Accord d’investissement avec l’Indonésie : des progrès, mais peut mieux faire

Photo: malgré quelques améliorations, le nouvel accord est toujours déséquilibré en faveur des investisseurs étrangers © Isolda Agazzi

Le nouvel accord de protection des investissements entre la Suisse et l’Indonésie permet à priori de réglementer dans l’intérêt public, mais il est assorti de dispositions qui pourraient réduire cette possibilité à néant

 L’Indonésie est l’un des rares pays à avoir dénoncé pratiquement tous ses accords de protection des investissements (API) – y compris celui avec la Suisse en 2016 – après avoir fait face à des arbitrages qui lui ont couté des millions de dollars. Mais dans les renégociations Djakarta fait face à l’opposition des pays industrialisés, sans compter que son nouveau modèle d’accord ne contient pas certaines des innovations fréquentes dans la pratique récente des traités d’investissement.

La Confédération aussi a renégocié un nouveau traité, mis en consultation pour la première fois à l’été 2022. « Le nouvel accord de protection des investissements entre la Suisse et l’Indonésie contient des innovations importantes et reprend de bonnes pratiques récentes. Par rapport à l’ancien, il constitue un progrès indéniable, mais pour un accord conclu en 2022, il était possible d’aller plus loin sur certaines aspects », nous déclare d’emblée Suzy Nikièma, la responsable des investissements durables à l’Institut international pour le développement durable (IISD), un Think Tank international qui fournit de l’assistance technique et des opportunités de collaboration, conduit des recherches et propose des solutions pour que les investissements soient des vecteurs du développement durable.

Traités ne promeuvent pas le développement durable

Aujourd’hui, tout le monde s’accorde sur le fait que ces traités d’investissement posent un problème, mais quoi faire ? Comme le note Suzy Nikièma, « ils ont été conçus dans le contexte de la décolonisation et de la guerre froide pour protéger les droits des investisseurs opérant à l’étranger, à une époque où le développement durable n’était pas une préoccupation centrale. Il est donc crucial de repenser le rôle, la valeur ajoutée et le contenu de ces puissants instruments à l’aune des enjeux et des objectifs actuels ».

Comme le note également Josef Ostřanský, Conseiller en droit et politique des investissements à IISD, le traité a une définition large de l’investissement et ne fait pas de distinction entre investissement polluant à forte intensité de carbone et investissement à faibles émissions. Il s’agit là du principal problème de ce traité. En effet, il n’y a aucun moyen de filtrer les entreprises étrangères, donc le traité protégera même une entreprise minière suisse qui pollue en Indonésie. Il faut bien le reconnaître : cette distinction n’existe à ce jour dans aucun traité, mais la Suisse pouvait montrer la voie.

Investisseurs mieux définis, mais avec très peu d’obligations

La définition de l’investisseur, en revanche, devenue plus précise, permet d’éviter le treaty-shopping, à savoir le fait d’utiliser un traité plus favorable conclu par un autre pays. Est défini comme investisseur toute personne physique détentrice de la nationalité ou toute personne morale qui mène des activités économiques substantielles dans le pays, y est immatriculée et y dispose d’un siège social.

En revanche, ces mêmes investisseurs sont soumis à très peu d’obligations : deux petits articles seulement sur 44 sont consacrés à la responsabilité sociale des entreprises et à la lutte contre la corruption, mais de façon purement exhortative. Ils ne précisent aucun mécanisme d’application ni aucune conséquence juridique de leur violation.

Des efforts ont été consentis pour clarifier le traitement juste et équitable, la clause de la nation la plus favorisée et le droit de réglementer. Mais-ceux-ci pourraient être réduits à néant par un article étonnant (37) qui stipule que les investisseurs peuvent se prévaloir du régime juridique le plus favorable applicable entre les parties. Il s’agit de l’une des dispositions les plus problématiques de l’API et, pour Alliance Sud, il faut la supprimer.

Plainte pour licence obligatoire exclue de la portée de l’expropriation

En revanche, Alliance Sud salue le fait que l’API spécifie dans l’Annexe A que les mesures réglementaires d’intérêt public visant à protéger la santé publique, la sécurité et l’environnement ne puissent pas être considérées comme une expropriation indirecte et donner lieu à des compensations financières. Mais certaines formulations pourraient en réduire drastiquement l’impact, car il ajoute « sauf en de rares circonstances où l’impact d’une mesure ou d’une série de mesures est si grave au regard de leur but qu’elles semblent manifestement excessives ». Il faut supprimer cette partie de l’annexe A !

En revanche, l’art. 7 al. 6 est le bienvenu, car il prévoit que l’expropriation indirecte ne s’applique pas à la délivrance de licences obligatoires accordées conformément à l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Alliance Sud a dénoncé à maintes reprises la pression exercée par la Suisse sur la Colombie pour qu’elle renonce à émettre une licence obligatoire du Glivec (un anti-cancéreux fabriqué par Novartis), tout comme la menace de plainte de Novartis contre la Colombie sur la base de l’API Suisse – Colombie. Le nouvel article devrait rendre ce genre de plaintes impossibles.

