Place des Nations, carrefour des peuples pour la paix

Photo © Isolda Agazzi

Des militants mauriciens se sont rassemblés devant l’ONU pour dénoncer la construction d’une base militaire indienne à Agaléga, dans l’Océan Indien. A l’instar d’innombrables défenseurs des droits humains qui viennent à Genève du monde entier 

C’est un de ces événements lourds de sens dont Genève a le secret, passablement méconnus de la population locale et ignorés par les médias : des militants du monde entier venus à la Place des Nations comme d’autres vont à Lourdes, dans l’espoir que l’ONU mette fin à la violation de leurs droits et garantisse la paix. Confiants de pouvoir manifester en toute sécurité dans un pays où l’on peut tout dire sans risquer sa vie.

Samedi 17 septembre, c’était au tour d’un groupe de Mauriciens de se rassembler sous la Chaise cassée, qui célèbre ses 25 ans cette année. Dans les premiers frimas de l’automne, ils étaient venus dénoncer ni plus ni moins que la militarisation de l’Océan Indien. Car l’Inde serait en train de construire une infrastructure militaire au beau milieu de ce plan d’eau qui a toujours servi de trait d’union entre l’Afrique, l’Asie et le monde arabe et qui a été déclaré zone de paix par l’ONU. A Agaléga précisément, un minuscule confetti de 11 km de large appartenant à Maurice.

Comme la base militaire américaine de Diego Garcia ?

Un petit paradis qui risque de se transformer en enfer, à les entendre. «Nous ne voulons pas de base militaire à Agaléga, alors qu’il y en a déjà une à Diego Garcia ! », s’exclame Padma Utchanah, leader du Ralliement citoyen pour la patrie, en référence à la base militaire américaine située sur l’archipel des Chagos. Les manifestants tenaient à souligner «l’hypocrisie » du premier ministre mauricien qui, quelques jours plus tard, allait se rendre à l’ONU à New York pour plaider la cause de ce territoire disputé par Maurice et le Royaume Uni. « La construction de cette base est une atteinte à la souveraineté de Maurice et une ingérence dans ses affaires intérieures », continue la politicienne. « L’Inde va l’utiliser pour espionner d’autres grandes puissances et notamment la Chine car les deux pays se disputent l’Océan Indien. Mais nous sommes non alignés, nous ne voulons pas que notre pays devienne un théâtre de guerre. »

Arnaud Poulay, un musicien agaléen qui avait interrompu sa tournée en France pour venir manifester à Genève, renchérit : « Nous ne sommes que 300 habitants à Agalega, mais le gouvernement nous pousse à partir d’une manière ou d’une autre. Nous ne pouvons même pas acheter un terrain car il veut les céder aux Indiens ou nous en priver. Il y a beaucoup de militaires indiens, de travailleurs, nous voyons bien qu’ils sont en train de construire une piste d’atterrissage de 3 km !»

Avec Mario Pointu, un autre militant mauricien, il a remis une lettre à l’ONU et au Haut-Commissariat aux droits de l’homme.

« Colonisation silencieuse de Maurice par l’Inde »

Pourtant le gouvernement mauricien nie la construction de cette base. « Nous demandons la transparence à notre gouvernement, ajoute Percy Yip Tong, un militant de la première heure.  L’Inde et Maurice auraient signé un traité vers 2015 dont nous ne connaissons toujours pas le contenu, malgré les demandes répétées de l’opposition. En tout état de cause, il y a un accord au moins tacite. Il y a une dérive autoritaire dans ce pays. Aujourd’hui déjà, les femmes n’ont même plus le droit ou la possibilité d’accoucher à Agaléga. »

Jean Wolf, un Mauricien venu spécialement d’Angleterre, précise que ce drame humain et écologique est la conséquence de la bataille géopolitique entre puissances étrangères dans l’Océan Indien, notamment entre l’Inde et la Chine, mais aussi les États-Unis et la France, entre autres.

Padma Utchanah, qui a manifesté récemment toute seule devant l’Hôtel du Gouvernement à Port-Louis, dénonce la « colonisation silencieuse » de Maurice par l’Inde, à commencer par les prêts massifs dont personne ne connaît véritablement les conditions. « Le Premier ministre, Pravind Jugnauth, est fautif, mais le Premier ministre indien, Narendra Modi, a sa part de responsabilité aussi. Les premiers coups de pioche à Agalega ont eu lieu en 2019. Si toutes les oppositions, notamment parlementaires, avaient dit stop, on n’en serait pas là. Cette petite île va faire face à un massacre écologique. Aujourd’hui déjà, ce ne sont plus les étoiles que les habitants voient, mais les grues. Modi et Jugnauth polluent, par leurs actions concertées, notre biodiversité marine. Ils sont coupables d’écocide », conclut-elle.

Toute la question est de savoir si les miracles existent. Autrement dit, si l’ONU, va prêter l’oreille à ces militants, comme à tous ceux qui, pleins d’espoir, prennent le chemin de Genève des quatre coins de la planète.