Place des Nations, carrefour des peuples pour la paix

Photo © Isolda Agazzi

Des militants mauriciens se sont rassemblés devant l’ONU pour dénoncer la construction d’une base militaire indienne à Agaléga, dans l’Océan Indien. A l’instar d’innombrables défenseurs des droits humains qui viennent à Genève du monde entier 

C’est un de ces événements lourds de sens dont Genève a le secret, passablement méconnus de la population locale et ignorés par les médias : des militants du monde entier venus à la Place des Nations comme d’autres vont à Lourdes, dans l’espoir que l’ONU mette fin à la violation de leurs droits et garantisse la paix. Confiants de pouvoir manifester en toute sécurité dans un pays où l’on peut tout dire sans risquer sa vie.

Samedi 17 septembre, c’était au tour d’un groupe de Mauriciens de se rassembler sous la Chaise cassée, qui célèbre ses 25 ans cette année. Dans les premiers frimas de l’automne, ils étaient venus dénoncer ni plus ni moins que la militarisation de l’Océan Indien. Car l’Inde serait en train de construire une infrastructure militaire au beau milieu de ce plan d’eau qui a toujours servi de trait d’union entre l’Afrique, l’Asie et le monde arabe et qui a été déclaré zone de paix par l’ONU. A Agaléga précisément, un minuscule confetti de 11 km de large appartenant à Maurice.

Comme la base militaire américaine de Diego Garcia ?

Un petit paradis qui risque de se transformer en enfer, à les entendre. «Nous ne voulons pas de base militaire à Agaléga, alors qu’il y en a déjà une à Diego Garcia ! », s’exclame Padma Utchanah, leader du Ralliement citoyen pour la patrie, en référence à la base militaire américaine située sur l’archipel des Chagos. Les manifestants tenaient à souligner «l’hypocrisie » du premier ministre mauricien qui, quelques jours plus tard, allait se rendre à l’ONU à New York pour plaider la cause de ce territoire disputé par Maurice et le Royaume Uni. « La construction de cette base est une atteinte à la souveraineté de Maurice et une ingérence dans ses affaires intérieures », continue la politicienne. « L’Inde va l’utiliser pour espionner d’autres grandes puissances et notamment la Chine car les deux pays se disputent l’Océan Indien. Mais nous sommes non alignés, nous ne voulons pas que notre pays devienne un théâtre de guerre. »

Arnaud Poulay, un musicien agaléen qui avait interrompu sa tournée en France pour venir manifester à Genève, renchérit : « Nous ne sommes que 300 habitants à Agalega, mais le gouvernement nous pousse à partir d’une manière ou d’une autre. Nous ne pouvons même pas acheter un terrain car il veut les céder aux Indiens ou nous en priver. Il y a beaucoup de militaires indiens, de travailleurs, nous voyons bien qu’ils sont en train de construire une piste d’atterrissage de 3 km !»

Avec Mario Pointu, un autre militant mauricien, il a remis une lettre à l’ONU et au Haut-Commissariat aux droits de l’homme.

« Colonisation silencieuse de Maurice par l’Inde »

Pourtant le gouvernement mauricien nie la construction de cette base. « Nous demandons la transparence à notre gouvernement, ajoute Percy Yip Tong, un militant de la première heure.  L’Inde et Maurice auraient signé un traité vers 2015 dont nous ne connaissons toujours pas le contenu, malgré les demandes répétées de l’opposition. En tout état de cause, il y a un accord au moins tacite. Il y a une dérive autoritaire dans ce pays. Aujourd’hui déjà, les femmes n’ont même plus le droit ou la possibilité d’accoucher à Agaléga. »

Jean Wolf, un Mauricien venu spécialement d’Angleterre, précise que ce drame humain et écologique est la conséquence de la bataille géopolitique entre puissances étrangères dans l’Océan Indien, notamment entre l’Inde et la Chine, mais aussi les États-Unis et la France, entre autres.

Padma Utchanah, qui a manifesté récemment toute seule devant l’Hôtel du Gouvernement à Port-Louis, dénonce la « colonisation silencieuse » de Maurice par l’Inde, à commencer par les prêts massifs dont personne ne connaît véritablement les conditions. « Le Premier ministre, Pravind Jugnauth, est fautif, mais le Premier ministre indien, Narendra Modi, a sa part de responsabilité aussi. Les premiers coups de pioche à Agalega ont eu lieu en 2019. Si toutes les oppositions, notamment parlementaires, avaient dit stop, on n’en serait pas là. Cette petite île va faire face à un massacre écologique. Aujourd’hui déjà, ce ne sont plus les étoiles que les habitants voient, mais les grues. Modi et Jugnauth polluent, par leurs actions concertées, notre biodiversité marine. Ils sont coupables d’écocide », conclut-elle.

Toute la question est de savoir si les miracles existent. Autrement dit, si l’ONU, va prêter l’oreille à ces militants, comme à tous ceux qui, pleins d’espoir, prennent le chemin de Genève des quatre coins de la planète.

La non-violence pour se connecter à l’humanité de l’autre

Femmes au Sud-Soudan © Nonviolent Peaceforce

Nonviolent Peaceforce aide à résoudre les conflits par la non-violence et la protection des civils par des civils, en établissant une relation de confiance. Rencontre avec sa directrice, Tiffany Easthom, à l’occasion du vingtième anniversaire de l’ONG genevoise

« Au Sud-Soudan, il y avait un conflit entre deux clans d’éleveurs de vaches qui durait depuis longtemps, alors les femmes ont décidé d’aller leur parler. Nous les avons accompagnées et sommes parties sur deux Land Cruisers en chantant pour nous donner du courage. Arrivées sur place, nous nous sommes assises sous le manguier et avons attendu. Pendant longtemps, rien ne se passait. A la nuit tombée, des jeunes hommes sont sortis de la brousse, maigres, armés. Ils nous ont demandé : pourquoi êtes-vous ici ? Les femmes leur ont répondu : nous voulons vous parler. Nos clans sont mariés entre eux, nous ne comprenons pas pourquoi nous continuons à nous tuer. Alors un garçon a commencé à pleurer, puis il a dit qu’il voulait rentrer chez lui. Les autres ont déposé les armes et nous avons commencé à discuter. Depuis ce jour-là, les violences ont cessé », nous raconte Tiffany Eastom, visiblement émue.

Nous rencontrons la directrice de Nonviolent Peaceforce à son siège genevois, à l’occasion du vingtième anniversaire de l’ONG qu’elle dirige, après avoir travaillé de longues années au Sud-Soudan, au Sri Lanka et au Liban. Créée il y a vingt ans en Inde, celle-ci cherche à résoudre les conflits par la non-violence en s’attaquant à leurs causes profondes. Loin de toute affiliation religieuse ou politique, elle vise à « se connecter à l’humanité de l’autre » en associant aux processus de paix les personnes ou groupes sociaux manquants – souvent les femmes et les enfants, mais aussi les personnes marginalisées ou les tribus non représentées.

Protection civile de paix (PCP)

Active au Sud-Soudan, au Soudan, en Irak, au Myanmar, aux Philippines, aux États-Unis et en Ukraine et forte de 500 employés, principalement nationaux, Nonviolent Peaceforce est le leader mondial d’une méthodologie appelée Protection Civile de Paix (PCP). Celle-ci se traduit par l’établissement de relations stratégiques et la réalisation d’activités non armées comme une présence pour réduire les risques et l’accompagnement des personnes menacées dans les lieux sensibles, par exemple les points d’eau où les tensions peuvent facilement exploser.

