La Patagonie, miroir aux alouettes

Zahori, en compétition au Festival Filmar en America latina, raconte l’histoire d’un malentendu, comme il y en a souvent. Celle d’Occidentaux partis à la rencontre d’une culture fantasmée, dans laquelle ils n’arrivent pas à s’intégrer, et qui finissent par vivre dans leur bulle, à cheval entre deux mondes  

Il y a d’abord la famille tessinoise qui s’est installée en Patagonie pour vivre le rêve de l’autosuffisance, dans un esprit New Age. Les parents se disputent sans cesse car le père veut rentrer en Suisse, découragé par la dureté de la vie dans les steppes balayées par le vent, où il s’avère plus difficile que prévu de faire pousser des légumes. Peut-être bouddhistes, sûrement végétariens, ils interdisent à leurs deux enfants de manger « les animaux morts », à commencer par les truites offertes à Mora par un jeune gaucho tout sourire, et la viande.

Tiraillée entre deux cultures, l’adolescente ne comprend pas : les gauchos ne mangent-ils pas les animaux ? Ils cuisinent même le tatou, sorte de pangolin d’Amérique du Sud qu’elle n’arrive toujours pas à attraper, malgré ses efforts.  Elle est malheureuse et à l’école elle s’ennuie ferme: les garçons la traitent d’étrangère et ne la laissent pas jouer au foot car « ce n’est pas une activité pour femmes, pas plus qu’être gaucho», alors même que c’est son rêve.

Evangélistes américains cravatés

Il y a ensuite les évangélistes américains qui errent dans ces terres inhospitalières en cravate, à la recherche d’âmes à sauver. Eux aussi voient le football d’un mauvais œil, mais pour d’autres raisons : le ballon c’est la tête du diable et eux « tels des soldats du Seigneur, vont dans les endroits les plus isolés du monde pour le chasser ». Les parents de Mora rejettent leur prosélytisme, tout comme Nazareno Pichiman, le vieux gaucho qui se ressource au bruit du vent, se laisse bercer par les frondaisons animées des arbres et s’endort à côté des rochers sacrés. Il vit seul depuis que sa femme est partie chercher ses origines en Italie, faisant en quelque sorte le chemin inverse de celui des Suisses. C’est auprès de lui que Mora cherche refuge lorsqu’elle se fait renvoyer de l’école.

Une nuit, le vent impétueux brise la corde de Zahori, la jument blanche de Nazareno. S’ensuit une quête aux relents mystiques, où tout le monde cherche le cheval, ou soi-même, les personnages se croisent sans se reconnaître, les rêves deviennent réalité et Mora semble avoir enfin trouvé son identité.

Puerto Piramides, Patagonie, Argentine © Isolda Agazzi

La Patagonie, page blanche ou tableau noir

Le cadre de ce premier film de Mari Alessandrini, réalisatrice argentine installée en Suisse, n’est pas anodin : la Patagonie est un personnage à elle toute seule. Mystérieuse, hostile et accueillante à la fois, cette terre du bout du monde a attiré tour à tour des colons et des investisseurs étrangers, des criminels nazis et des repris de justice, dont Butch Cassidy et Sundance Kid, les célèbres pilleurs de banques américains du début du 20ème siècle. Fascinés par une terre à l’apparence vide, mais habitée par des peuples autochtones abondamment massacrés – notamment les Mapuche et les Tehuelche – ces aventuriers ont été encouragés par les gouvernements successifs à venir écrire une nouvelle page de l’histoire argentine.

S’en suivirent des hippies, des poètes et des chercheurs de rêve, désireux d’écrire leur propre histoire dans ces étendues sans fin, où l’infini semble à portée de main. Au risque de vivre à côté des populations locales sans vraiment les comprendre – ce qui est inoffensif en soi et n’enlève rien à l’intérêt de la démarche, tant qu’il ne s’agit pas d’extermination, d’accaparement des terres ou d’acculturation plus ou moins forcée. Pour que la page blanche ne se transforme pas (de nouveau) en tableau noir.


