« Un jour sans man’ouché, c’est comme un jour sans Père Noël »

Sajeat, le four libano/syrien des Pâquis, propose des galettes traditionnelles préparées sous vos yeux. Et une plongée dans l’authentique ambiance d’un village levantin, où l’on est accueilli avec la chaleur et l’humanité de ceux qui ont roulé leur bosse sur les routes du monde

On entre chez Sajeat, une minuscule arcade des Pâquis comme dans une caverne d’Alibaba. Un jour sans man’ouché, c’est un peu comme un jour sans Père Noël, récite une affiche postée à l’entrée du…. on hésite, ne sachant pas trop comment désigner ce lieu singulier, niché au coeur du quartier multiculturel de Genève. « C’est un foren, un four/boulangerie typique du Liban et de la Syrie. Cela faisait longtemps que j’avais l’idée d’ouvrir un four, mais je voulais que ça reste très villageois, comme au pays. Même l’électricité, je n’e l’ai pas finie exprès», s’amuse Nadim, un Libanais d’origine. Après avoir grandi entre la Suisse et la France et avoir décroché un diplômé de l’Ecole hôtelière des Roches, il travaille pendant cinq ans à New York, chez des chefs français, avant de rentrer à Genève et se lancer dans l’aventure, il y a deux ans, avec un associé syrien.

Un énorme four à gaz trône au milieu de la petite pièce. A l’aide d’une longue spatule, Nadim et ses employés y cuisent à l’instant des manouchés, galettes traditionnelles « très villageoises », saupoudrées de zaatar (un mélange de thym, sésame et sumac, une épice citronnée de couleur rougeâtre). La recette de base a été développée pour y ajouter du fromage, de la viande, des légumes et des épices variées comme le sujuk, amené au Liban par les Arméniens. La préparation des galettes se fait dans la cuisine au sous-sol, où l’on descend par une ouverture sous vos pieds, comme dans les contes pour enfants.

Produits locaux et de la montagne libanaise

Le fournisseur des moulins genevois vient livrer la farine. « Nous achetons local autant que possible, précise Nadim. Si un produit n’existe pas, on l’importe du Liban, de la montagne de chez nous. » Un sans-abri passe devant la porte vitrée, sans rien demander. L’employé, un jeune syrien au large sourire, fraîchement débarqué en Suisse, lui fait signe d’entrer et lui tend une galette à peine sortie du four. De petits gestes qui font chaud au cœur, Noël ou pas.

Lowy, l’associé de Nadim, est arrivé à Genève il y a quatre ans. En Syrie, il n’était aucunement dans la restauration, mais, issu d’une famille d’agriculteurs, il vivait dans la nature et exploitait des vergers. « Cela fait une belle combinaison entre le management et la production agricole, entre les Libanais et les Syriens, continue Nadim. On a des goûts un peu différents, mais notre force, précisément, c’est le mélange des deux. On ne voulait pas en rester à un clivage entre Libanais et Syriens, mais montrer qu’on peut être copains et faire quelque  chose ensemble, car c’est l’éternelle guerre entre les deux peuples. »

Le Liban et la Syrie, deux pays qui évoluent

Les deux compères tiennent à montrer que leurs pays évoluent, dans tous les sens. Sur les murs, des photos de maisons éventrées à Beirut et à Alep, où de jeunes artistes ont peint un tableau de Klimt, un enfant couché, la tête d’un vieillard… « Les clichés du Liban et de la Syrie qu’on voit partout, c’est fini, regardez les artistes qu’on a ! » s’exclame Nadim. Qui affirme avoir été le premier à ouvrir ce genre d’arcade à Genève et n’avoir fait aucune publicité particulière, sauf par le bouche à oreille. En effet, sur les réseaux sociaux, les éloges ne tarissent pas, tant sur la nourriture – « le meilleur zaatar que je connaisse », s’exclame l’un, « ma meilleure expérience gastronomique à Genève », renchérit l’autre » – que sur l’accueil, aussi chaleureux que les galettes qui sortent du four.

« C’est vraiment le street food levantin de chez nous. Au village, on le mange tout le temps, même si normalement, le zaatar c’est pour le petit déjeuner », précise Nadim. Tout comme la musique : les vocalises de Fairouz, la mythique chanteuse libanaise, résonnent dans la pièce, apportant une touche de soleil en cette pluvieuse matinée de décembre.  « Fairouz, c’est pour le petit-déjeuner », sourit Nadim. Nous sortons comblés, non sans quelques difficultés à ouvrir la porte. « Il faut appuyer fort sur la poignée, comme au village », plaisante Nadim.

Sajeat, 18, rue des Alpes, 1201 Genève. Ouvert tous les jours jusqu’à 23h

Isolda Agazzi

Isolda Agazzi est la responsable du commerce international romand d’Alliance Sud, la coalition des principales ONG suisses de développement. Après des études en relations internationales à Genève et des voyages aux quatre coins du monde, elle travaille depuis plus de 20 ans dans la coopération internationale, en Suisse et dans les pays du Sud. Elle est journaliste RP et a enseigné à l’université en Italie. Elle s'exprime ici à titre personnel.

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