Les Berbères du désert bloqués par la fermeture des frontières

Si tout le monde salue la construction de la route, les vieilles habitudes ont la vie dure. Pour passer de la vallée d’Ouzighimt à celle d’Aît Mraou, les gorges d’Achabou restent la voie de communication la plus rapide. Il faut cinq bonnes heures pour les parcourir à pied, dans une eau qui ne dépasse pas les dix degrés ; un peu moins à dos de mulet. Des parois d’argile à la majesté de cathédrales semblent étreindre un canyon qui devient de plus en plus étroit, dans une symphonie de rose et de rouge, le murmure de la rivière en bruit de fond et, à l’approche des villages, l’appel à la prière du muezzin emportée par le vent.

En continuant à longer la rivière M’Goun, on arrive à la Vallée des Roses et à ses kasbahs, d’anciennes maisons fortifiées sur plusieurs étages avec une cour intérieure, qui appartenaient à des gens riches et puissants. Beaucoup de ceux-ci sont devenus des « yeux de l’Etat » (moqaddem), une péculiarité marocaine, à savoir des fonctionnaires chargés de la sécurité et du contrôle des citoyens et à qui les habitants s’adressent en premier en cas de problème.

Au Ksar (ensemble de kasbahs) de Ait Ben Haddou, on tombe sur Rachid Chalala, un Tamashek (Berbère du désert) en train de vendre des souvenirs aux touristes. « Dans les années 1970 – 1980, je traversais le Sahara avec les caravanes pour amener du sel au Mali et au Niger et ramener des céréales. Mais maintenant les frontières sont fermées », regrette-t-il. Tombouctou, 52 jours, indique pourtant un panneau mythique à Zagora, ville du sud et porte d’entrée du désert. C’était une autre époque : aujourd’hui les « hommes libres » du sud marocain sont prisonniers des aléas de la géopolitique.


 

Dans les gorges d’Achabou © Isolda Agazzi

La Coopération suisse soutient le tourisme durable dans le Géoparc M’Goun

Du 14 au 17 octobre s’est déroulé, dans la vallée contigüe de Ait Bouguemez, le marathon de l’Atlas. Il était co-sponsorisé par le SECO (le Secrétariat d’Etat à l’économie de la Suisse) dans le cadre du projet de tourisme durable Suisse-Maroc, mis en œuvre par la fondation suisse Swisscontact. « C’était la première édition, elle a attiré une centaine de coureurs et 200 visiteurs. A l’avenir, on voudrait en faire un événement plus important pour promouvoir le tourisme durable Suisse – Maroc », nous indique Didier Krumm, le responsable de Swisscontact au Maroc et du projet mandaté par le SECO. Ce projet promeut le tourisme durable dans la région de Béni Mellal-Khenifra y compris dans le Géoparc M’Goun, à commencer par la rénovation des gîtes.

Ces activités s’inscrivent dans la meilleure reconnaissance, dans la constitution et la politique marocaine, de la berbérité du royaume. Celui-ci, affirme l’expert, a fait beaucoup d’efforts pour développer les zones rurales, qui sont désormais couvertes à 98% par les routes et les infrastructures. « L’année dernière ils ont lancé les Assises nationales du développement humain, avec le souci de mieux reconnaître la diversité de la culture marocaine, en incluant les Berbères et les Juifs marocains, continue-t ’il. Il y a aussi un gros effort de régionalisation et décentralisation des services de l’Etat : les conseils régionaux et la société civile montent en puissance pour développer le territoire, l’économie et les infrastructures et un fonds spécifique a été créé pour financer les petites associations. Nous-mêmes travaillons avec le conseil régional chargé de développer le tourisme et accompagnons la décentralisation en renforçant les capacités au niveau local J’aime beaucoup la mentalité des Berbères, ils sont très accueillants, collaboratifs et motivés à faire bouger les choses. !»

Les Berbères sont les habitants autochtones d’Afrique du Nord. C’est au Maroc qu’ils sont le plus nombreux : ils représentent quelque 60% de la population et 27% – 40% des 35 millions de Marocains sont berbérophones.


Ce reportage a été publié dans l’Echo Magazine

La Suisse doit résilier la Charte de l’énergie

De plus en plus de pays se retirent du Traité sur la Charte de l’Energie, qui protège les investissements dans les énergies, mêmes fossiles, et retarde la transition énergétique. La Suisse n’a aucune intention de résilier le traité, mais pour Alliance Sud elle devrait le faire

 En 2019, le Nord Stream 2 a porté plainte contre l’Union européenne (UE), lui reprochant sa décision d’amender une nouvelle directive sur le gaz afin d’imposer les mêmes standards aux pipelines opérant à l’intérieur de son territoire qu’à ceux qui y entrent. L’entreprise affirme que ces dispositions violent, entre autres, les clauses du traitement juste et équitable, de la nation la plus favorisée et de l’expropriation indirecte contenues dans le Traité sur la Charte de l’Energie (TCE). En vigueur depuis 1998, celui-ci protège les investissements étrangers dans l’énergie, dont les énergies fossiles. Il compte 53 Etats parties, pour la plupart des pays industrialisés, dont la Suisse et l’UE, mais pas seulement : l’Afghanistan, le Yémen, la Mongolie et les pays d’Asie centrale y ont adhéré aussi.

Or Nord Stream 2, censé transporter du gaz naturel de la Russie à l’Allemagne, était – elle a fait faillite au début de l’année – une entreprise suisse : bien qu’appartenant à la compagnie d’Etat russe Gazprom, son siège était à Zoug. Ce pipeline controversé n’est cependant jamais entré en fonction car l’Allemagne a bloqué le projet le 22 février, suite à l’invasion russe de l’Ukraine.

Six plaintes d’investisseurs suisses sur la base de la Charte de l’Energie

Sur les 43 plaintes connues d’investisseurs suisses devant des tribunaux arbitraux, six reposent sur la Charte de l’Energie : trois contre l’Espagne (deux sont encore en cours et une a été remportée par l’investisseur, Operafund) ; une contre la Roumanie (par Alpiq, qui a perdu) ; et une contre la Pologne (perdue par l’investisseur suisse, Festorino).

L’Espagne doit faire face à un record de cinquante plaintes au bas mot, la plupart du temps pour avoir coupé les subventions aux énergies renouvelables. Selon les calculs du Transnational Institute, les dédommagements réclamés par les investisseurs étrangers dépasseraient les 7 milliards d’euros au moins. Dès lors, ce n’est pas étonnant que Madrid ait décidé de résilier le traité, tout comme la France, la Pologne, les Pays-Bas et l’Allemagne. La Belgique et d’autres pays européens sont en train d’y réfléchir. « Je regarde avec inquiétude revenir les hydrocarbures et les énergies fossiles les plus polluantes, a déclaré Emmanuel Macron, cité par « Le Monde ». La guerre sur le sol européen ne doit pas nous faire oublier nos exigences climatiques et notre impératif de réduction des émissions de CO2. Le fait de nous retirer de ce traité est un élément de cette stratégie. »

Selon les derniers chiffres publiés par le secrétariat de la Charte, 142 plaintes ont été déposées, mais elles pourraient être beaucoup plus nombreuses car les Etats n’ont pas l’obligation de les notifier. C’est de loin le traité qui a donné lieu au plus grand nombre de plaintes.  L’Allemagne elle-même a été attaquée à deux reprises pour sa décision de sortir du nucléaire : dans le cas Vattenfall vs Germany I, le montant de la compensation versée par Berlin à l’entreprise suédoise n’est pas connu ; dans Vattenfall vs. Germany II, la compagnie suédoise a obtenu 1’721 milliards USD de dédommagement.