En Ukraine, l’ONG met l’accent sur les zones difficiles à atteindre, au sud-est de Kharkiv et d’Odessa. Elle travaille avec des communautés qui n’ont pas beaucoup de contacts avec les humanitaires, telles que les personnes âgées et handicapées qu’elle aide par exemple à se rendre dans les services publics pour obtenir de l’aide.

« Les ONG locales nous ont demandé de mettre en place des alertes précoces et de semer dès maintenant les graines de la paix, continue Tiffany Eastom. Nous ne fournissons pas d’aide matérielle, mais aidons à établir la confiance avec toutes les parties prenantes. Nous assurons par exemple une présence protectrice lors de la distribution de nourriture et allons parler à la communauté en amont pour essayer de diminuer la violence. »

Violences intercommunautaires aux Etats-Unis

Celle-ci ne se produisant pas seulement dans les pays du Sud, Nonviolent Peaceforce est présente aussi aux Etats-Unis. Après l’assassinat de George Floyd et l’embrasement de Minneapolis qui s’en est suivi, l’ONG a commencé à travailler sur la désescalade de la violence et à envoyer des équipes de protection dans les manifestations. A New York, à la demande de la Fédération américano-asiatique, elle a accompagné des personnes issues de cette communauté qui avaient fait l’objet d’agressions après que Donald Trump eut désigné le covid de « grippe chinoise. »

« Les conflits sont inévitables, mais la violence ne l’est pas, continue Tiffany Eastom. Gandhi et Martin Luther King sont les visages célèbres de la non-violence, mais ils ne parlent pas tellement à la jeune génération, il faut trouver d’autres façons de les sensibiliser. La non-violence est un travail difficile, mais Nonviolent Peaceforce a appris à s’adapter au mieux aux différentes circonstances, besoins et pratiques de chaque pays. Il faut du courage pour être dans une zone de conflit sans armes, mais lorsque les femmes et les enfants sont plus en sécurité, toute la communauté l’est. Si les femmes sont respectées, personne n’est touché. »


Une exposition de photos retraçant les 20 ans de l’organisation est visible au Parc des Bastions de Genève jusqu’au 3 octobre

 

Des combattants, pas des assassins

Photo: Sur l’île de Mindanao, aux Philippines, avec des combattants du Front de libération islamique Moro

Dans Une femme sur les terres des rebelles, Elisabeth Decrey Warner raconte l’histoire d’un projet inédit : amener les groupes armés à respecter le droit humanitaire, à commencer par l’interdiction des mines antipersonnel. Concrétisé dans l’Appel de Genève, une fondation qu’elle a créée et présidée pendant 20 ans 

« Vous venez de Genève ? Vous devez connaître Elisabeth Decrey alors, passez-lui le bonjour ! » nous lançait un ancien chef de guerre rencontré lors d’un récent voyage au Soudan. Si nous avions déjà constaté à plusieurs reprises que « Genève » est synonyme de paix et droits humains partout dans le monde, nous découvrions qu’Elisabeth Decrey est l’une de ses ambassadrices les plus aimées.

« Ambassadrice » au sens figuré, bien entendu, car cette militante de la première heure, qui est allée jusqu’à cacher des réfugiés chez elle, est d’abord une femme de terrain, à l’aise aussi bien au fond de la brousse que sur le perchoir du Grand Conseil genevois qu’elle a présidé. Pourtant rien ne prédestinait cette physiothérapeute de formation et mère de six enfants, dont quatre adoptés, à lancer un projet unique au monde, qui allait révolutionner le droit humanitaire : convaincre les groupes armés non étatiques à s’engager contre les mines antipersonnel. Une aventure de vingt ans qu’elle raconte avec cœur dans un livre passionnant qui vient de paraître, truffé d’anecdotes rocambolesques : Une femme sur les terres des rebelles.

Se fixer des objectifs sortis des rêves les plus fous

Celle qui déplore que les étudiant.es « peinent à oser se lancer sur des chemins inconnus, à inventer de nouvelles approches, à se fixer des objectifs sortis des rêves les plus fous », revenait en décembre 1997 de la Conférence de signature de la Convention d’Ottawa interdisant les mines antipersonnel. Elle y avait été invitée en tant que coordinatrice de la Campagne suisse contre lesdites mines, qui était membre d’une large campagne internationale réunissant près de 1’500 ONG du monde entier. Celle-ci avait fait pression sur les Etats pour qu’ils interdisent ces engins explosifs particulièrement pernicieux, qui tuent et mutilent les civils lorsqu’ils ne les empêchent pas de cultiver leurs champs, d’aller à l’école et de mener une vie normale. La Campagne internationale venait de recevoir le Prix Nobel de la Paix pour son impulsion à l’adoption de la Convention.

En survolant l’océan pour retourner chez elle, la Genevoise fut pourtant frappée par une évidence : la plupart des conflits modernes sont à caractère non international, à savoir que des armées régulières s’affrontent avec des rebelles. Donc, cela ne sert pas à grand-chose que les Etats s’engagent à interdire les mines si les groupes armés ne le font pas aussi. Mais comme un traité international n’engage que les Etats, il fallait créer un instrument spécifique pour les mouvements rebelles.

102 Actes d’engagement signés par des groupes armés

Si l’idée paraissait simple, sa réalisation s’avéra beaucoup plus compliquée. Elisabeth Decrey et deux compères décidèrent de créer une association sur un bout de table, dans un bistrot genevois. En vertu du droit suisse, il suffit pour cela de désigner un président, un secrétaire et un trésorier et de rédiger des statuts. Quant au nom, il était tout trouvé : Appel de Genève. Le siège fut installé dans une pièce vide du cabinet de physiothérapie de la présidente, ce qui donna lieu à quelques situations cocasses racontées dans le livre, comme lorsqu’une petite dame voutée, croisant un chef de guerre soudanais, lui demanda s’il était venu lui aussi se faire soigner le dos.

Après avoir frappé sans relâche à des portes closes et au bout d’interminables péripéties dont on se délecte, mais sans jamais abandonner « l’utopie, le rêve et le pragmatisme », Elisabeth Decrey et ses premiers collègues réussirent à convaincre des groupes armés aux quatre coins de la planète – dont le parti kurde du PKK et le Front Polisario du Sahara occidental – de signer des Actes d’engagement. Ils décidaient ainsi de détruire les stocks de mines, cesser de les utiliser, déminer les territoires qu’ils contrôlaient, aider les victimes et organiser des ateliers de sensibilisation aux dangers.

Ces actes – 102 à son départ de l’organisation – étaient déposés auprès de la Chancellerie du canton et l’association, devenue entretemps une fondation, organisa régulièrement des rencontres à Genève avec les signataires, ce qui générait au passage une émulation positive. « Il faut saluer le courage politique de la Confédération suisse et des autorités genevoises. Genève est probablement la seule ville au monde à pouvoir accueillir une réunion rassemblant ce type de participants », se félicite l’auteure. Malgré les difficultés, des mécanismes de contrôle furent mis sur pied, afin de s’assurer que les engagements étaient respectés : « Lorsque la confiance s’est installée, tout ou presque devient possible. »

Celle-ci surgissait parfois d’une façon inattendue : un jour, un chef militaire de l’armée philippine et un chef rebelle, ennemis jurés qui avaient toujours rêvé de s’entre tuer, s’adressèrent la parole pour la première fois derrière la porte close d’une cabane au milieu de nulle part, où ils attendaient l’issue d’une mission d’enquête.