ISDS toujours là

Finalement, l’un des principaux problèmes du nouveau traité est que le mécanisme de règlement des différends investisseur – Etat (ISDS) par voie d’arbitrage est toujours là. Il n’y a pas non plus d’obligation de recourir aux tribunaux nationaux, et encore moins d’épuiser au préalable les voies de recours internes. La participation de parties tierces au litige comme pour l’amicus curiae (amis de la cour) n’est pas prévue et la médiation, bien qu’envisagée, reste facultative.

Alliance Sud a pourtant travaillé avec Rambod Behboodi, un avocat de droit international, pour élaborer une proposition visant à renforcer et à promouvoir la conciliation et la médiation dans les plaintes commerciales et d’investissement. La proposition, élaborée principalement dans l’optique de l’OMC, comporte des éléments structurels et institutionnels transposables aux traités d’investissement, moyennant quelques adaptations.

Ne pas inclure l’ISDS dans un traité d’investissement est possible. Comme l’indique Abas Kinda, Conseiller en droit international à l’IISD, « le nouvel modèle d’accord du Brésil met l’accent sur la prévention, la médiation et le règlement des différends d’Etat à Etat et ne prévoit pas l’ISDS ».


Cet article a été publié dans Global, le magazine d’Alliance Sud

L’huile de palme sur une pente glissante

Photo: Militants de l’association indonésienne Wahli © Miges Baumann

La coalition suisse sur l’huile de palme demande d’exclure ce produit controversé de la négociation de l’accord de libre-échange avec l’Indonésie, qui touche à sa fin. A Bruxelles, le parlement européen vient de décider de l’exclure du quota d’agro-carburants d’ici 2021.

 

Sale temps pour l’huile de palme. Cette huile végétale, qui entre dans la composition de près de la moitié des produits alimentaires, cosmétiques et de nettoyage qu’on trouve dans les supermarchés, en raison de son faible coût, de sa résistance à la chaleur et de son rendement exceptionnel, est produite à 90% en Indonésie et en Malaisie. Dès lors, elle représente un produit stratégique pour les gouvernements de ces deux pays, mais aussi la principale pierre d’achoppement dans les négociations des accords de libre-échange avec la Suisse (par le biais de l’AELE, l’Association européenne de libre-échange). Actuellement, l’importation d’huile de palme est frappée d’un droit de douane de 100%, qui vise surtout à protéger les producteurs suisses de colza et de tournesol. L’Indonésie et la Malaisie demandent de baisser drastiquement ce tarif douanier, voire de le ramener à zéro, ce qui a créé une levée de boucliers. Pas moins de 23 interventions ont été déposées au Parlement depuis 2010, date du début des négociations avec l’Indonésie. Celles-ci, précisément, sont à bout portant, alors que celles avec la Malaisie ont pris un peu de retard.

Aujourd’hui même, la coalition suisse sur l’huile de palme, qui comprend douze organisations paysannes, de développement – dont Alliance Sud – de protection de l’environnement et des consommateurs, a publié une lettre ouverte au Conseiller fédéral Johann Schneider – Amman et aux ministres indonésiens compétents, pour demander d’exclure l’huile de palme de l’accord avec l’Indonésie. Concrètement, cela veut dire ne pas baisser les droits de douane pour faciliter encore davantage l’importation de ce produit controversé. Car cela entraînerait une augmentation de la production, qui pose d’énormes problèmes du point de vue environnemental, social, des droits humains et des droits du travail : déforestation, pollution, diminution de la biodiversité, confiscation des terres, violation des droits des communautés locales et des travailleurs…. La liste des griefs est longue.

Les signataires s’opposent aussi à la prise en compte de tout label prétendument durable sur l’huile de palme, dont le célèbre RSPO (Table-ronde sur l’huile de palme durable), une initiative volontaire créée à Zurich en 2004 et qui regroupe aujourd’hui plus de 2’000 membres, issus surtout du secteur privé, mais aussi quelques ONG comme le WWF. Le problème du RSPO est notamment qu’il autorise certaines formes de déforestation, que ses lignes directrices sont vagues et que son mécanisme de contrôle et de plainte est faible. La lettre a été signée aussi par l’association indonésienne Wahli, membre d’Amis de la terre Indonésie, qui vient de soutenir la plainte de deux villages indonésiens contre le RSPO auprès du point de contact suisse auprès de l’OCDE. Les communautés villageoises reprochent à RSPO de ne rien faire contre la déforestation occasionnée par une société malaisienne, pourtant membre du label, à West Kalimantan.

A Bruxelles, les nuages s’amoncellent aussi. Après que des ONG indonésiennes ont demandé d’exclure l’huile de palme des négociations de l’accord de libre-échange avec l’UE, fin janvier le parlement européen a voté pour l’exclure du quota européen d’agro-carburants d’ici 2021. Il va devoir convaincre la commission européenne et le Conseil européen, qui ne sont pas du même avis, mais ce vote a déjà jeté un froid sur les négociations de l’accord de libre-échange avec la Malaisie.

On va voir qui, de la Suisse ou de l’UE, va coiffer l’autre au poteau en concluant la première des accords de libre-échange avec les deux principaux producteurs d’huile de palme au monde. Cela pourrait bien être la Suisse, mais il faut alors qu’elle ne le fasse pas au détriment de la biodiversité, des droits humains et des droits des communautés locales. Cela pourrait créer un dangereux précédent.