La Suisse, jamais attaquée, n’a pas l’intention de sortir

La Suisse, quant à elle, n’a jamais fait l’objet d’aucune plainte sur la base du TCE – elle a fait l’objet d’une seule plainte en tout et pour tout, de la part d’un investisseur des Seychelles, encore en cours.

Dès lors, va-t-elle quitter le traité ? « Non », nous répond Jean-Christophe Füeg, chef des affaires internationales à l’Office fédéral de l’énergie, s’empressant d’ajouter que « les critiques de ce traité ignorent que celui-ci s’applique uniquement aux investissements étrangers. En d’autres termes, les investissements domestiques ou provenant de pays non-parties (Etats-Unis, Norvège, Chine, pays du Golfe, Australie, Canada…) ne sont pas couverts. »

Selon lui, la version modernisée de cette Charte, approuvée par le Conseil fédéral le 9 novembre,  devrait permettre de réduire drastiquement les plaintes et limiter la portée du traité : « L’UE comptera désormais comme une seule partie, ce qui veut dire que des plaintes d’investisseurs à l’intérieur de l’UE seront désormais exclues, ajoute-t-il. Cela réduit le TCE à un traité entre l’UE, la Grande-Bretagne, le Japon, la Turquie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan et la Suisse, les autres parties n’ayant quasiment pas d’investisseurs. Or, plus de 95% des investissements fossiles au sein de l’UE sont soit intra-UE, soit de non-parties. Ceci permet p.ex. à certains Etats membres de l’UE de poursuivre gaiement l’exploration d’hydrocarbures (p.ex. Chypre, la Roumanie, la Grèce et même les Pays-Bas). Il est donc difficile d’adhérer à l’argument selon lequel il est vital pour le climat de viser moins de 5% des investissements fossiles par un retrait, tout en épargnant les 95% restants »

Il ajoute que la Charte de l’énergie est importante pour protéger les intérêts des investisseurs étrangers en Suisse et vice versa ; et que les investisseurs suisses ayant des investissements dans l’UE apprécient la protection juridique qu’elle leur confère : « une sortie de la Suisse irait à l’encontre de leurs intérêts », conclue-t-il.

Pour Alliance Sud, la Suisse doit sortir

Mais la version modernisée de la Charte, pourtant insuffisante pour lutter contre le changement climatique, n’est pas près d’entrer en vigueur. Alors qu’elle devait être adoptée le 22 novembre à Oulan Bator, elle a été retirée de l’agenda après que les Etats membres de l’UE ne sont pas arrivés à s’entendre. Pour l’instant, on ne sait pas si et quand elle sera remise à l’ordre du jour.

Pour Alliance Sud, la Suisse doit se joindre aux autres pays européens qui ont déjà franchi le pas et quitter ce traité. Car celui-ci permet à un investisseur étranger de porter plainte contre un Etat hôte pour tout changement réglementaire – fermeture d’une centrale à charbon, sortie du nucléaire, changement de réglementation dans les énergies renouvelables, etc. –, ce qui freine la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique. Il n’est pas acceptable que les investisseurs étrangers dans les énergies fossiles soient au-dessus des lois nationales et qu’ils aient recours à une justice privée qui leur accorde trop souvent des millions, voire des milliards de dédommagements.


Cet article a été publié dans Global, le magazine d’Alliance Sud

 

 

Le français, fenêtre ouverte sur le monde ?

Photo: au Village de la Francophonie © Isolda Agazzi

Le 18ème Sommet de la Francophonie s’est tenu à Djerba le 19 et 20 novembre. L’occasion de constater l’attachement à la langue française surtout dans les pays du Sud, qui y voient une ouverture sur les valeurs démocratiques et une occasion de nouer des relations de coopération

Deux hommes en djellaba blanche déambulent dans les ruelles du Village de la Francophonie, à Djerba. Leur tenue étincelante se confond avec le blanc des maisons et réfléchit le bleu du ciel et le vert des palmiers, arbres emblématiques de cette île du sud tunisien. Intrigués, nous nous approchons : « Nous sommes des chanteurs des Emirats arabes unis (EAU). Nous sommes ici pour montrer qu’il y a une seule humanité et présenter nos traditions «, lancent-ils… en anglais. A la tombée du jour, ils se produiront dans un spectacle qui attirera une foule nombreuse.

321 millions de francophones dans le monde, dont 62% en Afrique

Mais que font donc les EAU, où l’on parle à peine français, à un sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ? Ils sont membres associés (comme le Qatar par exemple) de cette organisation de pays « ayant le français en partage », créée il y a 52 ans par quatre chefs d’Etat d’anciennes colonies – le président tunisien Habib Bourguiba, le sénégalais Léopold Sédar Senghor, le nigérien Hamani Diori et le roi du Cambodge Norodom Sianouk. Forte aujourd’hui de 54 membres (dont la Suisse, mais à l’exception notable de l’Algérie), 7 membres associés et 27 observateurs, elle tenait son 18ème sommet à Djerba le 19 et 20 novembre, sous le thème « Connectivité dans la diversité : le numérique, vecteur de développement et de solidarité dans l’espace francophone ».

D’après les chiffres de l’OIF, le français serait parlé par 321 millions de personnes dans le monde – dont 62% résident en Afrique – et serait donc la 5ème langue mondiale et la 4ème sur internet. Malgré son recul au profit de l’anglais dans certaines régions, comme le Maghreb, les francophones sont appelés à devenir 750 millions en 2050 en raison de la croissance démographique. Rien d’étonnant, dès lors, que la Francophonie intéresse surtout les pays du Sud. Si le but originel de l’organisation était de promouvoir la langue française, la paix et l’éducation, la coopération économique prend de plus en plus d’importance. « Les jeunes francophones nous demandent non seulement de leur fournir de l’éducation, mais aussi de l’emploi », déclarait Louise Mushikiwabo, la secrétaire générale, lors de la cérémonie d’ouverture du sommet.

Village de la Francophonie très visité

Ouvert au public, le Village de la Francophonie attire une foule nombreuse, surtout des Tunisiens. « On est venus entre amis pour s’intéresser aux autres cultures. Le français est très important au niveau international, c’est la deuxième langue que nous apprenons à l’école », glisse Malek, une Djerbienne de 16 ans.

Une soixantaine de stands proposent de découvrir les pays « francophones ». La Suisse a misé sur la Genève internationale : un pavillon sobre et fonctionnel présente quatre ONG actives dans le numérique. La Fédération de Wallonie – Bruxelles soutient une centaine de jeunes entrepreneurs par an, en Afrique. Quant au Canada, il cherche à attirer des personnes ayant une formation professionnelle, avec ou sans contrat, et des étudiants, « car cela reflète nos valeurs de diversité. »

Le sommet est aussi l’occasion de chercher des investisseurs et de lancer de nouveaux partenariats économiques. La représentante de Côte d’Ivoire montre une fève de cacao à une Djerbienne intriguée. Sur un présentoir sont exposées des tablettes de chocolat fabriqué au pays. « Nous sommes le premier producteur mondial de cacao, mais nous ne nous contentons plus de l’exporter à l’état brut, nous fabriquons aussi du chocolat sur place ! » lance fièrement la dame. Une dégustation, prise d’assaut, nous permettra de confirmer de première main la qualité de ce fameux chocolat.