Zahori, de Mari Alessandrini, Festival Filmar en America latina, le 26.11, 27.11, 28.11


Voir aussi les articles de la même auteure sur la Patagonie

 

Les glaciers de Patagonie sont en danger: Torres del Paine au Chili (2/2)

Au Chili, beaucoup de glaciers sont en régression, comme à Torres del Paine, peut-être le plus beau parc national de Patagonie. Dans un pays où les manifestants réclament depuis des mois plus de justice sociale, l’accès à la montagne est difficile et peu démocratique

Le parc national de Torres del Paine, dans la Patagonie chilienne, frôle celui de Los Glaciares, dans la Patagonie argentine, où se trouve le Perito Moreno. Depuis la ville d’El Calafate, en Argentine, un voyage en bus de six heures dans la steppe battue par les vents permet d’atteindre la petite ville de Puerto Natales, au Chili, point de départ idéal pour explorer le parc. Connu pour ses célèbres tours – qu’on atteint après une montée de 3 – 4 h, dans des paysages spectaculaires – le Torres del Paine abrite cinq glaciers qui, eux, sont tous en régression. Le plus grand est le Grey, qu’on peut gagner en une journée depuis le refuge de Paine Grande, pourvu d’arriver à braver un vent tempétueux qui rend la montée particulièrement sportive.

Torres del Paine, les tours au lever du jour © Isolda Agazzi

Torres del Paine, dont la beauté vous coupe le souffle encore plus que le vent, est le parc le plus touristique de Patagonie et le plus cher. On y croise d’ailleurs peu de randonneurs chiliens et on entend surtout parler anglais… Alors la montagne est-elle un sport d’élite sous ces latitudes? La question n’est pas anodine dans un pays où les gens réclament depuis octobre plus de justice sociale – les manifestations sont actuellement suspendues à cause du confinement et le referendum sur l’assemblée constituante, initialement prévu pour le 26 avril, a été renvoyé au 25 octobre.

«Non, la montagne n’est pas élitiste au Chili, mais Torres del Paine l’est, nous répond sans hésitation Peter, un Suisse installé depuis longtemps dans le pays. Mais il est vrai que la montagne chilienne, l’andinisme, est un phénomène nouveau, qui s’est développé surtout ces dix dernières années. Auparavant il y avait seulement le Club Aleman Andino, dont l’abréviation est toujours DAV (Deutscher Alpenverein). Aujourd’hui il y a beaucoup d’autres associations.”

Il fait remarquer qu’il n’y a pas un système de propriété collective comme dans les Alpes suisses, si bien que souvent l’accès aux montagnes est tout simplement bloqué. Pour aller sur un glacier, il faut parfois obtenir l’autorisation de la CONAF (Corporacion Nacional Forestal), de l’armée ou de la société minière du coin. “Mais on ne peut pas comparer. L’histoire du Chili est complètement différente de celle de la Suisse. C’est une histoire de colons et le pays est beaucoup plus jeune”.

Terrains publics ou privés, même combat

L’alpiniste helvétique explique que le DAV a mené de front le développement de l’andinisme – pour preuve certains sommets portent des noms allemands. C’est le cas surtout dans la région autour de Santiago, où la montagne est une activité très populaire auprès des jeunes car elle est proche et représente une alternative saine au cinéma et au shopping, après une semaine de travail de 48 heures.

«Par contre, beaucoup de terrains sont privés et c’est un problème, notamment en Patagonie. Les très grands propriétaires terriens ne veulent pas lâcher prise et un parc national ne se crée pas de toute pièce », fait-il remarquer.

Torres del Paine, le glacier Grey © Isolda Agazzi

Un avis que partage partiellement Alvaro Vivanco, président du Club Aléman Andino de Santiago, qui compte quelque 500 membres. «L’accès à la montagne est compliqué et pas démocratique, souligne-t-il. Il y a des problèmes dans tous les terrains, qu’ils soient privés ou publics et souvent la situation est même pire lorsque les terres appartiennent à l’État. La plupart des parcs nationaux sont gérés par la CONAF, une entité publique créée pour protéger les forêts et qui n’a aucun intérêt à développer le tourisme et encore moins l’andinisme, car cela donne plus de travail aux gardes forestiers. »

C’est bien dommage car le Chili pourrait être le paradis de la randonnée.  Du nord au sud, de la cordillère des Andes à la Patagonie, il regorge de sommets ahurissants. Mais la situation sur le volcan Villarica, par exemple, est « terrible » selon lui. C’est un parc national où certaines entreprises amènent les touristes en payant, « mais si vous voulez l’escalader vous-même c’est très difficile. Pourtant c’est un terrain public. Quant aux terrains privés, s’ils abritent des projets d’exploitation minière ou hydroélectriques, c’est carrément impossible d’y aller.»

