La caverne de Platon, reflet du déconfinement

L’allégorie de Platon montre comment des personnes prisonnières de leurs illusions sont amenées vers la vérité par un philosophe, qui les aide à sortir de la caverne. A l’heure où nous entamons la dernière phase du déconfinement, allons-nous oser quitter le monde virtuel pour affronter la réalité ?

 

Dans le mythe de la caverne, Platon imagine des prisonniers enchaînés dans une grotte depuis la naissance, le visage tourné vers la paroi. Derrière eux se dresse un mur, au-delà duquel des marionnettistes manipulateurs projettent des ombres sur la paroi, que les prisonniers prennent pour la réalité car ils n’ont jamais rien vu d’autre de leur vie.

Un jour, grâce à l’aide du philosophe, ils sortent de la grotte. Eblouis par le soleil, ils sont d’abord tentés d’y retourner fissa, mais ils résistent: c’est leur premier contact avec la vérité et cela les remplit de bonheur. Ils redescendent alors dans la caverne pour aller chercher leurs camarades, prenant le risque de se faire railler et, surtout, de ne jamais vouloir en ressortir. Mais ils le feront quand même.

Logique d’assiégés

Cette allégorie de la manipulation, l’illusion et la connaissance m’est revenue à l’esprit pendant les deux mois de confinement. Toute proportion gardée, n’étions-nous pas dans la même situation que ces prisonniers ? Nous avons été enfermés entre quatre murs, certes de façon plus ou moins stricte selon les pays, mais à l’intérieur de nos frontières nationales. Nous communiquions avec l’extérieur surtout par écrans interposés. Nous avons été bombardés d’informations dont nous ne savions pas très bien si elles étaient le reflet de la réalité, ou si elles cherchaient à nous manipuler, par exemple en montant des faits en épingle.

Le monde s’est rétréci : nos problèmes absorbaient tout notre champ de vision et le nombrilisme nous guettait. En bons citoyens, nous avons adhéré, pendant un temps du moins, à l’exhortation de passer nos vacances au pays pour soutenir l’économie (ou parce que nous n’avions pas le choix), oubliant que d’autres pays plus pauvres dépendent du tourisme encore plus que le nôtre… C’est une logique d’assiégés.

Et maintenant, oserons-nous sortir de la caverne? Prendre le risque de regarder le soleil en face et affronter la réalité, la vraie? Ou, victimes du syndrome de Stockholm, nous complairons-nous entre nos quatre murs, physiques et mentaux, qui nous ont protégés autant qu’ils nous ont enfermés? Serons-nous encore plus dépendants des écrans qu’avant? Le travail, les relations humaines, l’amitié, l’amour seront-ils surtout virtuels? L’humanité d’après le confinement sera-t-elle encore plus aliénée qu’avant?

A nous de trouver le guide pour sortir de la caverne

En 2008 je suis allée en Corée du Sud. J’avais été étonnée de voir les gens toujours plongés dans leurs écrans, que ce soit dans le métro, dans la rue, à l’arrêt de bus… Je me suis dit que je n’aurais pas aimé vivre dans une société aussi isolante, pourtant quelques années plus tard c’est devenu exactement pareil chez nous. Nous tapons beaucoup plus facilement des messages à une personne éloignée que n’adressons la parole à celle qui est assise en face de nous dans le train.

Dix ans plus tard, je suis allée à Cuba. Internet était très contrôlé, les bornes wifi limitées et la 3G inexistante (cela a un peu changé depuis). Mais les gens n’avaient pas constamment le nez dans leurs écrans : dans les interminables files d’attente, dans les bus, ils regardaient autour d’eux, ils se parlaient même !

Les prisonniers de Platon sortent de la caverne grâce à l’aide du philosophe, qui les fait passer de l’illusion à la réalité. A nous de trouver le guide qui nous donnera le courage de sortir de notre confinement – physique, mais surtout mental – pour aller redécouvrir le monde, avant que les frontières, physiques et mentales, se ferment vraiment pour toujours.


Une version de cette chronique a été publiée par l’Echo Magazine