La Francophonie, instrument (néo)colonial ?

Qu’en est-il de certains soupçons de (néo) colonialisme qui pèsent sur la Francophonie ?  « Ce n’est pas du tout un instrument d’influence de la France dans le monde, tranche Olivier Caslin, journaliste au magazine Jeune Afrique. Contrairement au Commonwealth, elle a été créée par d’anciens colonisés et non par la France, qui ne sait pas trop quoi en faire…L’OIF a toujours été tiraillée entre son rôle linguistique et culturel et son désir d’aller plus loin en matière politique et économique, qui semble avoir été confirmé à ce sommet. »

Chokri Ben Nsir, rédacteur en chef de La Presse, un des deux plus anciens journaux francophones de Tunisie, renchérit : « La Francophonie n’est pas un instrument néocolonial ou de nostalgiques du passé colonial. La preuve : la question du français ne se pose même pas quand on a besoin d’un bon chirurgien qui a travaillé en France. La langue n’est pas seulement un outil de communication et le français véhicule les valeurs de liberté, droits de l’homme et humanisme. »

Etat du français en Tunisie catastrophique, mais il y a un sursaut

Après l’indépendance (le protectorat français a duré de 1881 à 1956), la Tunisie a gardé le système d’éducation français, mais le journaliste regrette qu’avec le départ des colons, des Italiens et des Juifs, elle se soit repliée peu à peu sur elle-même et se soit laissé tenter par le populisme, le panarabisme et les extrêmes. Dans les années 1980 le système éducatif a été arabisé, « ce qui n’a donné rien de bon. Aujourd’hui la situation du français en Tunisie est catastrophique. On a de moins en moins de lecteurs, d’enseignement, de rédaction, de création. Mais il y a un sursaut », assure-t-il.

Le tirage de La Presse elle-même, qui était de 80’000 exemplaires il y a dix ans (dont 20’000 abonnés publics), a fortement baissé pour chuter à 10’000 exemplaires depuis la crise du covid. « Le monde a besoin de langues, pas uniquement d’une seule langue, comme l’arabe ou l’anglais. Il faut beaucoup de fenêtres pour que le soleil irradie nos maisons d’énergies positives et chaleureuses », conclut-il.


Ce reportage a été publié dans l’Echo Magazine

Le chant de la mort

Saman Yasin, un rappeur kurde de 27 ans, a été condamné à mort le 29 octobre, après un procès de onze minutes, pour « hostilité contre Dieu ». La répression qui s’abat sur l’Iran depuis le 16 septembre touche de façon disproportionnée les minorités kurde et baloutche

« Saman Yasin a été condamné à mort parce qu’il est Kurde. Un autre chanteur, Shervin Hajipour, qui chantait en farsi, a été arrêté pendant une semaine et libéré sous caution », nous déclare sans ambages Taimoor Aliassi, directeur de la Kurdistan Human Rights Association – Geneva, une ONG qui fait du plaidoyer auprès de l’ONU, de l’Union européenne (UE) et de la communauté internationale en faveur des minorités et des femmes en Iran, avec un accent particulier sur la lutte contre la peine de mort.

La révolte qui embrase l’Iran depuis le 16 septembre est partie du Kurdistan, après la mort en détention de Jina Mahsa Amini, 22 ans, arrêtée pour avoir mal porté son voile. L’association genevoise estime que les Kurdes et les Baloutches sont les plus touchés par la répression : 448 personnes au moins ont été tuées, dont au moins 125 Kurdes et 130 Baloutches, ce qui en fait plus de la moitié des victimes, alors que les deux communautés ne représentent que 20% des 82 millions d’Iraniens.

Selon l’association, dans certaines provinces du Kurdistan iranien les prisons sont pleines et les gens entassés dans des garages souterrains. Le régime aurait commencé à organiser des procès par groupes de vingt personnes, condamnées pour atteinte à la sécurité nationale. « C’est contraire à toute loi iranienne et au droit international ! » En plus d’internet, l’eau et l’électricité seraient aussi régulièrement coupés au Kurdistan pendant plusieurs jours.

L’aspect religieux n’est sans doute pas étranger à cette situation : Saman Yasin est de confession Yarasan, une des plus anciennes religions du Moyen-Orient, qui compterait trois millions d’adaptes en Iran. « Le Yarasan se rapporte à la croyance zoroastrienne, qui est la religion originelle des Kurdes, continue Taimoor Aliassi. Ceux-ci n’ont jamais adhéré vraiment à la société islamique. En 1979, ils ont rejeté à 85% le régime islamique et monarchique lors d’un referendum organisé par Khomeini, qui a alors lancé une fatwa qualifiant les Kurdes de non musulmans et adopté une politique hostile et sécuritaire à leur encontre. Depuis on se bat pour un régime laïque, qui respecte les droits des femmes et des minorités ».

Ce militant bénévole a-t-il le sentiment que l’activité de son association sert à quelque chose ? « Oui, on arrive à influencer la politique, on pousse l’ONU à faire des déclarations sur la violation des droits des minorités en Iran. Mais je suis fâché contre la Suisse : l’UE a sanctionné des membres des Gardiens de la révolution [11 personnes et 4 organisations] mais Berne ne suit pas, alors qu’elle a repris toutes les sanctions de l’UE contre l’Ukraine. Elle adopte soi-disant une position de neutralité, mais celle-ci est toujours en faveur de l’oppresseur, jamais de l’opprimé. C’est un peu hypocrite. »

Le 24 novembre lors d’une session spéciale sur l’Iran, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a décidé de créer une mission d’enquête internationale indépendante. «C’est historique, elle permettra de collecter des preuves qui pourront être utilisées dans un tribunal international, régional ou national », s’enthousiasme le militant. Même si ladite mission ne pourra pas se rendre sur place ? « Oui, Téhéran n’a jamais autorisé l’accès aux procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme, à commencer par le Rapporteur spécial sur l’Iran. Mais la mission pourra utiliser les preuves collectées par d’autres instances et organisations, comme notre ONG par exemple. C’est le début de la fin du régime.»


Une version de cette chronique a été publiée dans l’Echo Magazine


Le 8 décembre, des experts de l’ONU ont condamné l’exécution d’un manifestant et alerté sur le sort des artistes emprisonnés, notamment Saman Yasin

Accord d’investissement avec l’Indonésie : des progrès, mais peut mieux faire

Photo: malgré quelques améliorations, le nouvel accord est toujours déséquilibré en faveur des investisseurs étrangers © Isolda Agazzi

Le nouvel accord de protection des investissements entre la Suisse et l’Indonésie permet à priori de réglementer dans l’intérêt public, mais il est assorti de dispositions qui pourraient réduire cette possibilité à néant

 L’Indonésie est l’un des rares pays à avoir dénoncé pratiquement tous ses accords de protection des investissements (API) – y compris celui avec la Suisse en 2016 – après avoir fait face à des arbitrages qui lui ont couté des millions de dollars. Mais dans les renégociations Djakarta fait face à l’opposition des pays industrialisés, sans compter que son nouveau modèle d’accord ne contient pas certaines des innovations fréquentes dans la pratique récente des traités d’investissement.

