Mine de charbon de Cerrejon © Wikimedia
Alors qu’elle clame vouloir sortir des énergies fossiles, la multinationale suisse est devenue la seule propriétaire de la plus grande mine de charbon à ciel ouvert d’Amérique latine. Elle a même porté plainte contre la Colombie pour contester une décision de justice favorable aux communautés locales
Le 11 janvier, Glencore, le principal exportateur de charbon thermique au monde, annonçait le rachat des parts de BHP et Anglo American dans « Carbones » de Cerrejon, la plus grande mine de charbon à ciel ouvert d’Amérique latine et l’une des plus grandes du monde. La multinationale suisse a fait une bonne affaire : en ne déboursant au final que 101 millions USD grâce à l’augmentation de la demande et donc du prix du charbon, elle est devenue l’unique propriétaire de Cerrejon. Les deux autres entreprises ont vendu leurs parts sur pression de leurs actionnaires, qui les incitent à abandonner l’énergie fossile la plus polluante pour lutter contre la crise climatique. Pourtant Glencore ne s’est pas fait de scrupules, alors même qu’elle s’est engagée à réduire son empreinte totale d’émissions de 15 % d’ici à 2026, de 50 % d’ici à 2035 et à atteindre des activités à émissions totales nulles d’ici à 2050.
Une mine responsable de graves violations des droits humains
« La mine de charbon de Cerrejon est exploitée depuis tellement d’années – cela a commencé en 1985 – que les abus de pouvoir et l’asymétrie qui existent entre les propriétaires, les communautés et l’État sont largement documentés. Ils se traduisent dans de graves violations des droits humains des communautés afro-indigènes, à commencer par les Wayuu » nous explique Rosa Maria Mateus de CAJAR, un collectif d’avocats colombiens qui défend les droits humains depuis quarante ans.
« Carbones del Cerrejón a été déclarée responsable à de multiples reprises et a fait l’objet de plus de sept décisions judiciaires », continue-t-elle. Mais les peines ne sont jamais appliquées car elle profite de l’extrême pauvreté de ces communautés. La Guajira, où se trouve la mine, est le deuxième département le plus corrompu de Colombie. Les enfants meurent de faim et de soif et l’entreprise en profite pour offrir des compensations insuffisantes aux yeux des communautés. Nous devons changer le modèle économique et abandonner le charbon pour faire face à la crise climatique dont les habitants de La Guajira sont les premières victimes ».
Détournement de l’Arrojo Bruno condamné par la Cour constitutionnelle
L’un de ces arrêts concerne le cas de l’Arroyo Bruno, un affluent d’une rivière très importante de La Guajira qui a été détourné pour augmenter l’extraction de charbon d’une carrière appelée La Puente. Ce cours d’eau est entouré de la forêt tropicale sèche, un écosystème gravement menacé. En 2017, la Cour constitutionnelle colombienne a jugé qu’en autorisant cette expansion, d’importants impacts sociaux et environnementaux sur les droits des communautés locales n’avaient pas été pris en compte. Il s’agit notamment de la grande vulnérabilité au changement climatique de la région, qui souffre d’une grave pénurie d’eau.
La Cour a bloqué les travaux, ordonnant une nouvelle étude d’impact pour déterminer la viabilité de l’expansion minière en termes de protection des droits des communautés. En représailles, Glencore a porté plainte contre la Colombie auprès du CIRDI, le tribunal de la Banque mondiale, en invoquant le non-respect de l’accord de protection des investissements entre la Colombie et la Suisse. Dans son action en justice, la multinationale affirme que la décision du tribunal colombien concernant le cours de l’Arroyo Bruno, qui a empêché l’augmentation de l’exploitation minière, est une « mesure déraisonnable, incohérente et discriminatoire ». Pour l’instant, un arbitre a été nommé, mais on n’en sait pas plus, à commencer par les indemnités réclamées par Glencore.
« C’est un comble de vouloir être dédommagés pour les dégâts qu’on a causés ! » S’indigne Rosa Maria Mateus. « L’entreprise prétend qu’elle a des politiques environnementales, qu’elle plante des arbres, mais nous avons constaté qu’elle ment. Elle ne respecte pas les standards environnementaux et ne parvient même pas à réparer un minimum des dommages causés. Nous avons pu prouver la pollution de l’eau et de l’air et l’impact négatif sur la santé de la population. C’est très grave, d’autant plus qu’en Europe on parle de décarbonation et de laisser le charbon dans le sol. »
Exploration des possibilités d’un Amicus curiae
Alors, que fait CAJAR ? Rosa Maria Mateus avoue que les possibilités d’action sont limitées. La seule est l’Amicus curiae, un exposé pour faire entendre la voix des communautés, mais il doit être autorisé par le tribunal d’investissement qui, selon elle, n’offre aucune garantie pour les victimes car il s’agit d’une sorte de justice privée créée pour protéger les grandes entreprises. « Mais nous allons essayer de le faire quand même et nous venons de commencer à recueillir les arguments des communautés. Ensuite, nous voulons transmettre l’Amicus curiae à des organisations amies telles qu’Alliance Sud, afin qu’elles nous aident à faire connaître la situation. Les entreprises ont un grand pouvoir médiatique, ce sont leurs vérités qui sont connues, pas les tragédies des victimes. Glencore a extrait beaucoup de ressources de Colombie, bien que l’économie du pays soit très faible. Elle représente une menace pour la souveraineté de l’État et surtout pour les tribunaux dont elle conteste la juridiction, reproduisant ainsi les pratiques coloniales. »
Troisième plainte de Glencore contre la Colombie
La Colombie fait face à un déferlement de 17 plaintes au bas mot selon la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), qui ne recense toutefois pas la dernière de Glencore. C’est la multinationale suisse qui a ouvert la voie en 2016, contestant un contrat relatif à la mine de charbon de Prodeco pour lequel elle a obtenu 19 millions USD de réparation.
Ces plaintes sont jugées par un tribunal composé de trois arbitres – l’un nommé par la multinationale étrangère, l’autre par le pays attaqué et le troisième par les deux parties. Les tribunaux peuvent accepter des Amicus curiae, à savoir des soumissions le plus souvent écrites présentant habituellement les points de vue des communautés affectées et déposées par des ONG. A ce jour, 85 demandes d’Amicus curiae ont été présentées, dont 56 ont été acceptées. L’accord de protection des investissements avec la Colombie, sur lequel repose la plainte de Glencore, ne prévoit pas la possibilité d’un Amicus curiae. Cet accord va être renégocié et, même s’il ne constituera pas la base légale de cette plainte, Alliance Sud demande que cette possibilité y soit intégrée.
Rosa Maria Mateus sera le 2 mai à Lausanne et le 3 mai à Genève pour parler de ce cas
Cet article a été publié dans Global, le magazine d’Alliance Sud