Les femmes se battent pour davantage de droits

Malgré le scepticisme initial de quelques gouvernements, la fondation a toujours insisté sur « l’inclusivité et le dialogue avec tous », ce qui a parfois ouvert la porte à de futurs pourparlers de paix, comme l’a montré un forum en Colombie auquel participa même Francisco Galan, un chef rebelle de l’ELN que les autorités avaient laissé sortir de prison pour l’occasion.

Bien que très peu représentées dans les négociations, les femmes ne manquaient pas parmi les combattantes. « Les femmes nous disaient se battre pour davantage de droits et non pas pour un pouvoir élargi comme le faisaient les hommes », souligne Elisabeth Decrey, relevant que leur décision de prendre les armes est souvent motivée par une agression à caractère sexuel perpétrée par un agent de l’Etat. Et que les causes premières des conflits, selon elle, sont très souvent la violation des droits fondamentaux et les inégalités économiques et sociales.

La fondation décida assez rapidement de se lancer dans de nouveaux thèmes :  la prohibition des violences sexuelles et l’interdiction des enfants soldats. Ce qui s’avéra moins évident que prévu, comme les collaborateurs purent le constater en Syrie avec des mineurs qui n’avaient aucune envie d’être démobilisés : ils voulaient venger leur famille ou, pour les filles, échapper à la violence domestique et au mariage forcé.

Se mettre dans les souliers de l’autre

« Où est l’intérêt supérieur de l’enfant ? se demande alors perplexe Elisabeth Decrey. Si des enfants avaient choisi d’être soldats, quelles étaient leurs motivations ?» Était-elle victime de la « bien pensance » occidentale, d’un esprit naïf peace and love ? Elle mesure alors « le fossé immense qui sépare les bureaux feutrés de Genève et New York des réalités du terrain », mais continue à se faire guider par le pragmatisme et le terrain, sans se laisser influencer par des acquis théoriques parfois encombrants.

« Il faut réfléchir out of the box. Notre société fonctionne selon le prêt à porter, le prêt à manger, nous devons lutter pour qu’elle ne tombe pas dans le prêt à agir ». La solution : se mettre dans les souliers de l’autre pour le comprendre sans le cautionner ou souscrire à ses actions et « dénicher son petit fragment d’humain. »

La fondation commence ensuite à aborder de nouveaux sujets : déplacements forcés de population ; respect du patrimoine culturel dans les conflits ; protection des écoles et de la mission médicale. Elle sensibilise aux droits humains et au droit humanitaire des hommes et des femmes vivant dans les zones en guerre, notamment dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban. Elle lance des tutos en ligne sous le titre « Vous avez le droit d’être un combattant, mais vous ne devez jamais être un assassin » qui, assure l’auteure, ont un immense succès.

Elisabeth Decrey avoue que, ces dernières années, l’intensification de la lutte contre le terrorisme a compliqué la donne.  « Peut-être serait-il temps de réfléchir à d’autres moyens de prévenir les actes de terreur menés par des groupes armés que de les labelliser terroristes ».

Prochain défi : développer, un jour, la randonnée dans les territoires kurdes

Partie à la retraite en 2017, cette femme exceptionnelle a une certitude : il ne faut jamais laisser la peur freiner nos élans et nos convictions. Et une devise aussi : l’horizon n’est que la limite de notre vision. Son rêve : développer la randonnée dans les sublimes montagnes du Kurdistan irakien, afin de créer une source de revenu pour la population et des emplois de guides pour les combattants démobilisés. « Je décris ce projet au futur, pas au conditionnel, car je suis fermement décidée à la réaliser. Pour cela, il faut cependant que les armes se taisent car un tel programme ne pourra être mis en œuvre que sur des terres déminées et en paix. C’est hélas, encore loin d’être le cas », écrit-elle.

Nul doute que cette passionnée de montagne, habituée à aller toujours au bout de ses rêves, réalisera même celui-ci un jour, si la paix revient.


Le livre peut être commandé : (CHF 30.- + frais de port)

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Cet article a été publié dans Le Courrier

 

Le ciel s’assombrit pour les ONG genevoises

La plupart des ONG installées à Genève affirment ne pas trop souffrir de la crise du coronavirus, mais cela pourrait changer dès l’année prochaine. Elles saluent le formidable élan de solidarité du public et appellent l’Etat à continuer à les soutenir. Pour l’instant les autorités les écoutent, contrairement à d’autres pays

 

 Le 20 mai, Oxfam international annonçait le licenciement de 1’450 collaborateurs (1/3 de ses effectifs) et l’arrêt des opérations dans 18 pays. Si ses difficultés financières avaient  commencé il y a deux ans, suite au scandale de la pédophilie en Haïti, la baisse des dons résultant de la crise du coronavirus aura porté un grand coup à l’une des principales organisations de développement du monde. Ce n’est pas la seule: selon une étude publiée début mars, près de la moitié des ONG britanniques risquent de perdre leurs revenus volontaires et 1/3 leurs fonds tout court.

Quelle est la situation à Genève, qui abrite, selon les calculs, entre 400  et 750 ONG?  Début mai, le Centre d’accueil de la Genève internationale (CAGI) a envoyé un questionnaire à 450 ONG, auquel 120 ont répondu.

« 98% des ONG se disent impactées par la crise, mais plus de la moitié jugent cet impact  modéré, détaillait le 28 mai Julien Beauvallet, responsable du service ONG du CAGI, au Club suisse de la presse. Comme le Covid 19 est arrivé au printemps, qui est une période intense en conférences à Genève, ¾ d’entre elles ont dû diminuer leurs activités. La plupart ont réagi rapidement et mis en place des projets en lien avec le Covid 19, mais ¼ ont dû réduire leur personnel. »

Pourtant les perspectives sont très sombres : si pour l’heure l’impact financier est marginal (la plupart reçoivent des financements annuels ou pluriannuels), il y a une grande incertitude quant aux arbitrages budgétaires des donateurs (principalement des Etats et des organisations internationales) et à la place de la Genève internationale.

Chez les ONG de terrain, des dons qui pourraient ne pas durer

La plupart des ONG installées à Genève font du plaidoyer auprès de l’ONU. D’autres mènent des projets de développement sur le terrain, profitant de la synergie entre les nombreuses organisations humanitaires présentes en ville.

«Terre des Hommes Suisse travaille dans la protection de l’enfance dans une dizaine pays, explique Christophe Roduit, le secrétaire général. Si les enfants ne sont pas le visage de la pandémie, nous craignons qu’ils en soient les premières victimes. La crise risque de faire passer à la trappe les avancées des dix dernières années : en raison des mesures de confinement, 76% des élèves du monde entier ne vont plus à l’école. Beaucoup risquent de ne pas y retourner du tout et de devoir travailler, voire de tomber dans l’exploitation.»