Douglas Tompkins a cédé des centaines de milliers d’hectares à l’Etat

Le parc national de Torres del Paine est géré par la CONAF, qui la loue à deux concessions d’exploitation. Alvaro Vivanco souligne que c’est un cas particulier car les visiteurs y sont très nombreux, mais dans la plupart des parcs nationaux il n’y a pas d’installations et très peu de refuges. « Dans une large mesure, l’État est responsable de cette situation car il devrait favoriser l’accès à la montagne plus que les propriétaires privés, mais il ne le fait pas », déplore-t-il-.

Dans la Patagonie chilienne il y a une dizaine d’autres parcs, dont le Parc Pumalin, privé et d’utilisation publique, créé par Douglas Tompkins, le fondateur de la marque de vêtements de sport North Face et d’Esprit. Avant sa mort, le millionnaire américain avait acheté des terrains immenses en Patagonie et, en mars 2017, sa veuve en a cédé à l’Etat chilien 407 625 hectares, ce qui représente la plus grande donation de terres de l’histoire. Trois parcs nationaux sont en train d’y voir le jour. « Il reste à voir comment l’État chilien va s’y prendre maintenant qu’il a reçu ce don… », commente Alvaro Vivanco. Ou quand l’accès à la montagne devient un test de démocratie.

Torres del Paine, chute de Salto Grande © Isolda Agazzi

Une version de ce reportage a été publiée par l’Echo Magazine. Il a été réalisé avant le confinement du Chili


Voir aussi le premier volet de cette série sur la Patagonie: Les glaciers de Patagonie sont en danger: le Perito Moreno en Argentine

Extraction minière à Chubut, en Patagonie : «non c’est non» !

Photo de Puerto Piramides et de la Péninsule Valdes © Isolda Agazzi

Dans la Péninsule Valdes – réserve naturelle de baleines, pingouins et lions de mer – comme dans le reste de la province de Chubut, en Argentine, la population se mobilise contre l’intention d’exploiter des mines à ciel ouvert, pourtant interdites par la loi.

« No a la megamineria » [non à l’extraction minière] est écrit blanc sur noir sous la sculpture  de la queue de baleine qui borde l’Avenue du 25 septembre à Puerto Piramides. Cette date a été déclarée Journée internationale de la baleine en hommage à une baleine franche australe venue s’échouer en 2003 dans la baie de ce hameau de 500 âmes, perdu au fond de la Patagonie argentine. C’est le seul et unique village de la Péninsule Valdes, une réserve naturelle où les baleines viennent se reproduire entre juillet et décembre et qui abrite aussi, selon les saisons, pingouins, éléphants et lions de mer, dauphins, orques, guanacos (une sorte de lama) et d’autres animaux marins et terrestres protégés.

A l’autre bout de la plage, la meseta (haut plateau) qui plonge directement dans la mer et l’absence quasi-totale de végétation donnent à la petite baie un aspect lunaire, complètement surréaliste. Une petite maison qui sert à recueillir l’eau de mer pour l’usine de désalinisation porte une inscription aux couleurs criardes, qui attire mon attention dans la lumière rosée du soleil couchant « Non c’est non ». « Que signifie cette inscription ? » je demande à la vendeuse d’empanadas dans un petit snack près de la plage. « Je ne sais pas, cela doit être pour la question de la femme…», me réponde-elle évasive. Possible en effet, vu les inscriptions et murales contre le patriarcat qui ornent les deux ou trois rues, dont l’Avenida de las Ballenas [l’avenue des baleines !], de ce petit village du bout du monde, décidément très militant. Rentrant à pied sur la plage, en essayant de ne pas glisser sur les algues laissées par la marée basse et qui donnent l’impression de marcher sur un gazon en bord de mer, je pose à nouveau la question à un vieil homme buriné, qui promène son chien dans le vent capricieux de Patagonie. « C’est contre l’extraction minière », me répond-il sans hésitation. Ils ont beaucoup de projets dans la région. » Et ce n’est pas bien l’extraction minière ? Vous n’en voulez pas ? Je continue. « Non, c’est pas bien », me répond-il, hochant la tête.

