Maroc : les « hommes libres » relèvent la tête

Photo: vie de village à la Vallée des Roses © Isolda Agazzi

Aujourd’hui 13 janvier, les Berbères fêtent le Nouvel An. La vie de ceux de l’Atlas s’améliore lentement : reconnaissance de leur langue dans la nouvelle constitution marocaine, construction de routes et électrification des villages. La Suisse soutient ce processus par un projet de tourisme durable. Celui-ci s’inscrit dans la nouvelle volonté politique du Maroc de décentraliser et valoriser la diversité de sa culture

L’ascension du M’Goun, qui culmine à 4’071 m, commence à 5h. On part du refuge Tarkddite après un bref sommeil interrompu par le hurlement des chacals. Très vite, on éteint les lampes frontales pour laisser la lune et les étoiles guider nos pas dans la nuit majestueuse qui touche à sa fin. Après avoir gravi 1’000 mètres et parcouru une longue crête battue par les vents, on arrive enfin au sommet de cette imposante montagne de l’Atlas marocain (la deuxième la plus élevée d’Afrique du Nord, après le Toubkal), déjà coiffée par la neige en cette mi-octobre.

Lessive à la Vallée des Roses © Isolda Agazzi

 Les Berbères, « hommes libres » enracinés dans la terre, la tête tournée vers le ciel

En redescendant, les derniers randonneurs de la saison croisent les derniers bergers qui amènent les moutons dans la vallée – ou effectuent une semi-transhumance vers le sud – après avoir passé l’été dans les bergeries d’altitude, dans le dénuement le plus total. Un vent froid balaie les cimes. Quelques montagnards furtifs referment prestement les portes des maisons. Sur les murs, des symboles nous rappellent qu’on est sur la terre des Berbères, « les hommes libres » : enracinés dans le sol, la tête tournée vers le ciel. D’autres habitants, emmitouflés dans d’épaisses djellabas à la capuche rabattue sur la tête, arpentent à dos de mulet des sentiers où le rouge de l’argile alterne à des striures de vert et à d’étonnantes sculptures rocheuses façonnées par l’érosion. On suit Hussein, le doyen des muletiers, « un GPS vivant qui connaît le Haut Atlas mieux que vos appareils !», qui nous propose de monter sur sa mule avec quelques mots d’encouragement en tamazight, la langue parlée par les habitants de la région.

La route et l’électricité sont arrivées au village

En longeant la rivière qui prend sa source au pied du M’Goun, on arrive aux ruines d’une maison fortifiée en argile gardant jalousement l’entrée de la vallée. Et là, la vie reprend ses droits : les villages se succèdent, avec les typiques maisons rouges aux toits plats et les cours intérieures où sèche le maïs et s’entassent les moutons. Dans les champs, les hommes sont affairés à cueillir les pommes et les femmes courbées à cultiver pommes de terre et carottes. A la rivière, elles lavent le linge et l’orge pour le couscous du soir. De l’école nous parvient la litanie des enfants reprenant en chœur les paroles du maître. Sur le chemin, ils nous demandent des stylos, des bonbons ou quelques dirhams (la monnaie locale) en arabe, langue qu’ils apprennent à l’école car à la maison ils parlent berbère.

La vie est simple, mais paisible dans cette vallée d’Ouzighimt. « Il y a quelques années, les habitants ont manifesté pour revendiquer leurs droits. Et ils ont eu gain de cause : ils ont obtenu l’électricité et une route goudronnée, nous déclare fièrement Hassan Radi, qui a été élu à trois reprises vice-président de l’association de son village. La situation des Berbères s’est beaucoup améliorée ces dernières années. Maintenant dans chaque village il y a des associations très efficaces qui gèrent les canalisation, l’installation d’eau potable et de panneaux solaires. Et le berbère est reconnu comme langue officielle dans la nouvelle constitution marocaine de 2011. »

Et quand la route cède par suite du débordement de la rivière, c’est toute la solidarité villageoise qui se mobilise pour installer des planches de fortune sous les roues des véhicules car « les habitants arrivent toujours avant l’Etat !», nous assure-t-on.

Entrée d’un village berbère © Isolda Agazzi

Les Berbères du désert bloqués par la fermeture des frontières

Si tout le monde salue la construction de la route, les vieilles habitudes ont la vie dure. Pour passer de la vallée d’Ouzighimt à celle d’Aît Mraou, les gorges d’Achabou restent la voie de communication la plus rapide. Il faut cinq bonnes heures pour les parcourir à pied, dans une eau qui ne dépasse pas les dix degrés ; un peu moins à dos de mulet. Des parois d’argile à la majesté de cathédrales semblent étreindre un canyon qui devient de plus en plus étroit, dans une symphonie de rose et de rouge, le murmure de la rivière en bruit de fond et, à l’approche des villages, l’appel à la prière du muezzin emportée par le vent.

