L’initiative chinoise de création d’infrastructures tout azimut peut-elle contribuer au développement durable – et si oui à quelles conditions? Le sujet touche directement la Suisse, qui a signé un protocole d’entente avec la Chine pour soutenir ses entreprises, banques et assurances qui investissent dans les pays tiers.
« Grâce aux Nouvelles routes de la soie, l’Afrique de l’Est dispose de sa première autoroute, les Maldives ont construit le premier pont pour relier leurs îles, la Biélorussie a sa première industrie automobile, le Kazakhstan a accès à la mer et le continent euro-asiatique bénéficie du plus long service de train marchandises. Quant au train Mombasa – Nairobi, il a créé 50’000 emplois locaux » clamait Geng Wenbing, ambassadeur de Chine en Suisse, lors d’une conférence sur « Les nouvelles routes de la soie en tant que moteur des Objectifs de développement durable », organisée début septembre à Andermatt par la délégation suisse auprès de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE.
Nouvelles routes de la soie : un programme ambitieux de création d’infrastructures – routes, ports, trains, usines – lancé par le président chinois Xi Jinping en 2013 pour relier la Chine au reste du monde et faciliter l’importation de matières premières nécessaires à nourrir sa croissance spectaculaire. Un projet pharaonique auquel adhèrent à ce jour 126 pays et des organisations internationales et dont les chiffres donnent le vertige : 40% du commerce mondial, 60% de la population mondiale et 40% de la terre globale. Le montant exact des investissements est inconnu, mais il est estimé entre 1’000 et 8’000 milliards USD. La Chine à elle seule prévoit d’y injecter 600 – 800 milliards USD jusqu’en 2021.
« La Belt and Road Initiative (BRI) n’est pas un one man show de la Chine, ni un club de la Chine”, précisait l’ambassadeur chinois. En effet, la Suisse s’est empressée de rejoindre le club en avril passé, devenant l’un des premiers pays d’Europe occidentale. Le protocole d’entente entre la Suisse et la Chine ne prévoit pas une augmentation des investissements chinois en Suisse, mais une collaboration des entreprises, banques et assurances dans les pays tiers, avec le soutien des gouvernements respectifs. Ce qui soulève précisément beaucoup de questions.
Vive opposition au train chinois en Ethiopie
Car tous les projets ne marchent pas aussi bien que le clame l’ambassadeur chinois. Etonnamment, il a omis de mentionner le train qui relie Addis Abeba à Djibouti sur 750 km – la première liaison ferroviaire transfrontalière entièrement électrifiée en Afrique. Inauguré en janvier 2018, il a coûté 2,8 milliards d’euros, que l’Ethiopie va devoir rembourser à la Chine sur 15 ans. Une gare flambante neuve, mais peu fréquentée, a même été construite en-dehors de la capitale éthiopienne pour remplacer la vieille gare et le chemin de fer construits par les Français en 1901, qui avaient cessé de fonctionner autour des années 2000.
Ayant moi-même pris le vieux train en 1993, certes bourré de charme pour un voyageur étranger, mais qui avait mis un jour entier pour relier Addis Abeba à Harar, près de la frontière somalienne, avec deux wagons brinquebalants, je comprends aisément l’enthousiasme des autorités face à un tel exploit technologique. Sauf que, comme rapporté par de nombreux médias, certains locaux perçoivent ce chemin de fer comme un projet des élites d’Addis Abeba. La plupart des gares sont complètement excentrées et ne contribuent pas à l’économie locale, contrairement au vieux train, qui drainait dans un chaos ébouriffant marchands, restaurateurs et hôteliers. Et si l’entreprise chinoise affirme avoir créé 20’000 emplois locaux en Ethiopie et 5’000 à Djibouti, les ex employés désormais au chômage se plaignent de bas salaires et mauvaises conditions de travail. Mais le problème principal, c’est la terre, qui appartient à l’Etat et pour laquelle les communautés expropriées, notamment Oromo, affirment ne pas avoir reçu de compensation adéquate.
Manque de transparence, surendettement…
Le train éthiopien est un bon exemple du potentiel des projets chinois, mais aussi de leurs risques. A commencer par le manque de transparence. Il n’existe pas de données officielles sur les projets de la BRI, leur rapport coûts – bénéfices et leur impact sur les populations locales, puisque Pékin ne dévoile pas les conditions d’octroi des crédits. Ceci entraîne le surendettement de ces pays vis-à-vis de la Chine, ce qui peut créer des problèmes en termes de dépendance économique, mais aussi politique. C’est ainsi que Djibouti, qui doit à la Chine l’équivalent de 80% de son PIB ( !), abrite la première base militaire chinoise à l’étranger. « Le couloir industriel pakistano – chinois a fait augmenter le PIB pakistanais de 2,5% », soulignait l’ambassadeur chinois à Andermatt. Se gardant bien de mentionner qu’il a aussi fait exploser la dette pakistanaise vis-à-vis de la Chine, estimée à 19 milliards USD. Quant aux Maldives, leur dette chinoise, estimée à 1,5 milliards, représente 30% du PIB.