Extraction minière refusée par plébiscite à 81%

De retour au village, voulant en avoir le cœur net, je pose la même question à d’autres habitants et la réponse est toujours la même: non aux méga projets miniers ! Certes, lors d’un séminaire à Buenos Aires, il y a deux mois, j’avais entendu parler par des associations locales de l’opposition aux projets miniers en Patagonie,  mais je ne pensais pas qu’elle était aussi généralisée.

En Argentine, Etat fédéral, la législation minière est du ressort des provinces. A Chubut, la province où se trouve la Péninsule Valdes, eut lieu en 2003, dans le village d’Esquel, le premier plébiscite de la République pour décider si la population autorisait l’extraction de l’or et de l’argent dans les environs. Et la réponse fut sans appel : 81% de non. Quelques mois plus tard, une loi fut adoptée pour interdire les mines à ciel ouvert dans toute la province. Mais  depuis lors, les tentatives de relancer et autoriser cette activité n’ont pas cessé, sous la pression des multinationales et selon le changement de gouverneur de la province et de gouvernement central – l’actuel, celui de Mauricio Macri,  y est très favorable. Au point que fin octobre de l’année passée, les directeurs de sept instituts scientifiques de Puerto Madryn, la capitale provinciale, ont signé une déclaration pour refuser le projet de « zonification » minière qui autoriserait cette activité dans plus de 60% du territoire. Ils y dénoncent, entre autres, le fait que le syndicat minier ASIJEMIN ait commencé à recueillir les curriculums des personnes intéressées à travailler dans les mines, où les places de travail sont précaires et la plupart des travailleurs amenés de l’étranger par les multinationales, selon un modèle économique qui ne crée pas de valeur ajoutée.

Selon le média en ligne El Malvinense, la province de Chubut recèle surtout de l’or et de l’uranium, que quatre entreprises canadiennes au moins ont l’intention d’exploiter. Les défenseurs de l’environnement s’inquiètent aussi d’un grand projet d’extraction d’argent, le Projet Navidad, par la multinationale canadienne Pan American Silver. Pour l’instant l’extraction minière est interdite, mais les tentatives de contourner ou modifier la loi vont bon train. Par ailleurs, une centrale nucléaire financée par la Chine va être construire dans la province voisine du Rio Negro, ce qui inquiète aussi les habitants de Chubut.

La megamineria pollue, les normes environnementales ne marchent pas

“Nous n’avons qu’un cours d’eau dans cette province, le fleuve Chubut, nous explique Liliana, une habitante de Puerto Piramides. Toute la province manque d’eau et l’extraction minière en nécessite beaucoup. Et elle pollue, malgré les prétendues précautions et respect des normes environnementales. Aujourd’hui il faut une nouvelle conscience environnementale sur toute la planète.Nous devons éduquer, nous respecter et respecter l’environnement pour les générations futures. A Piramides il y a une conscience écologique très forte. Pour l’instant on ne voit pas de pollution ici, même si dans le port de Puerto Madryn [à une centaine de kilomètres] Aluminio Argentino, une entreprise de production d’aluminium, pollue beaucoup. Nous avons les baleines, 200 km de réserves d’éléphants et lions de mers, des réserves de pingouins. C’est un lieu très spécial ici, un paradis naturel.”