La Confédération aussi a renégocié un nouveau traité, mis en consultation pour la première fois à l’été 2022. « Le nouvel accord de protection des investissements entre la Suisse et l’Indonésie contient des innovations importantes et reprend de bonnes pratiques récentes. Par rapport à l’ancien, il constitue un progrès indéniable, mais pour un accord conclu en 2022, il était possible d’aller plus loin sur certaines aspects », nous déclare d’emblée Suzy Nikièma, la responsable des investissements durables à l’Institut international pour le développement durable (IISD), un Think Tank international qui fournit de l’assistance technique et des opportunités de collaboration, conduit des recherches et propose des solutions pour que les investissements soient des vecteurs du développement durable.

Traités ne promeuvent pas le développement durable

Aujourd’hui, tout le monde s’accorde sur le fait que ces traités d’investissement posent un problème, mais quoi faire ? Comme le note Suzy Nikièma, « ils ont été conçus dans le contexte de la décolonisation et de la guerre froide pour protéger les droits des investisseurs opérant à l’étranger, à une époque où le développement durable n’était pas une préoccupation centrale. Il est donc crucial de repenser le rôle, la valeur ajoutée et le contenu de ces puissants instruments à l’aune des enjeux et des objectifs actuels ».

Comme le note également Josef Ostřanský, Conseiller en droit et politique des investissements à IISD, le traité a une définition large de l’investissement et ne fait pas de distinction entre investissement polluant à forte intensité de carbone et investissement à faibles émissions. Il s’agit là du principal problème de ce traité. En effet, il n’y a aucun moyen de filtrer les entreprises étrangères, donc le traité protégera même une entreprise minière suisse qui pollue en Indonésie. Il faut bien le reconnaître : cette distinction n’existe à ce jour dans aucun traité, mais la Suisse pouvait montrer la voie.

Investisseurs mieux définis, mais avec très peu d’obligations

La définition de l’investisseur, en revanche, devenue plus précise, permet d’éviter le treaty-shopping, à savoir le fait d’utiliser un traité plus favorable conclu par un autre pays. Est défini comme investisseur toute personne physique détentrice de la nationalité ou toute personne morale qui mène des activités économiques substantielles dans le pays, y est immatriculée et y dispose d’un siège social.

En revanche, ces mêmes investisseurs sont soumis à très peu d’obligations : deux petits articles seulement sur 44 sont consacrés à la responsabilité sociale des entreprises et à la lutte contre la corruption, mais de façon purement exhortative. Ils ne précisent aucun mécanisme d’application ni aucune conséquence juridique de leur violation.

Des efforts ont été consentis pour clarifier le traitement juste et équitable, la clause de la nation la plus favorisée et le droit de réglementer. Mais-ceux-ci pourraient être réduits à néant par un article étonnant (37) qui stipule que les investisseurs peuvent se prévaloir du régime juridique le plus favorable applicable entre les parties. Il s’agit de l’une des dispositions les plus problématiques de l’API et, pour Alliance Sud, il faut la supprimer.

Plainte pour licence obligatoire exclue de la portée de l’expropriation

En revanche, Alliance Sud salue le fait que l’API spécifie dans l’Annexe A que les mesures réglementaires d’intérêt public visant à protéger la santé publique, la sécurité et l’environnement ne puissent pas être considérées comme une expropriation indirecte et donner lieu à des compensations financières. Mais certaines formulations pourraient en réduire drastiquement l’impact, car il ajoute « sauf en de rares circonstances où l’impact d’une mesure ou d’une série de mesures est si grave au regard de leur but qu’elles semblent manifestement excessives ». Il faut supprimer cette partie de l’annexe A !

En revanche, l’art. 7 al. 6 est le bienvenu, car il prévoit que l’expropriation indirecte ne s’applique pas à la délivrance de licences obligatoires accordées conformément à l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Alliance Sud a dénoncé à maintes reprises la pression exercée par la Suisse sur la Colombie pour qu’elle renonce à émettre une licence obligatoire du Glivec (un anti-cancéreux fabriqué par Novartis), tout comme la menace de plainte de Novartis contre la Colombie sur la base de l’API Suisse – Colombie. Le nouvel article devrait rendre ce genre de plaintes impossibles.

ISDS toujours là

Finalement, l’un des principaux problèmes du nouveau traité est que le mécanisme de règlement des différends investisseur – Etat (ISDS) par voie d’arbitrage est toujours là. Il n’y a pas non plus d’obligation de recourir aux tribunaux nationaux, et encore moins d’épuiser au préalable les voies de recours internes. La participation de parties tierces au litige comme pour l’amicus curiae (amis de la cour) n’est pas prévue et la médiation, bien qu’envisagée, reste facultative.

Alliance Sud a pourtant travaillé avec Rambod Behboodi, un avocat de droit international, pour élaborer une proposition visant à renforcer et à promouvoir la conciliation et la médiation dans les plaintes commerciales et d’investissement. La proposition, élaborée principalement dans l’optique de l’OMC, comporte des éléments structurels et institutionnels transposables aux traités d’investissement, moyennant quelques adaptations.

Ne pas inclure l’ISDS dans un traité d’investissement est possible. Comme l’indique Abas Kinda, Conseiller en droit international à l’IISD, « le nouvel modèle d’accord du Brésil met l’accent sur la prévention, la médiation et le règlement des différends d’Etat à Etat et ne prévoit pas l’ISDS ».


Cet article a été publié dans Global, le magazine d’Alliance Sud

Place des Nations, carrefour des peuples pour la paix

Photo © Isolda Agazzi

Des militants mauriciens se sont rassemblés devant l’ONU pour dénoncer la construction d’une base militaire indienne à Agaléga, dans l’Océan Indien. A l’instar d’innombrables défenseurs des droits humains qui viennent à Genève du monde entier 

C’est un de ces événements lourds de sens dont Genève a le secret, passablement méconnus de la population locale et ignorés par les médias : des militants du monde entier venus à la Place des Nations comme d’autres vont à Lourdes, dans l’espoir que l’ONU mette fin à la violation de leurs droits et garantisse la paix. Confiants de pouvoir manifester en toute sécurité dans un pays où l’on peut tout dire sans risquer sa vie.

Samedi 17 septembre, c’était au tour d’un groupe de Mauriciens de se rassembler sous la Chaise cassée, qui célèbre ses 25 ans cette année. Dans les premiers frimas de l’automne, ils étaient venus dénoncer ni plus ni moins que la militarisation de l’Océan Indien. Car l’Inde serait en train de construire une infrastructure militaire au beau milieu de ce plan d’eau qui a toujours servi de trait d’union entre l’Afrique, l’Asie et le monde arabe et qui a été déclaré zone de paix par l’ONU. A Agaléga précisément, un minuscule confetti de 11 km de large appartenant à Maurice.

Comme la base militaire américaine de Diego Garcia ?