En continuant à longer la rivière M’Goun, on arrive à la Vallée des Roses et à ses kasbahs, d’anciennes maisons fortifiées sur plusieurs étages avec une cour intérieure, qui appartenaient à des gens riches et puissants. Beaucoup de ceux-ci sont devenus des « yeux de l’Etat » (moqaddem), une péculiarité marocaine, à savoir des fonctionnaires chargés de la sécurité et du contrôle des citoyens et à qui les habitants s’adressent en premier en cas de problème.

Au Ksar (ensemble de kasbahs) de Ait Ben Haddou, on tombe sur Rachid Chalala, un Tamashek (Berbère du désert) en train de vendre des souvenirs aux touristes. « Dans les années 1970 – 1980, je traversais le Sahara avec les caravanes pour amener du sel au Mali et au Niger et ramener des céréales. Mais maintenant les frontières sont fermées », regrette-t-il. Tombouctou, 52 jours, indique pourtant un panneau mythique à Zagora, ville du sud et porte d’entrée du désert. C’était une autre époque : aujourd’hui les « hommes libres » du sud marocain sont prisonniers des aléas de la géopolitique.


 

Dans les gorges d’Achabou © Isolda Agazzi

La Coopération suisse soutient le tourisme durable dans le Géoparc M’Goun

Du 14 au 17 octobre s’est déroulé, dans la vallée contigüe de Ait Bouguemez, le marathon de l’Atlas. Il était co-sponsorisé par le SECO (le Secrétariat d’Etat à l’économie de la Suisse) dans le cadre du projet de tourisme durable Suisse-Maroc, mis en œuvre par la fondation suisse Swisscontact. « C’était la première édition, elle a attiré une centaine de coureurs et 200 visiteurs. A l’avenir, on voudrait en faire un événement plus important pour promouvoir le tourisme durable Suisse – Maroc », nous indique Didier Krumm, le responsable de Swisscontact au Maroc et du projet mandaté par le SECO. Ce projet promeut le tourisme durable dans la région de Béni Mellal-Khenifra y compris dans le Géoparc M’Goun, à commencer par la rénovation des gîtes.

Ces activités s’inscrivent dans la meilleure reconnaissance, dans la constitution et la politique marocaine, de la berbérité du royaume. Celui-ci, affirme l’expert, a fait beaucoup d’efforts pour développer les zones rurales, qui sont désormais couvertes à 98% par les routes et les infrastructures. « L’année dernière ils ont lancé les Assises nationales du développement humain, avec le souci de mieux reconnaître la diversité de la culture marocaine, en incluant les Berbères et les Juifs marocains, continue-t ’il. Il y a aussi un gros effort de régionalisation et décentralisation des services de l’Etat : les conseils régionaux et la société civile montent en puissance pour développer le territoire, l’économie et les infrastructures et un fonds spécifique a été créé pour financer les petites associations. Nous-mêmes travaillons avec le conseil régional chargé de développer le tourisme et accompagnons la décentralisation en renforçant les capacités au niveau local J’aime beaucoup la mentalité des Berbères, ils sont très accueillants, collaboratifs et motivés à faire bouger les choses. !»

Les Berbères sont les habitants autochtones d’Afrique du Nord. C’est au Maroc qu’ils sont le plus nombreux : ils représentent quelque 60% de la population et 27% – 40% des 35 millions de Marocains sont berbérophones.


Ce reportage a été publié dans l’Echo Magazine

Isolda Agazzi

Isolda Agazzi est la responsable du commerce international romand d’Alliance Sud, la coalition des principales ONG suisses de développement. Après des études en relations internationales à Genève et des voyages aux quatre coins du monde, elle travaille depuis plus de 20 ans dans la coopération internationale, en Suisse et dans les pays du Sud. Elle est journaliste RP et a enseigné à l’université en Italie. Elle s'exprime ici à titre personnel.

10 réponses à “Maroc : les « hommes libres » relèvent la tête

  1. Reportage intéressant qui m’incite à visiter ce pays au-delà des villes avec aéroport. Reste à me renseigner sur un organisme marocain et berbère de préférence, pour organiser un voyage combinant la marche, le transport 4×4, le dromadaire et les nuitées (hôtel, pension, bivouacs).

  2. Magnifique article. Bravo. Ne pas oublier les berbères des autres pays d Afrique du nord. Du désert blanc d Egypte aux îles Canaries on trouve des poches berbérophones. Les autochtones de ces pays sont largement berbères mais tous ne sont pas berbérophones.

  3. Les Amazighs (homme libre en langue amazigh), qu’on appelle malheureusement en français “berbère”, n’ont JAMAIS baissé la tête. Méconnaissance de l’histoire, chère Madame.
    Mais il fallait bien un titre qui accroche, n’est-ce-pas.

    Jean

    1. Comme vous dites, c’est un titre, qui fait référence au drapeau amazigh mentionné au début: la tête tournée vers le ciel

  4. Résident dans un Douar de cette magnifique région, je salue et félicite Isolda pour la pertinence et l’intérêt de ses propos, si intelligemment et joliment exprimés…
    Le sujet est vaste et cette approche dans la découverte par les étrangers du peuple Amazigh marocain n’en est que plus méritoire…
    Bienvenue à tous, en ce jour si important,
    JP

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