ninsule Valdes, paradis sur terre

En effet, la Péninsule Valdes est un vrai paradis sur terre. On peut faire le tour en un jour, en voiture, et se promener sur la plage au milieu des pingouins, voir les éléphants et lions de mer nager avec une étonnante agilité, se vautrer nonchalamment sur le sable et se bagarrer souvent – chaque mâle a un harem comptant jusqu’à 100 femelles, les disputes sont fréquentes ! Avec un peu de chance, on peut voir passer des orques et des dauphins, croiser un guanaco qui court au milieu des arbustes jaunes balayés par le vent, tomber sur un pangolin perdu au milieu de la route, voir les flamands roses élégamment posés en bord de mer. En cette saison, faute de pouvoir observer les baleines, on peut même se risquer dans l’eau (plutôt fraîche!) lorsque la marée monte, toutes les douze heures. Aucun bruit ne vient rompre cette quiétude, à part le souffle du vent qui se lève à l’improviste, change les couleurs du ciel et de la mer et fait que les paysages, pourtant monotones, ne sont jamais tout à fait les mêmes. En Patagonie la terre est privée, souvent entre les mains de propriétaires étrangers. Dans la péninsule Valdes il y a 53 estancias [grandes fermes], dont le tiers appartient aux Ferro, une famille italienne venue exploiter les salines du sud de l’île. Sur cette terre aride, où rien ne pousse, on élève surtout les moutons merinos,  qui donnent la célèbre laine, à moins que les agneaux ne soient grillés sur une broche géante pour donner le succulent cordero patagonico.

Manifestations dans toute la province tous les 4 du mois

On comprend donc que les habitants aient une forte conscience environnementale. « Dans ce village nous sommes depuis longtemps contre l’intention d’installer de grands projets miniers dans la province de Chubut, nous explique Sonia, une autre habitante de Puerto Piramides. Certes, ils seraient dans la meseta, pas sur la côte, mais la pollution de l’eau nous affecterait quand même. Les entreprises minières viennent, nous prennent les ressources naturelles et nous laissent les problèmes environnementaux. A Madryn, à Trelew, les gens ordinaires, comme moi qui suis serveuse, ou le kiosquero [tenancier d’un petit kiosque où l’on vend toutes sortes de choses] du coin, ont une conscience citoyenne, ils veulent protéger les ressources naturelles, à commencer par l’eau douce. »

Tout le monde est donc contre ce projet ? « Oui, dans ce village je ne connais personne qui soit particulièrement en faveur, ou alors s’ils le sont, ils n’osent pas le dire, s’amuse-t-elle. Mais ailleurs aussi. Tous les 4 du mois, sur les places des villages de la province de Chubut, il y a une manifestation. C’est une lutte qui a commencé lorsqu’ils ont essayé d’installer une megamineria dans la zone de la cordillère [en 2003 à Esquel]. De là démarrèrent les assemblées citoyennes et les mouvements de gens ordinaires, qui se réunissent pour rendre visible cette lutte silencieuse. Car ceux qui sont en faveur de la megamineria ont beaucoup d’argent, ce sont des multinationales. Et tous les jours les médias parlent de la megamineria, de ses bénéfices, de tel politicien qui est en faveur… Mais personne ne fait attention à l’opposition d’un peuple entier. Pourtant à San Juan et Santa Marca, où il y a déjà des mines, c’est un désastre. A Vaca Muerta, dans la province de Neuquen, ils sont en train d’extraire du pétrole et du gaz par la technique du fracking, c’est un naufrage environnemental, la province n’en tire aucun bénéfice. »

Mercuria sur les rangs pour extraire du pétrole et du gaz à Vaca Muerta 

Dans la province voisine de Neuquen, toujours en Patagonie, ou l’extraction minière est autorisée, Greenpeace a dénoncé récemment un désastre environnemental. Sur les 10 pétroliers principaux, quatre sont étrangers – Total, Exxon, Shell et Vista Oil and Gaz.  L’américaine Chevron arrive en 10ème position. L’entreprise nationale argentine YPF détient 35% de la superficie. Mais les capitaux suisses arrivent aussi : Mercuria est sur les rangs pour y extraire du pétrole et du gaz.

 

 

 

La Patagonie menacée par les mines et les grands barrages

Photo: glacier du Perito Moreno, © Peter Dielmann

Dans la Patagonie argentine, une entreprise chinoise est en train de construire deux grands barrages qui menacent le glacier du Perito Moreno. Une multinationale canadienne pourrait exploiter la plus grande mine d’argent du monde. A Vaca Muerta, Chevron extrait du pétrole et du gaz par la technique controversée du fracking. Les résistances s’organisent, alors que les défenseurs des droits humains s’inquiètent de l’avancée des investissements chinois en Amérique latine.