Un petit paradis qui risque de se transformer en enfer, à les entendre. «Nous ne voulons pas de base militaire à Agaléga, alors qu’il y en a déjà une à Diego Garcia ! », s’exclame Padma Utchanah, leader du Ralliement citoyen pour la patrie, en référence à la base militaire américaine située sur l’archipel des Chagos. Les manifestants tenaient à souligner «l’hypocrisie » du premier ministre mauricien qui, quelques jours plus tard, allait se rendre à l’ONU à New York pour plaider la cause de ce territoire disputé par Maurice et le Royaume Uni. « La construction de cette base est une atteinte à la souveraineté de Maurice et une ingérence dans ses affaires intérieures », continue la politicienne. « L’Inde va l’utiliser pour espionner d’autres grandes puissances et notamment la Chine car les deux pays se disputent l’Océan Indien. Mais nous sommes non alignés, nous ne voulons pas que notre pays devienne un théâtre de guerre. »

Arnaud Poulay, un musicien agaléen qui avait interrompu sa tournée en France pour venir manifester à Genève, renchérit : « Nous ne sommes que 300 habitants à Agalega, mais le gouvernement nous pousse à partir d’une manière ou d’une autre. Nous ne pouvons même pas acheter un terrain car il veut les céder aux Indiens ou nous en priver. Il y a beaucoup de militaires indiens, de travailleurs, nous voyons bien qu’ils sont en train de construire une piste d’atterrissage de 3 km !»

Avec Mario Pointu, un autre militant mauricien, il a remis une lettre à l’ONU et au Haut-Commissariat aux droits de l’homme.

« Colonisation silencieuse de Maurice par l’Inde »

Pourtant le gouvernement mauricien nie la construction de cette base. « Nous demandons la transparence à notre gouvernement, ajoute Percy Yip Tong, un militant de la première heure.  L’Inde et Maurice auraient signé un traité vers 2015 dont nous ne connaissons toujours pas le contenu, malgré les demandes répétées de l’opposition. En tout état de cause, il y a un accord au moins tacite. Il y a une dérive autoritaire dans ce pays. Aujourd’hui déjà, les femmes n’ont même plus le droit ou la possibilité d’accoucher à Agaléga. »

Jean Wolf, un Mauricien venu spécialement d’Angleterre, précise que ce drame humain et écologique est la conséquence de la bataille géopolitique entre puissances étrangères dans l’Océan Indien, notamment entre l’Inde et la Chine, mais aussi les États-Unis et la France, entre autres.

Padma Utchanah, qui a manifesté récemment toute seule devant l’Hôtel du Gouvernement à Port-Louis, dénonce la « colonisation silencieuse » de Maurice par l’Inde, à commencer par les prêts massifs dont personne ne connaît véritablement les conditions. « Le Premier ministre, Pravind Jugnauth, est fautif, mais le Premier ministre indien, Narendra Modi, a sa part de responsabilité aussi. Les premiers coups de pioche à Agalega ont eu lieu en 2019. Si toutes les oppositions, notamment parlementaires, avaient dit stop, on n’en serait pas là. Cette petite île va faire face à un massacre écologique. Aujourd’hui déjà, ce ne sont plus les étoiles que les habitants voient, mais les grues. Modi et Jugnauth polluent, par leurs actions concertées, notre biodiversité marine. Ils sont coupables d’écocide », conclut-elle.

Toute la question est de savoir si les miracles existent. Autrement dit, si l’ONU, va prêter l’oreille à ces militants, comme à tous ceux qui, pleins d’espoir, prennent le chemin de Genève des quatre coins de la planète.

La non-violence pour se connecter à l’humanité de l’autre

Femmes au Sud-Soudan © Nonviolent Peaceforce

Nonviolent Peaceforce aide à résoudre les conflits par la non-violence et la protection des civils par des civils, en établissant une relation de confiance. Rencontre avec sa directrice, Tiffany Easthom, à l’occasion du vingtième anniversaire de l’ONG genevoise

« Au Sud-Soudan, il y avait un conflit entre deux clans d’éleveurs de vaches qui durait depuis longtemps, alors les femmes ont décidé d’aller leur parler. Nous les avons accompagnées et sommes parties sur deux Land Cruisers en chantant pour nous donner du courage. Arrivées sur place, nous nous sommes assises sous le manguier et avons attendu. Pendant longtemps, rien ne se passait. A la nuit tombée, des jeunes hommes sont sortis de la brousse, maigres, armés. Ils nous ont demandé : pourquoi êtes-vous ici ? Les femmes leur ont répondu : nous voulons vous parler. Nos clans sont mariés entre eux, nous ne comprenons pas pourquoi nous continuons à nous tuer. Alors un garçon a commencé à pleurer, puis il a dit qu’il voulait rentrer chez lui. Les autres ont déposé les armes et nous avons commencé à discuter. Depuis ce jour-là, les violences ont cessé », nous raconte Tiffany Eastom, visiblement émue.

Nous rencontrons la directrice de Nonviolent Peaceforce à son siège genevois, à l’occasion du vingtième anniversaire de l’ONG qu’elle dirige, après avoir travaillé de longues années au Sud-Soudan, au Sri Lanka et au Liban. Créée il y a vingt ans en Inde, celle-ci cherche à résoudre les conflits par la non-violence en s’attaquant à leurs causes profondes. Loin de toute affiliation religieuse ou politique, elle vise à « se connecter à l’humanité de l’autre » en associant aux processus de paix les personnes ou groupes sociaux manquants – souvent les femmes et les enfants, mais aussi les personnes marginalisées ou les tribus non représentées.

Protection civile de paix (PCP)

Active au Sud-Soudan, au Soudan, en Irak, au Myanmar, aux Philippines, aux États-Unis et en Ukraine et forte de 500 employés, principalement nationaux, Nonviolent Peaceforce est le leader mondial d’une méthodologie appelée Protection Civile de Paix (PCP). Celle-ci se traduit par l’établissement de relations stratégiques et la réalisation d’activités non armées comme une présence pour réduire les risques et l’accompagnement des personnes menacées dans les lieux sensibles, par exemple les points d’eau où les tensions peuvent facilement exploser.

En Ukraine, l’ONG met l’accent sur les zones difficiles à atteindre, au sud-est de Kharkiv et d’Odessa. Elle travaille avec des communautés qui n’ont pas beaucoup de contacts avec les humanitaires, telles que les personnes âgées et handicapées qu’elle aide par exemple à se rendre dans les services publics pour obtenir de l’aide.

