La Provence, entre Pagnol et mondialisation

Balade depuis les villages provençaux figés dans le temps – qui cultivent le tout local avec quelques entorses à la mondialisation – à Marseille, ville portuaire ouverte à toutes les cultures. Et à tous les courants : pour preuve, un dauphin est même venu nager avec nous dans les calanques !

Un large bassin trône au centre de Cucuron, charmant village provençal perché sur une colline du Luberon. Des platanes immenses se reflètent dans les eaux verdâtres de l’étang où barbotent quelques poissons rouges, plongeant la placette dans une ombre délicieuse et une fraîcheur bienvenue en pleine canicule. Un léger mistral fait frissonner les cimes des arbres, la lumière joue entre les frondaisons, les estivants attablés aux terrasses des cafés sirotent un pastis avec indolence. Il ne manque plus que les joueurs de pétanque, mais ceux-là sont du coin, ils fuient la chaleur et ne sortent qu’en fin de journée. « On dirait le sud, le temps dure longtemps » chantait Nino Ferrer.

Un pastis, à moins que ce ne soit un vin rosé de Cucuron car ici, on ne jure que par les produits locaux. Fruits, légumes, tapenades aux olives vertes et noires, anchoïade, miel de lavande, agneau de Sisteron, parfums de Grasse… Figés dans le temps, les villages de Provence, qu’on dirait sortis tout droit d’un roman de Marcel Pagnol, choient leurs châteaux et églises centenaires, leurs ruelles pavées et leurs traditions ancestrales pour le plus grand bonheur des citadins du nord, venus humer le parfum des champs de lavande et goûter à la quiétude d’une sieste au chant des cigales, pour un voyage dans le temps autant que dans l’espace.

Melon, vin, lavande du cru… et la jupe ?

D’ailleurs, cet amour pour l’authentique et le local justifie bien quelques entorses. Etonnés par le prix d’une magnifique jupe en coton aux fleurs colorées, nous nous entendons répondre sur un ton vexé par le gérant de la très chic boutique d’un très joli village: «Bien sûr qu’elle est fabriquée ici, selon des méthodes anciennes remises au goût du jour ! », ce qui nous fera sentir quelque peu coupable de ne pas contribuer à l’économie locale… Sauf retrouver la même jupe à des centaines de kilomètres, à un prix plus abordable, dans une boutique tout aussi chic, mais dont la gérante nous déclarera sans hésitation qu’elle est fabriquée en Inde, selon le dessin d’une styliste provençale, « sinon vous imaginez le prix ? »

Car c’est là le véritable défi du tout local et peut-être sa limite: si on peut produire des melons de Cavaillon et du vin de Bandol, peut-on encore fabriquer des habits en France (ou en Europe), à quel prix et pour quelle clientèle ?

La calanque de Sormiou © Isolda Agazzi

Marseille prête à accueillir les migrants d’un bateau humanitaire

Changement radical d’ambiance sur la côte, où Marseille – nettement moins touristique en temps normal, mais prise d’assaut cette année par les Français obligés de rester au pays – cultive l’ouverture au monde depuis toujours. La cité phocéenne, comme toutes les villes portuaires, est un fascinant brassage de populations. Sur le célèbre boulevard de la Canebière se pressent des promeneurs de tous horizons, à l’instar de cet étonnant magasin d’épices qui est une invitation au voyage à lui tout seul.

Sur le Vieux-Port, très animé dans les chaudes soirées d’été, les badauds flânent au milieu des vendeuses maghrébines de thé vert à la menthe, au son de la musique brésilienne et sous l’œil bienveillant de Notre-Dame de la Garde, qui veille sur la Méditerranée depuis plus d’un siècle. Une ode à la mondialisation et au brassage des cultures. Pour preuve: la mairie de Marseille vient de se déclarer prête à accueillir les migrants du Louise Michel, un bateau humanitaire dont personne ne veut.

Brassage des cultures et des espèces, pourrait-on dire. Le 21 juillet, dans la calanque de Sormiou – qui, comme toutes les calanques, se mérite après une heure de marche en plein cagnard – un dauphin nageait tranquillement au milieu des baigneurs qui s’extasiaient à chacun de ses sauts hors de l’eau. Comme nous, il devait savourer la beauté sauvage des criques, la couleur vert émeraude de la mer et son goût de seul, l’odeur âcre des embruns et le bruit du ressac. Heureux comme un dauphin dans l’eau.


Une version de cette chronique a été publiée par l’Echo Magazine