40% des fonds de cette ONG proviennent de la Confédération et des cantons « qui ont fait preuve de beaucoup de flexibilité » et 60% des privés – particuliers, fondations, entreprises – « qui se sont montrés très fidèles. » Mais la grande menace réside dans des évènements grand public qui ont soit été annulés, comme la Fête de la musique et Paléo, soit sont incertains, comme la Marche de l’Espoir.

Même son de cloche chez Médecins sans Frontières (MSF), dont Liesbeth Aelbrecht, la directrice générale, salue « l’incroyable solidarité de la population, en Suisse et dans le monde ! » Ajoutant cependant que «nous sommes très inquiets pour 2021 car nos dons proviennent essentiellement du secteur privé, de fondations d’entreprise et de personnes comme vous et moi, et sans le face à face, cela va devenir compliqué.»

Une commission parlementaire propose d’augmenter le budget de la coopération

Quant aux financements publics, Genève représente la moitié des fonds alloués à la solidarité internationale par les collectivités locales suisses – un budget stable pour le canton et qui a même augmenté pour la ville. « Si on additionne les fonds du canton et de toutes les communes genevoises, on se rapproche des 30 millions de francs par an. Mais la question est de savoir si ces financements vont être reconduits », relève Stefan Davidshofer, du Global Studies Institute.

A Berne en tout cas, l’espoir est permis : le 27 mai, la Commission de politique extérieure du Conseil national a proposé de relever les crédits-cadres pour la coopération internationale de 241 millions de francs, par rapport au projet du Conseil fédéral, pour les années 2021 – 2024. Ces fonds supplémentaires correspondent à la somme totale nécessaire pour amener le taux d’aide publique au développement à 0,5 % du revenu national brut d’ici à 2024. Une augmentation qui, cependant, doit encore être acceptée par le Parlement.

« En Grande Bretagne, le gouvernement se retire du soutien aux ONG. En Suisse ce n’est pas le cas et c’est peut-être ce qui explique que la situation des associations y est moins inquiétante. Pour l’instant du moins», conclut Martial Paris, de WISE – Philanthropy Advisors.


Une version de cet article a été publié par Le Courrier

Directeur général de l’OMC, le job impossible

Roberto Azevedo a jeté l’éponge une année avant terme. A l’OMC, les Etats-Unis bloquent le fonctionnement de l’organe d’appel. La Suisse et d’autres pays viennent de proposer une procédure d’arbitrage provisoire. Pour Alliance Sud, il faudrait profiter de cette crise pour rendre le système de plainte, extrêmement coûteux, plus accessible aux pays les plus pauvres

Pour expliquer sa démission anticipée du poste de directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), plus d’un an avant la fin de son mandat, Roberto Azevedo a invoqué des « raisons familiales ». Rien d’étonnant de la part d’un homme qui a toujours terminé les conférences ministérielles en remerciant son épouse. Mais il faut dire que, dans le contexte actuel de guerre commerciale ouverte entre les Etats-Unis et la Chine, directeur général de l’OMC, c’est juste un job impossible.

Le principal blocage vient de l’organe d’appel, auquel les Etats membres peuvent s’adresser pour contester les sentences du mécanisme de règlement des différends, qui statue en première instance. Lorsqu’il fonctionne à plein régime, l’organe d’appel compte sept juges. Mais depuis décembre 2019 il n’en compte plus que deux car Washington s’oppose à la nomination des nouveaux juges, si bien qu’il ne peut plus fonctionner.

En droit international, le mécanisme de règlement des différends de l’OMC est l’une des rares instances capable de faire appliquer les règles qu’elle supervise (rien de tel n’existe pour les droits de l’homme, par exemple). Il est constitué par un panel de juges qui examinent la plainte déposée par un membre contre un autre et, le cas échéant, autorisent le membre lésé à adopter des sanctions à l’encontre de celui qui a violé la trentaine d’accords commerciaux qu’il supervise. Il est de plus en plus utilisé par les pays en développement, comme l’a montré la plainte du Brésil contre les Etats-Unis.

Le Brésil a gagné une plainte contre les Etats-Unis pour les subventions du coton

En 2002 le Brésil, dont l’ambassadeur auprès de l’OMC était un certain Roberto Azevedo, a porté plainte contre les Etats-Unis pour leurs subventions aux producteurs de coton. Deux ans plus tard, le mécanisme de règlement des différends a statué que 75% des subventions américaines étaient illégales. Les Etats-Unis ont contesté la sentence devant l’organe d’appel, mais en 2009 celui-ci l’a confirmée: il a autorisé le Brésil à adopter des sanctions contre les Etats-Unis à hauteur de 830 millions USD par an et ce même dans des secteurs autres que l’agriculture (comme les services et les droits de propriété intellectuelle sur la musique et les films).

Mais cela s’est traduit par une victoire à la Pyrrhus pour le Brésil, qui a renoncé aux sanctions et accepté que les Etats-Unis financent un institut de recherche brésilien sur le coton,  à hauteur de 147 millions USD par an. Les espoirs de ceux qui pensaient que les sanctions brésiliennes infléchiraient peut-être la politique cotonnière américaine ont été largement douchés: la Farm Bill adoptée peu après par les Etats-Unis prévoyait encore d’importantes subventions aux cultivateurs de coton. Ce au grand  dam, non seulement des producteurs brésiliens, mais encore plus des producteurs africains, qui souffrent d’un prix mondial du coton trop bas, notamment à cause de ces subventions.

Coût moyen d’une plainte : 500’000 USD

Même si les Etats-Unis ont gagné 90% des plaintes où ils étaient impliqués, ils accusent l’organe d’appel d’avoir créé du droit qui n’existe pas, d’être trop politisé et d’avoir dépassé son mandat initial – notamment parce qu’il a jugé contraires à l’OMC certaines mesures anti-dumping que les Etats-Unis appliquaient de bonne foi.

Washington reproche aussi à cet organe de ne pas respecter le délai de trois mois pour rendre ses sentences et le fait que des juges continuent à servir alors que leur mandat est arrivé à échéance. Ils critiquent aussi la tendance de l’organe d’appel à donner son avis sur les lois nationales, à considérer que ses sentences devraient faire office de jurisprudence et à interpréter des dispositions des traités de l’OMC.

Pour sortir de cette impasse, la Suisse et 18 autres membres de l’OMC ont lancé le 30 avril une procédure provisoire d’appel par voie d’arbitrage, mais il est encore trop tôt pour juger de son efficacité.

Pour Alliance Sud, il faudrait profiter de cette réforme potentielle pour faire en sorte que le mécanisme de règlement des différends profite davantage aux pays les plus pauvres, qui déposent très peu de plaintes.

Pour cela, il faudrait déjà réduire le coût moyen d’une plainte – 500’000 USD – pour les pays en développement, ou créer un fonds capable de financer ce montant, en complément du Centre consultatif sur la législation de l’OMC, sis à Genève, qui fournit des services juridiques à prix réduit aux pays en développement. Il faudrait aussi prévoir la possibilité que les pays riches paient une peine pécuniaire aux pays pauvres, au lieu que ceux-ci leur imposent des représailles qui sont la plupart du temps irréalistes. Finalement, il faudrait rendre les auditions du mécanisme de règlement des différends publiques et accessibles aux organisations de la société civile.

 

Des maires tunisiens à l’école de la démocratie directe

Huit maires tunisiens sont venus à Genève découvrir le système fédéral suisse. Dans le but, non de le copier, mais de s’en inspirer pour asseoir le processus de décentralisation et relever les nombreux défis de la jeune démocratie, à commencer par la gestion de l’environnement et la faiblesse de la participation citoyenne.