« Les ONG locales nous ont demandé de mettre en place des alertes précoces et de semer dès maintenant les graines de la paix, continue Tiffany Eastom. Nous ne fournissons pas d’aide matérielle, mais aidons à établir la confiance avec toutes les parties prenantes. Nous assurons par exemple une présence protectrice lors de la distribution de nourriture et allons parler à la communauté en amont pour essayer de diminuer la violence. »

Violences intercommunautaires aux Etats-Unis

Celle-ci ne se produisant pas seulement dans les pays du Sud, Nonviolent Peaceforce est présente aussi aux Etats-Unis. Après l’assassinat de George Floyd et l’embrasement de Minneapolis qui s’en est suivi, l’ONG a commencé à travailler sur la désescalade de la violence et à envoyer des équipes de protection dans les manifestations. A New York, à la demande de la Fédération américano-asiatique, elle a accompagné des personnes issues de cette communauté qui avaient fait l’objet d’agressions après que Donald Trump eut désigné le covid de « grippe chinoise. »

« Les conflits sont inévitables, mais la violence ne l’est pas, continue Tiffany Eastom. Gandhi et Martin Luther King sont les visages célèbres de la non-violence, mais ils ne parlent pas tellement à la jeune génération, il faut trouver d’autres façons de les sensibiliser. La non-violence est un travail difficile, mais Nonviolent Peaceforce a appris à s’adapter au mieux aux différentes circonstances, besoins et pratiques de chaque pays. Il faut du courage pour être dans une zone de conflit sans armes, mais lorsque les femmes et les enfants sont plus en sécurité, toute la communauté l’est. Si les femmes sont respectées, personne n’est touché. »


Une exposition de photos retraçant les 20 ans de l’organisation est visible au Parc des Bastions de Genève jusqu’au 3 octobre

 

Exploratrice d’une Afrique lumineuse

Photo: Sonia Shah au Soudan

Sonia Shah, Kényane d’origine indienne de 46 ans, sillonne l’Afrique toute seule depuis deux ans. Sac au dos, se déplaçant toujours en bus, elle a déjà visité une quinzaine de pays et n’a fait (presque) que des expériences positives. Un manifeste au dépassement de soi, de son genre, de son âge et de ses barrières culturelles. Et une ode à un continent mal connu

Elle a fêté son 46ème anniversaire près de Port Soudan, là où a été tourné The Read Sea Diving Resort, le film qui raconte l’histoire de l’exfiltration de milliers de Juifs éthiopiens par le Mossad au début des années 1980, transférés en secret dans un hôtel de la mer Rouge. Une fête à son image, dans un endroit reculé et romanesque, avec ses nouveaux amis soudanais : Sonia Shah, Kényane d’origine indienne, sillonne l’Afrique toute seule depuis deux ans. Ouganda, Tanzanie, Namibie, Botswana, Zimbabwe, Mozambique, Zambie, Malawi, Burundi, Rwanda, Sud-Soudan, Soudan, Égypte… Avec un petit budget, en bus ou en auto-stop – sauf quand la fermeture des frontières terrestres l’oblige à prendre l’avion – et toujours au plus près des gens, cette aventurière en a fait du chemin depuis notre rencontre en Tanzanie, l’année passée !

Tribus d’éleveurs du Sud Soudan © Sonia Shah

Démarche d’émancipation féminine

« Je suis dans une démarche d’émancipation féminine, lance-t-elle au téléphone, lorsque nous arrivons enfin à la joindre entre deux plongées à Dahab, en Egypte. Beaucoup de femmes pensent qu’après un certain âge la vie s’arrête, mais ce n’est pas le cas. Peu de femmes de mon âge voyagent en solo, mais je leur dis : vous n’êtes jamais trop vieilles pour faire ce que vous aimez ! »

Une autre barrière se dressait sur sa route et non des moindres : « Dans ma culture indienne d’origine, ce n’est pas acceptable qu’une femme voyage seule, mais j’ai décidé de briser les normes. Au début, c’était difficile, mais maintenant cela va un peu mieux. Ne laissez pas les normes sociales et culturelles faire obstacle à votre passion ! » s’enflamme la pétillante célibataire sans enfants, qui a esquivé un mariage arrangé.

Camp de réfugiés burundais au Malawi © Sonia Shah

Prendre sa retraite à 44 ans pour découvrir le monde

Cette battante avait un but dans la vie : prendre sa retraite à 44 ans et voyager. Et elle s’est donné les moyens de l’atteindre.  Elle a travaillé en Arabie Saoudite pendant cinq ans comme professeur d’anglais, cumulant deux emplois à plein temps pour 75 heures par semaine, sept jours sur sept. Cette volonté de fer lui a permis de mettre de l’argent de côté, qu’elle a placé dans des obligations du gouvernement kényan. « Ma vie est riche, mais financièrement je dois gérer mon budget au plus près, précise-t ’elle. Je ne peux pas me permettre de dépenser 40 USD pour un hôtel ; mais dès que je descends du bus, les chauffeurs de taxi s’approchent et me proposent facilement des auberges à 10 – 15 USD la nuit. »

A l’origine, elle voulait aller en Amérique latine, mais le covid est passé par là et elle a dû changer ses plans. En octobre 2020, en pleine pandémie, elle part en Ouganda « Etant moi-même originaire d’Afrique de l’Est, le continent africain ne m’intéressait pas particulièrement, je pensais que ce serait partout pareil. Mais je me suis trompée et c’est ce qui rend mon voyage si spécial : il y a toujours des surprises, les mentalités, les cultures et les paysages sont tellement différents !  L’hospitalité, la gentillesse des gens, la diversité de l’Afrique sont inimaginables et malgré les conflits et les problèmes, les voyages ont enrichi mes connaissances et changé ma perception » s’exclame-t-elle.

Quand on lui demande quel pays lui a le plus plu, elle hésite…Si le Rwanda l’a un peu déçue en termes de paysages, elle admire la façon dont le président a su le remettre sur pied après le génocide. « Les gens ont des opinions différentes sur la question, mais c’est admirable et les villes rwandaises sont plus propres que Londres et certaines villes européennes ! »

Sonia Shah dans un temple égyptien

L’Egypte et la loi de l’attraction

Finalement, c’est peut-être l’Egypte qui l’a séduite le plus, alors même qu’elle en avait un apriori négatif. « J’avais une mauvaise image de ce pays parce qu’on me disait de faire attention, avoue-t-elle. Mais j’ai décidé de changer cela. Lorsque j’avais trente ans j’ai commencé à lire des livres sur la façon d’attirer les choses positives et je crois à la loi de l’attraction : j’ai commencé à me répéter que les gens sont gentils, honnêtes avec moi et de fait, ils ont presque tous été incroyables. Certains ont refusé que je paie, d’autres m’ont couru après pour me rendre la monnaie, des chauffeurs de taxi ont insisté pour me conduire gratuitement quelque part, des gens m’ont offert une tasse de thé, d’autres m’ont invitée à leur mariage».

Elle reconnaît avoir fait quelques rares expériences négatives : au Rwanda, qui est censé être l’un des pays les plus sûrs d’Afrique, on lui a volé des milliers de dollars à l’auberge de jeunesse. Au Sud Soudan, où elle voulait se rendre chez des tribus d’éleveurs sur des îles très reculées, elle est tombée sur un guide peu scrupuleux… « Mais cela fait partie de ma courbe d’apprentissage ; maintenant je sais que je dois toujours écouter mon instinct et m’éloigner des personnes négatives, relativise-elle. Dans l’ensemble, cela a été une bonne expérience car lorsque quelque chose de mal arrive, beaucoup de bien vient compenser. La positivité attire les situations positives.”