Les participants ont souligné que les banques multilatérales d’investissement ont élaboré des lignes directrices qui assurent une certaine durabilité sur le plan social, financier et environnemental. Bien que souvent critiquées par les ONG, celles-ci ont au moins le mérite d’exister et de créer un cadre de référence. Trop contraignant pour certains pays visiblement, puisque un haut fonctionnaire n’a pas hésité à affirmer que « dans les instances multilatérales, ce n’est pas l’argent qui manque, mais les projets viables ». Les prêts chinois seraient donc plus faciles à obtenir, mais la dépendance qu’ils peuvent entraîner a parfois des relents de néocolonialisme, avons-nous envie d’ajouter.
Car il n’y a aucun doute: ceux qui acceptent des prêts de plusieurs millions de dollars deviennent dépendants, qu’ils le veuillent ou pas. Les anciennes puissances coloniales européennes et les Etats-Unis reprochent une sorte de néocolonialisme à la stratégie de développement et d’expansion de la Chine. Reste à voir si cela aura le même effet désastreux sur les pays en développement que le colonialisme historique.
Pourtant le besoin de financements est indéniable : l’OCDE a estimé que pour financer les investissements nécessaires à réaliser les ODD, il faut 6,9 trillions de USD par an jusqu’en 2030.
… impact sur l’environnement et les droits humains, corruption
L’impact des projets chinois sur les droits humains, en termes de standards de travail et de consultation des populations par exemple, est aussi significatif. Quant à l’environnement, comme dans tout projet d’infrastructure, l’impact sur l’eau, les sols, l’air, la biodiversité et le changement climatique est important – d’autant plus que beaucoup de projets portent sur le pétrole et le gaz, des secteurs qui ne contribuent pas précisément à la transition écologique prévue par les Objectifs de développement durable.
Un autre problème, accentué par le manque de transparence des prêts, est la corruption. « La mondialisation a contribué à exporter la corruption par l’investissement, a indiqué Gretta Fenner, du Basel Institute of Governance. Ce n’est pas seulement un problème de pays en développement. La BRI comporte des risques massifs de corruption et de mauvaise gouvernance, non parce qu’il s’agit d’une initiative chinoise, mais parce que ce sont des projets de grandes infrastructures qui impliquent beaucoup d’argent et un déséquilibre de pouvoir très évident entre la Chine et presque tous les autres pays.»
Pourtant certains progrès existent, à commencer par des Principes pour l’investissement vert dans la BRI et un Cadre pour la durabilité de la dette, récemment adoptés par la Chine et qui montrent une volonté de Pékin d’aller vers des investissements plus durables.
Que fait la Suisse ?
Dès lors, que vient faire la Suisse là-dedans ? Le protocole d’entente avec la Chine crée une plateforme où des entreprises chinoises et suisses peuvent travailler ensemble sur des projets de la BRI, avec une attention particulière à l’aspect financier et de durabilité de la dette. Un groupe de travail est en train d’être créé pour rendre la plateforme opérationnelle. Si les entreprises suisses s’impliquent, tout le monde semble s’accorder sur le fait qu’elles devraient respecter au moins certaines normes relatives aux droits humains et au respect de l’environnement.
La déclaration d’Andermatt, adoptée par les participants à la conférence, reconnaît ces beaux principes et la Suisse peut certainement aider à les réaliser. Mais ladite déclaration vise aussi à promouvoir un environnement favorable à l’investissement privé dans les infrastructures et les partenariats publics – privés. Une intention exprimée aussi clairement dans le protocole d’entente Suisse – Chine. Toute la question est de savoir si c’est le rôle des fonds publics de soutenir les entreprises, banques et assurances suisses à l’étranger. Et si oui, comment.
Cet article a d’abord été publié par Global, le magazine d’Alliance Sud
Belt & Road est le plan Marshall Post WWII des chinois, malheureusement pour tous ces peuples.
Même l’Europe ne s’en est jamais remise.
La vie continue, malgré tous les rêves de changement, elle qui ne change jamais et qui n’en a rien à faire que l’homme se fasse la guerre ou s’asphyxie. Certains appellent ça le karma, qui sait?