La gouvernance internationale de la migration prête à prendre un nouveau départ

Les négociations autour du Pacte mondial sur la migration, co-facilitées par la Suisse et le Mexique, viennent de se terminer. S’il est adopté en décembre, ce pacte devrait constituer un cadre radicalement nouveau destiné à promouvoir une migration sûre et régulière. La Plateforme de la société civile suisse sur la migration et le développement est confiante.

Au moment où les frontières se ferment, les murs se dressent et les partis xénophobes sont démocratiquement élus dans un nombre croissant de pays, une initiative multilatérale, facilitée par la Suisse et le Mexique aux Nations Unies, prend cette tendance à contre-pied en proposant un cadre pour une migration sûre, ordonnée et régulière. Très peu connu du grand public, le Pacte mondial sur la migration est un processus onusien, lancé en septembre 2016 – soit en pleine crise migratoire -, qui a débouché sur un texte articulé autour de 23 objectifs, finalisés en juillet 2018 à New York. Il devrait être paraphé à Marrakech au mois de décembre prochain.

« Ce texte est très important car il propose une vision pour une gouvernance migratoire plus cohérente et complète. Le pacte propose une approche globale intégrant les différentes dimensions et problématiques liées à la migration et base cette vision sur les droits humains », nous explique Peter Aeberhard, coordinateur de la Plateforme de la Société Civile Suisse sur Migration et Development,  une coalition de 80 ONG suisses qui accompagne le processus depuis le début. « En Europe, aux Etats-Unis et en Australie le discours sur la migration consiste à dire qu’il faut s’en protéger. Or le Pacte mondial couvre les différentes facettes de la migration et vise aussi à encadrer et mieux protéger les migrants. L’Agenda 2030 pour le développement durable rappelle que la mobilité humaine, la migration, contribue au développement. Les gens travaillant hors de leur pays d’origine doivent donc être protégés, et leurs accès aux droits universels respectés et garantis. Mais attention, le Pacte dit aussi que la migration ne doit jamais être la conséquence du désespoir, les gouvernements doivent donner aux gens la possibilité de rester chez eux, d’y avoir des perspectives réelles».

La migration, une nécessité économique pour les pays de destination aussi

Le texte contient 23 objectifs  articulés autour d’engagements concrets, visant à augmenter l’information sur la migration, la coopération sur la gestion des frontières, combattre le trafic d’êtres humains, mais aussi assurer l’existence et la disponibilité des voies de migration régulière ; faciliter un recrutement juste et les conditions pour un travail décent ; minimiser les facteurs structurels qui obligent les gens à quitter leur pays ; sauver des vies ; réduire autant que possible la détention des migrants comme modalité de dernier ressort ; créer les conditions pour que les migrants et la diaspora contribuent au développement durable de tous les pays ; éliminer toutes les formes de discrimination ; investir dans le développement des compétences et faciliter la reconnaissance mutuelle des diplômes ; collaborer sur l’épineuse question du retour, etc.

« La migration est une nécessité économique, comme l’a affirmé le rapport de Peter Sutherland, Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU sur la migration internationale (et ancien directeur de l’OMC) » ; ajoute Peter Aeberhard. « L’économie suisse a besoin de migrants. Certains sont acceptés, d’autres pas. Or les migrants irréguliers ont eux aussi des droits, il ne faut pas les criminaliser. C’est un narratif nouveau, un discours constructif permettant de dépasser le discours polémique ambiant et discriminant à l’égard des migrants ».

Est-ce donc à dire qu’il faut accueillir tout le monde ? « Ce n’est pas la question – philosophique – auquel le pacte tente de répondre, précise Pascal Fendrich, coordinateur adjoint de la plateforme. Le texte actuel ne porte aucunement atteinte à la souveraineté des Etats, il propose une approche pragmatique et un cadre de coopération internationale sur des dimensions majeures de la migration. Faciliter et encadrer la migration régulière est une façon de répondre aux besoins de l’économie, d’introduire une gouvernance migratoire active et responsable, mais aussi de lutter contre le marché noir profitant de la migration irrégulière. Réduire les frais liés aux transferts de fonds entre les migrants et leurs familles, c’est permettre à la migration de contribuer aussi au développement des pays d’origine. »

80 organisations hétérogènes réunies dans une plateforme

Que fait donc la Plateforme de la société civile suisse, qui regroupe des acteurs assez hétérogènes tels que des organisations de développement, de défense des droits humains, de la diaspora, des académiciens, des syndicats, bref des organisations qui n’ont pas l’habitude d’échanger sur cette thématique ? « Nous avons participé aux consultations avec la société civile internationale. Nous avons mené un dialogue – fructueux – avec des représentants de la Suisse, préparant la position officielle de la Suisse.  Dès le mois de décembre, notre ambition est d’accompagner la mise en œuvre des engagements », nous explique Pascal Fendrich. Le texte devrait être signé en l’état, mais la question est de savoir si certains grands acteurs vont se retirer. Les Etats-Unis l’ont déjà fait, la Hongrie a dit qu’elle n’allait pas signer. La Suisse a joué un rôle mobilisateur et apprécié dans les discussions et la construction d’un accord équilibré. Par la suite, il faudra s’assurer que les Etats mettent en œuvre leurs engagements, car ce n’est pas un traité international contraignant »

Mais ce texte est-il réaliste, vue la situation politique actuelle dans les pays d’immigration? « Le discours ambiant est assez toxique, concède Peter Aeberhard, mais il ne donne pas vraiment de réponses. On sait qu’il ne va aboutir à rien. »

« Est-ce que continuer avec le discours de la forteresse est réaliste et souhaitable ? renchérit Pascal Fendrich. On peut renverser le poids de la preuve. Le discours actuel est incomplet. Des drames humains pourraient être évités. En toile de fonds, on oublie la contribution à la fois historique et actuelle de la mobilité au développement économique, mais aussi culturel ou social. Ce Pacte est une étape. Malgré le contexte international, la défection américaine, on a un cadre référentiel qui donne un levier. Nous ne sommes pas entièrement d’accord avec certaines dispositions. Mais elles sont les fruits d’un compromis. Ce n’est pas un renversement total, mais un pas en avant, une dynamique positive de collaboration »

Dans tous les cas, ce Pacte a déjà le mérite d’exister.

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La Plateforme de la société civile suisse sur migration et développement est un projet lancé en 2015 par Caritas Suisse et Helvetas. Terre des Hommes et le World Trade Institute (Université de Berne) sont partenaires stratégiques.