«Genève a été à la pointe de l’opposition à l’ancien dictateur Ben Ali», s’enthousiasme Jalel Matri, président de l’association Le Pont qui promeut des échanges citoyens entre la Suisse et la Tunisie. L’ONG a invité en Suisse 8 maires tunisiens de différentes sensibilités politiques pour rencontrer les autorités communales et fédérales, dans le but de les aider à mieux gérer leurs municipalités.

Jalel Matri poursuit: «Les défenseurs tunisiens des droits humains venaient aux réunions des organisations internationales et nous les avons soutenus et accompagnés dans leur combat. Depuis la révolution de 2011, nous aidons à construire la jeune démocratie depuis Genève.»

Membre de l’exécutif de la ville, Rémy Pagani abonde: « La Ville de Genève a une attache très forte avec la Tunisie car elle a toujours soutenu les opposants. Lors de sa première venue en Suisse, Moncef Marzouki, le premier président démocratiquement élu, est venu nous remercier personnellement.»

Le 12 juin, les maires – quatre hommes et quatre femmes – étaient invités au Palais Eynard (mairie) pour assister à une conférence du professeur de droit François Bellanger portant sur la décentralisation et la démocratie directe.

Premières élections municipales de l’histoire de la Tunisie

D’emblée, la décentralisation a été inscrite dans la nouvelle constitution tunisienne de 2014. En avril 2018, le parlement a adopté le code des collectivités locales et les premières élections municipales libres et démocratiques ont eu lieu le 6 mai 2018. Les conseils municipaux ont été élus pour cinq ans et ils ne sont donc pas concernés par les élections législatives et présidentielles qui se tiendront à la fin de cette année. Fiscalement, les communes tunisiennes sont partiellement autonomes: elles se financent en prélevant certains impôts, comme les taxes locatives et celles sur les terrains non bâtis, et en recevant des transferts de fonds de l’Etat. «Mais nous comptons avoir plus d’autonomie fiscale dans les années à venir», précisent les maires.

«Le code des collectivités locales n’est que le premier pas sur le chemin de la décentralisation. Une trentaine d’actes législatifs sont en cours de préparation pour le mettre en œuvre et transférer les compétences au niveau local. Nous ne sommes pas ici pour copier le modèle suisse, mais pour nous en inspirer dans notre transition démocratique», nous confie Faouzi Boussoffara, maire adjoint de Djerba Houmek Souk.

 « Processus irréversible », malgré la difficulté de faire participer la population

Son principal souci, c’est la gestion de l’énorme masse de déchets produits par le million de touristes qui visitent l’île de Djerba chaque année. «C’est un sujet de discorde, reconnaît-il. Il n’y a pas de solidarité au niveau du gouvernorat. On se dirige donc vers une structure intercommunale de gestion des déchets avec les trois communes de l’île à laquelle participeront es structures professionnelles, patronales et syndicales et les autres composantes de la société civile – une première en Tunisie.» Un souci largement partagé par les autres maires présents, très intéressés par la gestion des ordures en Suisse, où elle est du ressort des communes.

«Votre expérience de la démocratie directe est très jolie, mais notre problème, c’est le manque d’habitude des citoyens à participer à la prise de décisions, s’exclame Imen Sahnoun, maire adjointe de Al Ain, dans le gouvernorat de Sfax. Les citoyens sont réticents à participer aux élections. Le taux de participation est à peine de 30%. Dans les conseils municipaux, ils ne s’impliquent pas, même pour soutenir les élus. Quelle stratégie de communication adoptez-vous pour avoir des citoyens aussi avertis ?»

François Bellanger concède qu’en Suisse aussi, la participation aux élections tourne autour de 30 – 40%. «Mais ceux qui n’ont pas voté acceptent les décisions de la majorité. C’est la pratique qui va amener la participation démocratique, avec des débats dans les associations, les médias, en groupe… La liberté d’expression est le bien le plus précieux.»

Malgré tout, Imen Sahnoun est optimiste : «Le transfert de compétences vers les communes va se faire progressivement, mais rapidement. L’être humain aime le pouvoir, mais au niveau du gouvernement, ils n’ont pas d’autre choix que de décentraliser. C’est un processus irréversible. On sent une volonté de faire échouer cette tentative, mais nous avons une société civile extraordinaire qui travaille sur le terrain, observe, dérange. Et qui devient de plus en plus forte depuis la révolution.»

Maroua Dridi qui, à 26 ans, est la plus jeune maire de Tunisie, espère nouer des partenariats avec des communes suisses, comme cela a déjà été fait avec des communes françaises.

Dans une analyse qui vient de paraître, l’International Crisis Group relève que le processus de décentralisation tunisien est de plus en plus clivant. Vu l’austérité budgétaire, il appelle les bailleurs internationaux à augmenter leur soutien. A partir de 2021, la Direction du développement et de la coopération (DDC, coopération suisse) prévoit d’augmenter son soutien au processus de décentralisation en Tunisie.


Cet article a d’abord été publié par Swissinfo

La musique pour faire taire l’écho des bombes

Karim Wasfi, violoncelliste égypto-irakien, tient une série de concerts à Mossoul, ancien fief de Daech, pour aider les habitants à se réconcilier entre eux et avec leur passé. L’avant-dernier a lieu aujourd’hui, 2ème jour de l’Aïd. Pour la Geneva Peacebuilding Platform, qui l’a invité à Genève il y a trois ans, la musique est un vecteur universel de paix.

A Mossoul, dans le nord de l’Iraq, une vingtaine de musiciens jouent devant les ruines de la mosquée An Nouri, passée à funeste histoire après qu’Al-Baghdadi y eut proclamé le califat, le 29 juin 2014, premier jour du mois de ramadan. Karim Wasfi, célèbre violoncelliste égypto-irakien, donne le la à son orchestre. C’était samedi et dimanche derniers. La mosquée An Nouri est presque entièrement détruite – tout comme Daech, dont Mossoul a été libéré il y a près de deux ans -, mais cette année une paisible mélodie résonne dans les nuits ramadanesques. Et ce soir, pour marquer le 2ème jour de l’Aïd, les musiciens vont donner un autre concert dans la partie orientale de la ville, au lieu-dit la Forêt.

Ce sera le 9ème concert d’une série de dix (le dernier aura lieu demain), tenus dans les deux parties de Mossoul « surtout la partie occidentale, la plus détruite, qui ne s’est toujours pas relevée malgré les 520 millions USD promis par la communauté internationale », précise Karim Wasfi, joint par WhatsApp à Mossoul. « Ces concerts sont un message d’interdépendance et connectivité entre les êtres humains, venant des musulmans. Du temps de Daech la musique était haram [péché] et les musiciens ont été complètement délaissés. Mais auparavant non plus, il n’y a jamais eu d’orchestre rassemblant des musiciens des deux parties de la ville, même pendant le ramadan et l’Aïd. Je suis originaire de Mossoul, même si je suis né en Egypte, c’était donc très symbolique d’y retourner pour défier la radicalisation par l’intelligence et la culture. »

Karim Wasfi

Contribuer à la déradicalisation

Le violoncelliste affirme contribuer à la déradicalisation par la musique, en s’attaquant au trouble du stress post-traumatique. « Mon plan Marshall pour Mossoul est holistique. Je veux engager simultanément l’éducation, la connaissance, la connectivité avec le monde extérieur et une approche thérapeutique par la musique et les arts – en incluant les musiciens, le public, la société, la communauté, les futurs leaders et les femmes », détaille-t-il.