Mozambique © Sonia Shah

La force du voyage en solitaire, en tant que femme

N’est-il pas risqué de voyager toute seule ? Elle affirme ne pas avoir eu de problèmes particuliers, « peut-être parce qu’elle n’est pas blonde », à l’exception d’un petit incident avec un jeune soldat en Egypte, qu’elle a pu régler par le dialogue. Elle publie des post sur FB pour montrer que l’Afrique est belle et sûre. « Beaucoup de gens me disent qu’ils sont étonnés, mais je pense qu’ils projettent leur propre peur. J’ai été arrêtée par la police au Mozambique, dans la zone de Cabo Delgado [théâtre d’attaques djihadistes] mais ce n’était pas effrayant comme le pense ma belle-sœur ! L’important est d’établir un rapport avec les gens. Mais je sais que certaines femmes voyageant solo ont fait de mauvaises expériences, ce n’est pas pour tout le monde »

Alors aucun regret ? Ne se sent elle jamais seule ? « Non, aucun regret. Je ne souffre jamais de la solitude, peut-être parce que je réalise un rêve que j’avais depuis longtemps. Mais aussi parce que j’ai découvert tellement de liberté et de paix à être capable de voyager seule… De plus, je vois trop de gens passer à côté de la beauté du monde parce qu’ils ne trouvent personne avec qui voyager. La vie est trop courte pour attendre les autres ! »

Quelles sont les prochaines étapes de cette aventure ? Israël, ensuite peut-être Oman, après retour en Afrique, peut-être la Tunisie et l’Afrique de l’Ouest… « Le monde a tant de moments incroyables à offrir qu’on ne peut pas passer à côté ! » conclut Sonia Shah, lumineuse exploratrice du monde, des gens et d’elle-même. Dans la plus pure tradition des grands voyageurs et des femmes qui leur ont emboîté le pas.


Une version de cette chronique a été publiée dans l’Echo Magazine

La Touchétie, terre sauvage et solidaire

Cavaliers en Touchétie © Isolda Agazzi

Dans le Caucase géorgien, les bergers et leurs familles retournent pendant l’été dans les régions isolées de Touchétie, aux pieds du puissant voisin russe. Ils renouent avec des traditions ancestrales et la vie en communauté. La preuve vivante, peut-être, que l’entraide est un principe d’évolution plus puissant que la compétition, comme l’affirment certains philosophes

Un check point dans le Caucase, planté au milieu de nulle part pour surveiller le passage entre la Khevsourétie et la Touchétie, deux régions contiguës de Géorgie : une maison en tôle, une tente, deux drapeaux qui flottent au vent et des vaches qui broutent, impassibles aux tumultes de la géopolitique. De l’autre côté de la vallée, majestueuses et menaçantes, se dressent les montagnes de Tchétchénie et du Daghestan, des républiques autonomes de la Fédération de Russie. Un vent froid balaie ces prairies qui ressemblent à une purée de petits pois où paissent les chevaux et passent les bergers.

Fabrication du fromage © Isolda Agazzi

Bergers, militaires et cavaliers

Depuis peu, un bivouac accueille les randonneurs qui s’aventurent dans ces terres inhospitalières pendant la courte saison d’été. Ils y trouvent un terrain plus ou moins plat pour planter leur tente et une cabane sommaire pour s’abriter du vent : un toit, un poêle, des parois en bois avec des tableaux en feutre et… le wifi. Lali, une quarantaine d’années, est montée du village où elle passe l’hiver dans le dénuement le plus total, à l’exception des panneaux solaires et… du wifi. Bonnet en laine vissé sur la tête, sourire doux et ongles peints en mauve, elle propose aux passants transis de froid une onctueuse fondue et des khatchapouris, les célèbres galettes au fromage. Un jeune homme assis près du poêle écoute du Amy Winehouse sur son smartphone.

Attablés sous l’auvent, bergers, militaires et cavaliers jouent au backgammon, indifférents aux températures glaciales. Ils ont cuisiné des sortes de röstis de pommes de terre qu’ils arrosent copieusement de chacha, l’eau de vie locale. “Portons un toast à la famille” lance le tameda, le chef de table, et l’assemblée boit cul sec. “Levons notre verre aux morts qui n’ont personne pour se rappeler d’eux”, continue-t-il après une courte pause et rebelote, cul sec, selon un rituel bien rôdé qui se poursuit tard dans la nuit, dans une ambiance qui se réchauffe au fur et à mesure que la température baisse.

Check-point © Isolda Agazzi

La Russie grignote un peu la frontière chaque année

Semi-nomades, les Touches, estimés à 7’000 personnes, sont les principaux éleveurs de moutons de Géorgie. Aujourd’hui il resterait 80’000 bêtes que des chiens féroces protègent des loups et des ours. Les ovidés sont gardés par une cinquantaine de bergers qui fabriquent du fromage à même les pâturages, où ils font bouillir le lait sur le feu de bois et le battent sous des bâches en plastique. Ensuite ils l’emballent dans des fûts que les cavaliers attachent à leur selle et transportent en bas de la vallée. L’atmosphère est sauvage, brute, presque surréaliste.

Pourtant ces check points n’ont rien d’absurde car le puissant voisin russe en fait voir des belles à la petite Géorgie. Chaque année il grignote un bout de territoire et récemment il a même annexé deux villages abandonnés. Plus personne n’y habitait depuis que Staline, le Géorgien le plus connu de l’histoire, avait déplacé les montagnards dans la vallée car trop insoumis et attachés à leurs traditions, à son goût, et plus utiles dans les usines d’Etat et les kolkhozes.

 

Village de Touchétie © Isolda Agazzi

Les pestiférés s’enterraient vivants pour préserver les villageois

Vers la fin de l’ère soviétique les gouvernements successifs ont fourni des efforts pour électrifier les villages et construire des infrastructures, à commencer par la route qui relie Omalo à la Kakhétie– une des plus dangereuses au monde ! – mais depuis l’indépendance de la Géorgie, il y a trente ans, les subsides se sont taris. Aujourd’hui, à l’exception des militaires, les villages de Touchétie et de Khevsourétie sont entièrement dépeuplés ou presque en hiver, lorsque la température peut descendre jusqu’à -30°, et ne s’animent que pendant l’été.

Shatili, une forteresse imprenable qui compte encore quelques habitants, fait figure d’exception. A quelques kilomètres de là se trouve l’étonnante nécropole d’Anatori : au 18ème siècle, alors que la peste faisait rage, les pestiférés ont construit eux-mêmes leurs tombeaux, des sortes de caveaux où ils allaient s’enterrer vivants pour ne pas contaminer les villageois. Les restes de leurs ossements et crânes sont encore bien visibles et le sacrifice de ces valeureux est cité volontiers comme un exemple extrême de solidarité en ces temps de pandémie.

 

Notre groupe de randonneurs © Isolda Agazzi

L’écotourisme, complément de revenu bienvenu

On arpente, à pied ou à cheval, des vallées sauvages ponctuées de tours de guet autour desquelles planent les vautours, et de villages fantômes perchés comme des nids d’aigle. Les anciens habitants, installés pour la plupart dans la basse Kakhétie, ont pris l’habitude d’y remonter l’été. En juillet et août, ils célèbrent des fêtes en l’honneur des dieux païens qu’ils continuent à vénérer derrière un vernis de christianisme, dans un syncrétisme parfaitement assumé. Un autel trône au centre des villages dont les femmes ne peuvent pas s’approcher, ou alors par un autre chemin que celui des hommes. Ces derniers brassent la bière et les femmes préparent un festin pantagruélique dans la plus pure tradition de la succulente cuisine géorgienne.

