Chronique subjective d’un enterrement en Tunisie, où la veillée du défunt à la maison, un rituel long et bien rôdé et l’entourage d’une communauté très soudée aident énormément à faire le deuil
Le cadavre est posé à même le sol, sur une fine natte en paille, recouvert d’un tissu vert aux couleurs de l’Islam. Pour la non- musulmane, c’est le choc. Il a été lavé et enroulé dans un linceul cousu sur mesure et a été veillé toute la nuit par les membres de la famille, au son des psalmodies des sourates du Coran. « Tu peux voir son visage si tu veux, mais ne le touche pas, il est pur maintenant », nous glisse-t ’on. On refuse poliment, pas le courage de regarder le mort, la mort en face.
Le décès est survenu le soir d’avant, mais dans ce pays du Maghreb où les morgues n’existent pas, l’enterrement a lieu le lendemain, voire le jour même en été. La famille élargie et les amis déjà informés se retrouvent à la maison, habillés en noir, en larmes. Des hommes s’assoient autour du corps. Dirigés par un notable en tenue traditionnelle qui connaît le Coran, ils récitent longuement des litanies dont la répétitivité et le côté incantatoire ont un effet indéniablement apaisant.
Vers 14 :30 les hommes hissent le corps dans une fourgonnette et le cortège funèbre s’ébranle, les phares clignotants, en direction de la mosquée. Les femmes n’assistent pas à l’enterrement – elles iront au cimetière le lendemain –, mais dès que le mort quitte la maison, elles éprouvent un sentiment de soulagement.
A la mosquée, le corps est mis dans un cercueil en bois, recouvert du même tissu vert et déposé devant l’entrée. Les hommes qui sortent de la prière de 15h s’arrêtent pour prier même s’ils ne connaissaient pas le défunt, au nom de la « oumma », la communauté des croyants. Le ciel est sombre, bas, l’atmosphère très pesante.
Les hommes issent le cercueil sur leurs épaules et l’amènent au cimetière, en face. Une foule masculine impressionnante s’est rassemblée pour accompagner le défunt jusqu’au tombeau. Le cadavre est sorti du cercueil et inhumé directement dans le linceul, après qu’on lui a découvert la tête pour la tourner vers La Mecque. Seul le mugissement de la mer qui se mêle aux prières amène un peu d’apaisement. Une fois le rituel accompli, les présents serrent la main des hommes de la famille proche, alignés à l’entrée du cimetière.
Un vent tempétueux agite les nuages noirs, un rayon de soleil arrive à se frayer un passage, l’arc-en-ciel apparaît sur la mer – le défunt est au ciel.
Pendant trois jours, la famille proche ne cuisine pas – elle n’a pas le droit d’allumer le gaz –, mais est nourrie par les parents et amis. Dès le lendemain de l’enterrement, l’atmosphère à la maison change complètement, elle est presque joyeuse. Au troisième jour, les parents et amis qui n’ont pas assisté aux obsèques viennent présenter un dernier hommage. Les proches ne sont jamais laissés seuls, la solidarité de la famille, des amis et de la communauté est bouleversante.
Pas de fleurs sur la tombe, mais quelques personnes bienveillantes iront jeter des graines de sésame pour que les oiseaux qui viennent picorer aident l’âme du défunt à l’envoler. Cette façon d’affronter la mort sans détour, dans un entourage chaleureux empreint d’une profonde spiritualité, est une thérapie de choc qui se révèle étonnamment efficace pour faire le deuil.
Une version de cette chronique a été publiée dans l’Echo Magazine
Madame Agazzi,
Merveilleux hommage à un rite traditionnel de la part d’une personne qui a compris et respecte l’autre ! Seule une personne qui a vécu ailleurs est en mesure d’acquérir cette connaissance et de la transmettre. Bien loin de la pensée unique occidentale. Un espoir pour un monde nouveau !
Merci cher Monsieur, très touchée…
Un bel article qui véhicule une sérénité profonde face aux circonstances difficiles.
Merci.
Merci beaucoup!
Un article plein de sensibilité qui fait comprendre la profondeur de l’islam et sa parfaite adéquation aux besoins humains. Merci et bravo !
Yvonne Bercher.
Madame Agazzi,
J’ai lu avec intérêt votre article et je souhaiterais vous poser quelques questions pour mieux comprendre certains passages.
Dans votre récit, vous mentionnez : “Le cadavre est posé à même le sol, sur une fine natte en paille, recouvert d’un tissu vert aux couleurs de l’Islam. Pour la non-musulmane, c’est le choc.” Pourriez-vous clarifier ce que vous entendez par “choc” ? Est-ce un choc culturel ou religieux ? Ou bien est-ce lié à l’émotion provoquée par la situation ?
De plus, vous écrivez : “mais dans ce pays du Maghreb où les morgues n’existent pas”. Je tiens à vous signaler qu’en Tunisie, il y a effectivement des morgues. Pourriez-vous préciser à quelle ville Tunisienne vous faites référence dans votre texte ? Peut-être que votre expérience s’est déroulée dans un endroit spécifique où les morgues sont rares, mais il est important de ne pas généraliser cette situation à l’ensemble du pays.
Je vous remercie d’avance pour vos éclaircissements et j’apprécie votre volonté de partager vos expériences et réflexions sur ce sujet.
Cordialement,
Amal
Bonjour Amal, merci pour votre commentaire. C’était un choc émotionnel lié à la situation