La première fois que Karim Wasfi a joué à Mossoul, c’était en 2017, avant la libération de la ville, sur les lieux mêmes où une bombe venait d’exploser: « C’était presque un acte de résistance, comme pour dire: on ne nous laissera pas prendre notre histoire et notre musique ! », nous confie Achim Wennmann, coordinateur exécutif de la Geneva Peacebuilding Platform, qui a invité le violoncelliste à Genève le 21 septembre 2016, à l’occasion de la journée mondiale de la paix.

« La musique et  les musiciens sont des bâtisseurs de paix très importants. Une fois, nous avons invité un violoniste de Corée du Sud, Hyung joon Won, qui essayait d’organiser un concert avec une cantatrice de Corée du Nord. Et il vient d’y parvenir, en Chine. La musique est un vecteur que tout le monde peut entendre, car elle transcende les langues. Elle réveille des émotions et des énergies que les mots ne peuvent pas transmettre. Elle est utilisée très souvent pour bâtir des ponts entre les peuples et les personnes divisées, l’exemple le plus connu étant l’orchestre de Daniel Barenboim, qui réunit des Israéliens et des Palestiniens.»

Ruines de la mosquée An Nouri

« La musique interreligieuse a été très bien accueillie »

« Ce jour-là Mossoul n’était pas encore libéré, se souvient Karim Wasfi, faisant référence au même épisode. J’ai joué au milieu de la rue. Les habitants étaient très touchés de voir qu’on s’intéressait à eux pas seulement pour livrer de la nourriture. Cela les faisait sentir très civilisés. La ville a été accusée de se rendre partiellement à la radicalisation, mais ce n’était pas vrai, même si avant Daech elle a été sous pression d’Al-Qaïda. C’est une ville conservatrice, mais pas radicalisée. »

Il tient à préciser que ses deux plus grands concerts ont été financés par USAID [l’agende américaine de coopération au développement] et qu’ils ont été suivis par des ateliers et des séminaires. Son autre initiative consiste à reconstruire les églises et les cathédrales de la ville. « Je veux redonner aux gens l’espoir de coexister pour qu’un jour les musulmans reconstruisent des églises et les chrétiens et les musulmans, ensemble, des synagogues. » Dans cette approche interreligieuse, les répertoires de ses concerts ramadanesques comportaient de vieilles musiques juives et chrétiennes tombées dans l’oubli, « qui ont été naturellement bien accueillies par le public, affirme-t-il. Nous n’avons ressenti aucune résistance, au contraire, nous avons réussi à reconnecter les gens avec leur histoire. Nos concerts font aussi une large place à l’improvisation pour redonner confiance aux musiciens.»

 

 

 

Concert du week-end passé

La Cité de la musique de Genève, « une opportunité unique de promouvoir la musique et la paix »

Car, affirme-t-il, la scène culturelle en Iraq en général, et à Mossoul en particulier, peine à renaître de ses cendres. C’est pour cela qu’il mise sur la société civile et sa fondation, Peace through Arts, pour créer un changement de paradigme qui semble porter ses fruits : « maintenant les gens veulent un conservatoire, une académie, une clinique de thérapie par la musique….»  Son rêve est d’amener des musiciens à Genève pour jouer avec des musiciens suisses ou réfugiés du monde entier.

Une idée qui semble séduire Achim Wennmann qui, avec la Geneva Peacebuilding Platform, co-organise la Geneva Peace Week (la prochaine aura lieu du 4 au 8 novembre) : une initiative où la plupart des institutions internationales, mais aussi les acteurs locaux, organisent des évènements qui touchent à la paix et qui attire de plus en plus de monde, affirme-t-il.

« En tant que Genève internationale, nous avons une opportunité de promouvoir la musique et la paix unique en Europe, peut-être même dans le monde, avec la création de la Cité de la musique», tient-il à ajouter. Un projet en cours de réalisation, qui devrait être terminé en 2024, comportant un auditorium de près de 2’000 personnes et regroupant les conservatoires dispersés à travers la ville. « Sur la place des Nations, on a la possibilité d’augmenter encore plus le symbole de la musique pour la paix. Ce sera le développement de la plus grande maison philarmonique d’Europe. Dans beaucoup de pays les musiciens sont des bâtisseurs de paix, même s’ils ne sont pas forcément perçus comme tels. Il faut beaucoup d’énergie pour reconstruire la fabrique sociale d’un pays et par la Cité de la musique, Genève peut y contribuer », conclut-il.

L’intelligence artificielle au service des droits humains

HURIDOCS, une ONG genevoise active dans l’information et la documentation des droits humains, vient de recevoir 1 millions USD de Google pour améliorer son programme d’intelligence artificielle. Car si les informations existent, elles sont difficiles à trouver de façon ciblée. Or les comparer et partager peut aider à faire appliquer les droits. La collaboration avec Google va se limiter aux informations publiques pour éviter tout risque de violation de la sphère privée.

« Nous avons commencé à utiliser l’intelligence artificielle il y a deux ans, avec une stagiaire. Nous voulions rechercher les sentences qui concernent les abus sexuels sur mineurs dans les îles du Pacifique. Nous avions accès à toutes les décisions de justice, mais la question que nous nous sommes posé était de savoir si la sentence était différente selon les valeurs traditionnelles des membres de la famille Autrement dit : si c’est l’oncle qui a commis l’abus sexuel sur le mineur, le jugement est-il plus léger ? Et nous avons découvert que oui. Nous avons trouvé la réponse en quelques mois, alors que sans les outils d’intelligence artificielle cela nous aurait pris des années ! » S’exclame Friedhelm Weinberg, directeur exécutif d’HURIDOCS – Human Rights Information and Documentation Systems-, une ONG basée à Genève, où elle emploie cinq personnes et au total seize dans le monde.

Depuis lors la stagiaire, Natalie Widmann, a été engagée et actuellement elle se trouve avec deux collègues en Californie, où ils suivent une spécialisation en intelligence artificielle chez Google. Car HURIDOCS vient de recevoir 1 million USD du géant d’internet pour améliorer ses compétences en intelligence artificielle, sélectionnée parmi 2’600 organisations du monde entier. Une satisfaction énorme pour cette petite ONG, créée en  1982 dans le but de faciliter la gestion de l’information par des organismes de défense des droits humains – pour la plupart des ONG, mais aussi l’ONU et des institutions régionales et nationales. Preuves, textes juridiques, témoignages, jurisprudence, décisions, rapports… tout peut être utile aux avocats et militants qui, aux quatre coins de la planète et dans des conditions parfois extrêmes, militent pour la justice.

Avec le soutien de Google, HURIDOCS veut développer des outils qui permettent à ses partenaires d’utiliser l’intelligence artificielle eux-mêmes, après avoir été formés certes, mais sans besoin d’être des experts.