L’écotourisme, encore à ses balbutiements, contribue à revaloriser ce patrimoine architectural et fournit un complément de revenu aux quelques habitants qui ont ouvert des gîtes. La plupart des maisons tombent en ruine, mais certaines sont restaurées par les agences de coopération étrangères ou grâce aux transferts de fonds des migrants, estimés à 1,7 millions de personnes sur une population de près de quatre millions au pays. Beaucoup de femmes touches travaillent comme aides familiales en Europe occidentale et de nombreux jeunes rejoignent la Légion étrangère. C’est le cas d’un homme de 25 ans dont la mère avoue ne pas savoir où il se trouve dans le monde et qui gagne, nous dit-elle, 1’300 euros par mois, une somme non négligeable dans un pays où le salaire moyen est de 300 – 400 euros.

« L’entraide, un facteur de l’évolution »

Un matin, près du poêle de la maison d’hôte, nous rencontrons Gregorio Paz Iriarte, un jeune Colombien qui écrit une thèse de philosophie sur le principe de l’entraide. Connu comme le loup blanc dans la région, il a appris le géorgien en quatre mois et s’est parfaitement intégré dans la culture locale. “Le plus frappant, c’est de voir comment la communauté touche est soudée et les gens s’aident sans avoir recours aux rapports monétaires, nous raconte-t-il en sirotant une tasse de café. Si quelqu’un donne un coup de main, il sera aidé en retour avec de la nourriture, par exemple. C’est une région assez isolée car la route est très mauvaise. J’ai l’impression que l’Etat n’est pas vraiment présent car la manière dont les Touches sont organisés est assez anarchique. L’armée, en revanche, est bien visible car on est près de la Russie qui avance sa frontière tous les jours, si bien que pour passer d’une région à l’autre il faut montrer son passeport. Mais elle n’intervient pas dans les rapports interpersonnels.”

 

Vie au village © Isolda Agazzi

Le jeune philosophe s’est inspiré de Pierre Kropotkine, un écrivain russe du 19ème siècle, auteur de “L’entraide, un facteur de l’évolution”. Il y réfute la théorie du social-darwinisme, selon laquelle l’homme est un loup pour l’homme, et affirme que l’entraide est un facteur d’évolution aussi important, si ce n’est plus, que la compétition – un concept très important dans la théorie anarchiste. A l’appui de ses dires, il donne l’exemple de la région de Khevsourétie.

Pour Gregorio Paz Iriarte, 120 ans plus tard ce principe d’entraide est exemplifié plutôt en Touchétie en raison de son isolement. “Les Touches résolvent les conflits et problèmes entre eux, ils gèrent les dynamiques sociales sans intervention extérieure et cela marche très bien car c’est une communauté très soudée”, conclut-il.

En espérant que le développement de l’éco-tourisme, pour l’instant encore bénéfique à la population locale, ne vienne pas rompre ces liens sociaux largement désintéressés.


Ce reportage a été publié dans l’Echo Magazine. Ce trek de deux semaines a été réalisé avec l’excellente agence francophone géorgienne Mon Caucase

L’intégration au pas de course

Entraînement de FLAG 21 au Parc des Eaux-Vives de Genève © Isolda Agazzi

Le 19 juin, pour célébrer la Journée internationale du réfugié, Together Run a organisé une course à pied à Genève. Celle-ci était parrainée par Tadesse Abraham, meilleur marathonien de Suisse et lui-même issu de l’immigration. L’un des partenaires était FLAG 21, une association qui vise à faciliter l’intégration des migrants par le sport

En ce dimanche ensoleillé, quelques deux-cents personnes s’étaient réunies au Parc des Evaux, à Genève, pour la deuxième édition de Together Run. Parrainée par Tadesse Abraham, meilleur marathonien suisse, lui-même d’origine érythréenne, cette course populaire visait à célébrer (un peu à l’avance) la Journée internationale du réfugié qui se tenait le lendemain. Née à l’initiative de quatre jeunes collégiens de l’Ecole internationale de Genève, elle bénéficiait du soutien de sponsors institutionnels comme le Cercle des agriculteurs de Genève et de partenaires comme l’association FLAG 21.

Forte de 200 membres, dont une quarantaine de participants réguliers, celle-ci vise à mettre en contact la population locale et les migrants en proposant de la course à pied, de la marche sportive et du yoga. « FLAG 21 essaye de favoriser l’inclusion des migrants par le sport, nous explique Elise Delley, 31 ans, la toute nouvelle directrice. Nous sommes actifs dans plusieurs courses populaires à Genève et c’est tout naturellement que nous sommes associés à Together Run. C’est un bon moment de partage, apprécié par les participants. »

Entraînement tous les samedis au Parc des Eaux-Vives

Des participants qui se sont entraînés pendant des mois. En cette journée d’avril, même la bise froide qui balaie le Léman n’a pas eu raison de la motivation de la trentaine de membres qui se retrouvent au Parc des Eaux-Vives, comme tous les samedis à 10h, arborant fièrement le T-shirt vert fluo de FLAG 21. Alex et Nathalie, parents de Fanny, attendent leur petite tête blonde qui s’entraîne avec le groupe enfants : « Nous sommes très contents des entraînements proposés par FLAG 21, ils sont très sympathiques et professionnel en même temps. Nous ne sommes pas des réfugiés, mais soutenons activement cette association ». D’après les estimations de sa directrice, celle-ci se compose à 70% de migrants et à 30% de Suisses.

Masum, un Kurde de Syrie, est responsable des coachs des différents niveaux – débutants, intermédiaires et intermédiaires avancés pour les adultes : « Mon métier n’a rien à voir avec le sport, mais je voulais intégrer l’association pour parler français, nous confie-t-il., même si les entraînements se font aussi en anglais, en arabe en kurde et en tigrinya [langue du Tigré et de l’Erythrée]. C’est ça la richesse. Notre activité principale, c’est le sport, mais on a aussi un réseau pour guider les gens. Moi-même j’en ai bénéficié car j’ai été aiguillé vers un CFC d’employé de commerce. »

Les Ukrainiens commencent à venir

Les personnes qui s’investissent comme bénévoles avec FLAG 21, ou dans des courses avec lesquelles celle-ci est partenaire, reçoivent un certificat de bénévolat et une attestation. Grâce à des soutiens publics et privés, l’association organise des ateliers pour leur apprendre à formaliser ces expériences et à les transformer en expériences professionnelles.

Tesfea, l’entraîneur des enfants et membre du comité de FLAG 21, est un Erythréen installé en Suisse depuis six ans. Il vient presque tous les samedis et constate que les pays d’origine changent : « Il commence à y avoir quelques Ukrainiens que nous accueillons volontiers car cela me rappelle que quand je suis arrivé en Suisse, c’était compliqué pour moi, glisse-t-il. J’étais tout seul, j’habitais dans un foyer, je ne parlais pas la langue, c’était difficile de s’intégrer. Il y a trois ans j’ai obtenu un permis B, maintenant je travaille à 100%, ma famille m’a rejoint et on habite dans un appartement. FLAG 21 m’a beaucoup aidé, c’est une association magnifique : Suisses, migrants, tout le monde est ensemble ! »


Une version de cette chronique a été publiée dans l’Echo Magazine