L’entreprise chinoise Gezhouba est l’actionnaire majoritaire de Represas Patagonicas, un consortium qui est en train de construire les deux plus grands barrages d’Argentine : le Condor Cliff et La Barrancosa, sur le fleuve Santa Cruz, au sud de la Patagonie. Le projet avait été adjugé en 2008, sous l’ancienne présidente Cristina Kirchner, mais la crise économique – et une forte opposition des mouvements de protection de l’environnement et des peuples autochtones – avaient empêché l’avancement des travaux – jusqu’à l’entrée en scène du puissant financier chinois, qui a injecté 4’714 millions USD dans le projet. Après la réalisation d’une étude d’impact environnemental et la tenue d’un débat public en 2017, les travaux ont démarré.

« Beaucoup de gens avaient pourtant participé à cette audition publique pour dire qu’ils étaient contre le projet ! s’exclame Soledad Veron, du Movimiento Patagonia Libre, lors d’un atelier organisé le 28 novembre à Buenos Aires, dans le cadre de la semaine d’action contre le G20. Elle nous explique que Gezhouba est une entreprise détenue par l’Etat chinois. Or, comme la Chine n’a plus de rivières pour construire des barrages, le gouvernement conclut des contrats à tour de bras avec des pays étrangers pour pouvoir continuer à construire ailleurs. « Mais la rivière Santa Cruz est très fragile, ajoute-t-elle. Elle conflue dans le glacier du Perito Moreno, la troisième réserve d’eau douce au monde, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, qui est ainsi menacé. Les barrages vont couper la rivière, qui va devenir un lac. Celui-ci va venir frapper le mur du glacier et il peut causer des inondations ».

©  Movimiento Patagonia Libre

Le Movimiento Patagonia Libre s’oppose aux méga barrages et à l’extractivisme

Pour s’opposer à ce méga projet hydroélectrique et à l’avancée des politiques extractivistes en Patagonie, le mouvement s’est créé en 2017 à Pietra Buena (Santa Cruz), rassemblant des habitants d’El Chalten, d’El Calafate et d’autres lieux isolés de cette région du bout du monde. « En hiver il est très difficile de voyager dans nos terres, heureusement que les réseaux sociaux et internet nous permettent de garder le contact ! », fait remarquer Soledad. En plus des dégâts environnementaux, le collectif dénonce la perte de la biodiversité, le manque de consultation des communautés Mapuche et Tehuelche et une clause du contrat, appelée « clause de défaut croisé», qui implique que lorsqu’un débiteur entre en situation de défaut sur l’un de ses prêts, il entre automatiquement en situation de défaut dans les autres projets qui contiennent la même clause. Ce qui, de fait, lie les mains de l’Etat argentin qui, même s’il le voulait, aurait beaucoup de peine à arrêter le projet.

« Le gouvernement mise sur l’extractivisme et l’exploration minière pour sortir de la crise, mais nous savons que ces entreprises créent des emplois précaires, qui ne durent que quelques années, après les travailleurs se retrouvent à la rue, s’exclame Soledad. Genzhouba est en train d’amener tout de Chine, cette construction ne bénéficie à personne à part le gouvernement chinois, pourtant on est en train de s’endetter et de polluer l’environnement. D’ailleurs la province de la Rioja [nord de l’Argentine], qui est celle où il y a le plus de mines, est la plus pauvre du pays ! »  

15 investissements chinois violeraient les droits humains en Amérique latine

Gezhouba est l’entreprise qui a construit le barrage des Trois Gorges en Chine, le plus grand du monde, pointé du doigt pour les conséquences environnementales désastreuses qu’il a eu sur le fleuve Yangtzé. Elle a été sanctionnée par la Banque mondiale pendant 18 mois pour mauvaise pratique, fraude et corruption dans différents projets. Face à l’influence croissante de la Chine en Amérique latine, 21 organisations de la société civile régionale s’inquiètent de la participation d’entreprises chinoises dans le développement de projets miniers, énergétiques et d’infrastructures. Dans une note, elles les accusent de faire fi des mécanismes de diligence raisonnable prévus par les Nations Unies pour garantir le respect des droits humains des communautés affectées. Bien que les investissements chinois soient particulièrement opaques et difficiles à détecter, les militants estiment qu’au moins 15  à 18 projets violent les droits des populations autochtones et menacent l’environnement sur le continent, dont huit en Equateur, quatre au Pérou, un en Bolivie, un au Brésil et ledit projet de méga-barrages en Argentine. En 2017, le Comité de l’ONU sur les droits économiques, sociaux et culturels a estimé qu’un Etat doit adopter les mesures adéquates pour s’assurer que ses entreprises, qu’elles soient publiques ou privées, respectent les droits économiques, sociaux et culturels, particulièrement lorsqu’elles travaillent à l’étranger. Or, pour ces défenseurs des droits humains, la Chine n’est pas en train de remplir ses obligations extraterritoriales.