Des fiches en papier, aux logiciels open source, à l’intelligence artificielle

« En 35 ans, les instruments pour gérer l’information et créer des bases de données avec nos partenaires ont énormément changé, se souvient Bert Verstappen, qui travaille pour l’organisation depuis 1987 (HURIDOCS est basé à Genève dès 1993). Au début il y avait les centres de documentation et les catalogues des bibliothèques, surtout en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord. On faisait des fiches en papier, à la main ou à la machine à écrire.

Ensuite on a impliqué les ONG nationales, comme à la fin des années 1980 au Chili et en Argentine, qui ont documenté les violations des droits humains sous les dictatures. Avec elles, nous avons mis sur pied un groupe de travail pour comparer et partager les expériences concernant la documentation des violations. Ensuite nous avons établi les premiers logiciels, toujours avec nos partenaires, que nous avons mis en ligne. Aujourd’hui nous en sommes à la quatrième génération de logiciels, dont le code source est disponible sur https://github.com/huridocs . Tout le monde peut l’utiliser, il est gratuit. L’intelligence artificielle, c’est la nouvelle étape.»

Car comment être sûr de ne pas se tromper parmi la pléthore d’informations qui circulent ? Comment trouver la bonne ? « S’il y a des milliers de photos et qu’il nous en faut une, comment faire ? Pareil pour les cas juridiques, les décisions des tribunaux : comment trouver le bon et le connecter avec un autre qui utilise la même argumentation ? L’intelligence artificielle peut nous donner un précieux coup de main », précise Friedhelm Weinberg.

Comparer les cas semblables en Afrique et en Asie

Un autre exemple est la base de données des décisions juridiques prises par les  mécanismes régionaux en Afrique : la Commission et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. « C’est très important pour le continent, souligne Bert Verstappen. Il y a dix ans, les décisions étaient très difficiles d’accès. … Avec notre partenaire, l’Institut des droits humains et du développement en Afrique (IHRDA), basé à Banjul, on les a tout d’abord publiées comme livre. Ensuite, IHRDA et HURIDOCS ont établi une base de données en ligne. Au début les décisions étaient de deux pages, mais aujourd’hui elles en font trente ou quarante, il faut une journée pour ajouter une décision à la base de données, on est toujours en retard ! De plus, souvent elles sont seulement en anglais, pas en français, portugais et arabe, les autres langues officielles. Avec l’intelligence artificielle on va pouvoir ajouter des documents presque automatiquement. Si cela marche bien on pourra réduire l’activité humaine à moins de 10%. »

« On le fera aussi pour la Cour et la Commission interaméricaine des droits de l’homme, précise Friedhelm Weinberg. Le problème est pareil, mais les décisions sont nettement plus longues, elles font 200 pages et il y en a beaucoup plus. Avec l’intelligence artificielle on va pouvoir faire les liens entre les cas, mais aussi entre le système américain et africain. On va pouvoir chercher des connexions dans le monde entier. Par exemple, si je suis un défenseur des peuples autochtones au Mexique, je m’intéresse aux sentences de la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Mais si le système me disait qu’en Afrique il y a eu un cas pareil, qu’il y a une jurisprudence plus avancée qu’en Amérique, cela me serait très utile. L’intelligence artificielle permet de faire avancer des droits qui existent déjà, de les comparer aux autres continents, aux autres mécanismes. »

Mais n’y a-t-il pas un problème de protection des données ? Google n’a-t-il pas livré le nom d’opposants en Chine? « Avec Google nous travaillons seulement sur les informations publiques, donc la protection de la sphère privée n’est pas une question sensible. On ne partagerait pas avec eux des informations privées, des documents confidentiels. Peut-être qu’un jour on appliquera aussi l’intelligence artificielle aux informations confidentielles, mais ce sera sans Google car elles appartiennent à nos partenaires» répondent à l’unisson les deux activistes.


Cet article a été publié aussi dans Bon pour la Tête, dans le cadre d’un dossier sur l’intelligence artificielle

Les ONG accusent l’OMC de «pink-washing »

Photo: femmes au marché au Myanmar © Isolda Agazzi

En adoptant une déclaration sur les femmes et le commerce, à la ministérielle de Buenos Aires, l’OMC était accusé par les ONG de vouloir améliorer son image pour étendre des libéralisations qui menacent les droits des femmes. Une année plus tard, les critiques sont toujours aussi virulentes. 

En décembre 2017, à la conférence ministérielle de Buenos Aires, 121 membres de l’OMC ont adopté une déclaration sur le Commerce et la capacitation économique des femmes qui vise à augmenter la participation de ces dernières dans le commerce international en renforçant l’entrepreneuriat féminin. Bien que présentée comme une première dans l’histoire de l’organisation, la déclaration a aussitôt été taxée de « pink washing » par les ONG qui, dans une déclaration signée par 200 organisations féministes et alliées du monde entier, y voient une façon sournoise de faire accepter de nouveaux sujets, instrumentaliser l’égalité de genre pour renforcer le modèle néo-libéral et se concentrer sur les femmes entrepreneurs, en oubliant les autres. « Nous n’allons pas laisser utiliser les femmes comme cheval de Troie pour étendre un système qui détruit leurs vies et celles des enfants, des paysans, des travailleurs et de la planète ! », s’indignait l’activiste écologiste indienne Vandana Shiva. « Les libéralisations menées par l’OMC ont poussé les salaires et les standards du travail à des niveaux historiquement bas et permis aux investisseurs étrangers d’exploiter les femmes comme force de travail flexible et bon marché», renchérissait Joms Salvador, de Gabriela, l’Alliance des femmes philippines.

Femmes au marché au Myanmar © Isolda Agazzi

Commerce pas neutre du point de vue du genre

Pour réagir à cette « fausse bonne idée », des ONG du monde entier, dont Alliance Sud, se sont réunies dans une Gender and Trade coalition dont le Unity statement annonce clairement la couleur : une alliance féministe sur la justice commerciale pour traiter les impacts négatifs des règles commerciales sur les droits des femmes et élaborer des réponses politiques qui s’attaquent aux causes structurelles des violations « genrées » des droits humains. En d’autres termes : montrer que les politiques commerciales ne sont pas neutres du point de vue du genre. Car les femmes ne sont pas seulement entrepreneurs, mais aussi productrices, consommatrices, commerçantes, travailleuses, et principales prestataires du travail non payé. Et les libéralisations commerciales, les déréglementations, les libéralisations des services publics nuisent à leurs droits. D’où un appel à remplacer la compétition par la coopération, la croissance par le développement durable, la consommation par la conservation, l’individualisme par le bien public et la gouvernance du marché par la démocratie participative. Depuis l’adoption de la déclaration de Buenos Aires, l’OMC a organisé des séminaires sur le commerce et le genre, dont un début décembre à Genève, où la Gender and Trade Coalition s’est plainte de ne pas avoir été invitée à parler. Les présentations étaient parfois contradictoires. Une représentante de la Banque mondiale a affirmé que les entreprises exportatrices, intégrées dans les chaînes globales de valeur, emploient proportionnellement plus de femmes. Tout en reconnaissant que «la plupart des modèles [économétriques] que nous utilisons assument qu’il y a le plein emploi, personne dans le secteur informel et que les femmes peuvent passer aisément d’un secteur à l’autre – et nous savons que ce n’est pas vrai. » Une représentante du BIT a indiqué, au contraire, que les femmes travaillent surtout dans des secteurs où les droits de douane à l’exportation sont plus importants – aussi bien en Inde que dans les pays industrialisés. Et lors d’une même présentation, on a pu entendre une panéliste affirmer que le commerce est neutre du point de vue du genre et une autre dire exactement le contraire…

Buenos Aires, La Boca, © Isolda Agazzi

Dans le Mercosur, les libéralisations ont créé des emplois peu qualifiés et mal rémunérés pour les femmes 

De plus en plus d’accords de libre-échange incluent des dispositions spécifiques sur le genre – 75 (60 en vigueur) sur plus de 500 accords. La plupart de ces dispositions portent sur la coopération, d’autres sur l’égalité de genre, sur des instruments internationaux sur le genre, ou sur les politiques nationales sur le genre. Mais en cas de différend, seul l’ALE entre le Canada et Israël prévoit le recours au mécanisme de règlement des différends. Trois autres ALE prévoient des consultations. Les autres ne prévoient rien du tout. Les ALE de la Suisse ne contiennent pas de disposition spécifique sur le genre.

