Zahori, en compétition au Festival Filmar en America latina, raconte l’histoire d’un malentendu, comme il y en a souvent. Celle d’Occidentaux partis à la rencontre d’une culture fantasmée, dans laquelle ils n’arrivent pas à s’intégrer, et qui finissent par vivre dans leur bulle, à cheval entre deux mondes
Il y a d’abord la famille tessinoise qui s’est installée en Patagonie pour vivre le rêve de l’autosuffisance, dans un esprit New Age. Les parents se disputent sans cesse car le père veut rentrer en Suisse, découragé par la dureté de la vie dans les steppes balayées par le vent, où il s’avère plus difficile que prévu de faire pousser des légumes. Peut-être bouddhistes, sûrement végétariens, ils interdisent à leurs deux enfants de manger « les animaux morts », à commencer par les truites offertes à Mora par un jeune gaucho tout sourire, et la viande.
Tiraillée entre deux cultures, l’adolescente ne comprend pas : les gauchos ne mangent-ils pas les animaux ? Ils cuisinent même le tatou, sorte de pangolin d’Amérique du Sud qu’elle n’arrive toujours pas à attraper, malgré ses efforts. Elle est malheureuse et à l’école elle s’ennuie ferme: les garçons la traitent d’étrangère et ne la laissent pas jouer au foot car « ce n’est pas une activité pour femmes, pas plus qu’être gaucho», alors même que c’est son rêve.
Evangélistes américains cravatés
Il y a ensuite les évangélistes américains qui errent dans ces terres inhospitalières en cravate, à la recherche d’âmes à sauver. Eux aussi voient le football d’un mauvais œil, mais pour d’autres raisons : le ballon c’est la tête du diable et eux « tels des soldats du Seigneur, vont dans les endroits les plus isolés du monde pour le chasser ». Les parents de Mora rejettent leur prosélytisme, tout comme Nazareno Pichiman, le vieux gaucho qui se ressource au bruit du vent, se laisse bercer par les frondaisons animées des arbres et s’endort à côté des rochers sacrés. Il vit seul depuis que sa femme est partie chercher ses origines en Italie, faisant en quelque sorte le chemin inverse de celui des Suisses. C’est auprès de lui que Mora cherche refuge lorsqu’elle se fait renvoyer de l’école.
Une nuit, le vent impétueux brise la corde de Zahori, la jument blanche de Nazareno. S’ensuit une quête aux relents mystiques, où tout le monde cherche le cheval, ou soi-même, les personnages se croisent sans se reconnaître, les rêves deviennent réalité et Mora semble avoir enfin trouvé son identité.
La Patagonie, page blanche ou tableau noir
Le cadre de ce premier film de Mari Alessandrini, réalisatrice argentine installée en Suisse, n’est pas anodin : la Patagonie est un personnage à elle toute seule. Mystérieuse, hostile et accueillante à la fois, cette terre du bout du monde a attiré tour à tour des colons et des investisseurs étrangers, des criminels nazis et des repris de justice, dont Butch Cassidy et Sundance Kid, les célèbres pilleurs de banques américains du début du 20ème siècle. Fascinés par une terre à l’apparence vide, mais habitée par des peuples autochtones abondamment massacrés – notamment les Mapuche et les Tehuelche – ces aventuriers ont été encouragés par les gouvernements successifs à venir écrire une nouvelle page de l’histoire argentine.
S’en suivirent des hippies, des poètes et des chercheurs de rêve, désireux d’écrire leur propre histoire dans ces étendues sans fin, où l’infini semble à portée de main. Au risque de vivre à côté des populations locales sans vraiment les comprendre – ce qui est inoffensif en soi et n’enlève rien à l’intérêt de la démarche, tant qu’il ne s’agit pas d’extermination, d’accaparement des terres ou d’acculturation plus ou moins forcée. Pour que la page blanche ne se transforme pas (de nouveau) en tableau noir.
Zahori, de Mari Alessandrini, Festival Filmar en America latina, le 26.11, 27.11, 28.11
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