Baleine à Puerto Madryn, avec la Meseta en arrière-plan

Mine d’argent prête à être exploitée par une entreprise canadienne, malgré l’interdiction de la loi

Au nord de la Patagonie, ce sont surtout les entreprises minières canadiennes qui suscitent l’indignation des défenseurs de l’environnement. Dans la province du Chubut, connue pour la réserve de la Péninsule Valdes, qui abrite des baleines, pingouins, orques, éléphants de mer et autres animaux marins menacés, « le gouvernement est en train d’explorer la possibilité de confier l’exploitation d’une mine d’argent, le projet Navidad, à l’entreprise canadienne Pan American Silver, alors même que l’exploitation minière à ciel ouvert est interdite dans cette province. Ce serait la plus grande du monde et l’extraction du métal se ferait par le cyanure, qui est extrêmement polluant! » S’indigne Pablo Ceballos, de l’Asamblea de Puerto Madryn, présent au même atelier.

Pan American Silver, géant minier basé à Vancouver, possède des mines aux Etats-Unis, au Pérou, en Bolivie, au Mexique et trois en Argentine, dont celle de Navidad, prête à être exploitée, mais qui se heurte (pour l’instant) à la loi de la province de Chubut – en Argentine l’exploitation minière relève de la législation provinciale.

L’Asamblea de Defensa del Territorio relève que sur les 22 millions d’hectares que compte la province,  4 millions ont déjà été octroyés à des concessions minières et 130 projets supplémentaires sont en cours de préparation. L’association de défense du territoire s’indigne que l’exploitation minière consomme des millions de litres d’eau, alors que dans la région de la meseta (haut-plateau), l’eau manque déjà cruellement. Elle accuse l’extraction minière d’augmenter la sécheresse de la Patagonie, en entraînant la diminution des pluies, la baisse du débit des rivières et des ruisseaux, la baisse du niveau des nappes phréatiques et, au final, l’augmentation de la température moyenne de la planète

Vaca Muerta : pétrole et gaz exploités (entres autres) par Chevron

Un autre investissement qui inquiète les défenseurs de l’environnement est celui de Chevron à Vaca Muerta, dans la province de Neuquen, au nord de la Patagonie. L’entreprise étasunienne, déjà accusée d’avoir pollué l’Amazonie équatorienne, est en train d’exploiter un immense gisement de pétrole et de gaz par la technique de la fracturation hydraulique. « Les habitants commencent à avoir des problèmes respiratoires. L’accord entre Chevron et l’Argentine contient des clauses secrètes. Ce gouvernement a promis qu’il allait les révéler avant d’être élu, mais il n’a rien fait! », accuse Pablo  Cevallos.

« L’exploitation du gisement de Vaca Muerta par Chevron permet à l’élite nationale de multiplier par deux ou trois le prix du gaz et du pétrole, s’indignait le sénateur Fernando Solanas, président de la Commission Environnement et développement durable du Sénat argentin, lors d’une rencontre avec la presse le 27 novembre à Buenos Aires. Aujourd’hui, l’Argentine paie le gaz le plus cher au monde, alors même qu’elle en produit. L’adoption de ce système a entraîné la dollarisation des tarifs énergétiques. Pourquoi faut-il dollariser l’énergie si elle est extraite en Argentine et alors que nous n’en importons quasiment pas? Nous sommes en train de  perdre notre souveraineté.»

 

Voir aussi la suite de cet article, Extraction minière à Chubut en Patagonie: “non c’est non”! du 13 janvier 2019