Dans un rapport qui vient de paraître, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) écrit que « les travaux de recherche de la CNUCED montrent que le processus d’intégration régionale entre les membres du Marché commun du Sud (Mercosur) – Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay – n’a que légèrement réduit les inégalités entre les sexes. Et si une plus grande ouverture commerciale entre les quatre pays d’Amérique du Sud a créé de nouvelles possibilités d’emploi pour les femmes, la plupart sont des emplois peu qualifiés et mal rémunérés.  L’autonomisation économique des femmes gagnerait à ce que la région s’affranchisse de sa dépendance à l’égard des produits primaires et des produits de base qui rendent les pays plus vulnérables aux chocs extérieurs et moins aptes à créer des emplois de qualité. »

La Suisse est en train de négocier un accord de libre-échange avec le Mercosur. Elle devrait étudier l’impact de cet accord proposé sur l’autonomisation économique des femmes.

Cet article a d’abord été publié dans Global, le magazine d’Alliance Sud

 

 

 

Rire est bon pour la société

Pour célébrer la Journée internationale des migrants, l’ONU invite la population à une soirée théâtrale avec des comédiens de renom, afin de favoriser le rire ensemble et démystifier un sujet trop politisé.

Peut-on rire de tout ? Le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (OHCHR) est convaincu que oui. Après le psychodrame et la tourmente médiatique qui a entouré la signature du Pacte mondial sur les migrations, la semaine passée à Marrakech, il invite à aborder la migration avec humour et humanité, en organisant Stand up for Migrants, une soirée comique en anglais et en français, qui aura lieu le 20 décembre au Victoria Hall de Genève. Avec des comédiens de renom : Hari Kondabolu, « l’un des plus importants comédiens politiques » selon le New York Times, et sa mère Uma ; les Suisses Thomas Wiesel et Charles Nouveau, qui ont participé au Montreux Comedy Festival ;  Deborah Frances-White, hôte du podcast The Guilty Feminist ; Evelyne Mok, nommée comédienne de l’année en Suède ; Noman Hosni, hôte du Montreux Comedy Club, et Bruno Peki, finaliste du festival Morges-sous-rire.

« Nous nous adressons à des gens qui ne sont pas sensibles aux droits humains des migrants, mais qui suivent ces comédiens, et à ceux qui y sont sensibles, mais ne connaissent pas forcément ces humoristes. Au-delà des controverses politiques, nous voulons parler d’êtres humains car les histoires individuelles, tout le monde peut les comprendre », nous explique Pia Oberoi.

164 pays ont signé le Pacte mondial sur les migrations

La cheffe de l’équipe Migration et droits humains à l’OHCHR rentre de Marrakech, justement. Et sa lecture du Pacte mondial pour les migrations tranche avec la vision catastrophiste véhiculée par certains. «Il y avait 164 pays présents, tout de même! Certains ont dit explicitement qu’ils n’allaient pas signer, comme les Etats-Unis, la Pologne et la Hongrie. D’autres, comme la Suisse, ont besoin de plus de temps pour analyser le texte et n’ont pas encore pris de décision. Mais la très grande majorité des membres de l’ONU ont signé ce Pacte parce qu’ils ont compris qu’une migration sûre, ordonnée et régulière est dans leur intérêt.»

Elle insiste : le Pacte ne crée aucun nouveau droit, il ne fait que réaffirmer des droits existants. Il ne crée pas de droit à la migration. Il n’implique pas l’ouverture des frontières. Il n’entraîne pas la régularisation des sans-papiers. Il dit que si les droits humains sont là, qu’ils ont été reconnus par la plupart des Etats, il faut les appliquer et il essaie de montrer comment. Mais rien n’oblige un gouvernement à prendre des mesures qui violent sa souveraineté. Le Pacte vise à créer des voies sûres, pour que les gens puissent se déplacer de façon régulière. Mais aussi à éliminer les facteurs négatifs de la migration, ceux qui obligent les gens à partir. Certains gouvernements ont dit comment ils allaient mettre en œuvre le Pacte, voire modifier la législation pour rendre leur politique plus cohérente. Le Mexique, par exemple, co-facilitateur des négociations avec la Suisse, a déclaré qu’il allait examiner toute sa politique migratoire à la lumière du Pacte.

La migration, machine à gagner des voix

« Actuellement, il est trop facile d’instrumentaliser la migration, continue Pia Oberoi. Des extrémistes surfent sur l’émotivité du sujet pour gagner des voix et même des partis politiques plus modérés leur emboîtent le pas. Cela doit changer ! Car tout indique que la migration est bonne pour la société et pour l’économie. Les migrants ne commettent pas plus de crimes que le reste de la population, au contraire, ils ont tendance à respecter davantage la loi et à avoir une vie plus saine. Dans cinquante ans encore plus de gens se déplaceront car dans certaines parties du monde la pression démographique va augmenter. C’est un fait : nous avons toujours migré et nous continuerons à le faire. »

Reste que c’est celui qui crie le plus fort qui se fait le plus entendre… Pour essayer de changer le narratif sur la migration, en passant de l’exclusion à des valeurs partagées, le Haut-commissariat aux droits de l’homme a lancé une campagne sur les réseaux sociaux, Stand Up for Migrants. « Nous avons parlé aux migrants et avons constaté que la plupart veulent faire profil bas, travailler, ne pas exposer leurs enfants. Or, comme ils sont inaudibles dans le débat public, c’est le stéréotype du migrant qui domine. La peur de la migration touche surtout ceux qui ont perdu leur emploi à cause de l’automatisation, de la délocalisation, qui voient le système de protection sociale s’effriter sous la pression du changement démographique. Nous avons si peur de la migration que nous permettons aux gouvernements de mettre en place une vaste surveillance parce qu’un jour, éventuellement, il pourrait y avoir un attentat… A un moment donné, le discours doit changer », soupire Pia Oberoi.

Elle l’admet : la communication sur le Pacte mondial aurait dû être plus affirmative, disant clairement ce qu’il est et ce qu’il n’est pas. « Pourtant, jamais auparavant les États membres de l’ONU n’avaient négocié un tel document. Les facilitateurs ne se sont pas pliés à l’air du temps, ce document est solide. Nous croyons que les gouvernements qui ne l’ont pas signé le feront parce qu’il est fondé sur les droits humains et que certains d’entre eux sont des champions de ces droits. »

Stand up for Migrants, le 20 décembre au Victoria Hall de Genève à 20h