L’aide très discrète de Cuba aux victimes de Tchernobyl

Photo: plage près de Tarara, Cuba © Isolda Agazzi

Un Traductor, présenté à Genève dans le cadre de Filmar en America latina, relate l’histoire de 25’000 enfants victimes de l’accident de Tchernobyl, soignés gratuitement à Cuba jusqu’en 2011. Le programme a repris cette année, alors même que les médecins cubains sont chassés de Bolivie, après l’avoir été du Brésil.

Le bus qui relie le centre de La Havane aux plages de l’est passe sans s’arrêter devant des bâtiments délabrés, qui intriguent la passagère : le stade panaméricain, construit en 1991 pour héberger les Jeux éponymes, au-dessus duquel trône l’omniprésent portrait de Che Guevara. Et un peu plus loin, à une trentaine de kilomètres de la capitale, un complexe touristique abandonné en bord de mer, à la typique architecture soviétique. « C’est le centre de Tarara. Fidel [Castro] y a accueilli les enfants victimes de la catastrophe de Tchernobyl », nous explique notre voisin.  Médusée, je garde l’envie d’en savoir plus.

Ce sera chose faite au festival Filmar en America latina de Genève, où a été projeté la semaine passée Un Traductor, un film qui raconte ce chapitre peu connu de l’histoire cubaine. De 1989 à 2011, 25’000 enfants d’Ukraine, de Russie et de Biélorussie furent soignés à Cuba, gratuitement, des séquelles du plus grand accident nucléaire de l’histoire. Le 26 avril 1986, l’explosion du réacteur de Tchernobyl, en Ukraine, avait fait un nombre très élevé et controversé de victimes. En 2016, l’Ukraine, a formellement reconnu 35’000 décès directement liés à la catastrophe, mais certaines estimations vont jusqu’à un million. Des centaines de milliers de personnes sont restées handicapées, aussi bien dans cette ancienne république soviétique que dans les républiques voisines.

Un engagement fort, malgré les difficultés de la période spéciale

Le film, inspiré de faits réels, a été réalisé par Rodrigo et Sebastian Barriuso, les enfants de Malin, un professeur de russe à l’université de La Havane, assigné comme traducteur auprès des enfants de Tchernobyl, atteints surtout de cancers et de leucémie. D’abord très réticent à assumer cette tâche qui lui a été imposée, il se rapproche peu à peu des enfants, dont certains meurent sous ses yeux. Bouleversé, il finira par s’engager au-delà de ce qui lui était demandé, en leur lisant des contes cubains qu’il traduit en russe et en les faisant dessiner pour assurer la communication avec Alexi, un enfant aux soins intensifs qui mourra à cause d’une coupure d’électricité – ou parce que Malin est entré dans sa chambre en toute hâte, sans porter de masque, le traducteur ne le saura jamais… Il en finit par oublier presque sa famille et son propre enfant, dont les soucis lui paraissent tout à coup bien futiles.

Les temps sont pourtant durs à Cuba : le mur de Berlin vient de tomber, l’URSS s’effondre, l’île caraïbe ne peut plus lui vendre du sucre en échange de pétrole. Les étals des magasins se vident, tout comme les pompes à essence et Malin doit retaper son vieux vélo pour se rendre auprès des enfants. Heureusement il reste la formidable solidarité cubaine qui, soit dit en passant, fonctionne aujourd’hui comme hier.

Reprise du programme cette année

En juillet passé, le journal officiel Granma annonçait la reprise du programme. Cinquante enfants de Tchernobyl devraient être accueillis à Cuba cette année, alors même que le pays est plongé de nouveau dans une grave crise économique en raison d’un modèle qui ne marche pas, de l’effondrement du Venezuela, qui avait remplacé l’URSS dans la fourniture de pétrole, et du durcissement des sanctions américaines. Et alors que l’URSS n’existe plus et qu’on ne peut plus parler de solidarité socialiste, mais de solidarité tout court. C’est que, 33 ans après la catastrophe, des maladies cardiaques, cardiovasculaires et autres apparaissent chez des enfants nés bien après l’explosion du réacteur – selon certaines études 80% d’entre eux seraient affectés dans les zones à risque.

Quant aux célèbres médecins cubains, ils sont devenus personae non gratae dans plusieurs pays, pour des raisons idéologiques. Toujours selon l’organe du parti Granma, plus de 400’000 coopérants de la santé ont pris en charge des millions de personnes modestes dans 167 pays depuis le début de la révolution en 1959. Mais en Bolivie, les 725 membres de la Brigade médicale cubaine sont en train de rentrer au pays, suite aux harcèlements subis et à l’arrestation de la coordonnatrice. Au Brésil, les plus de 8’000 médecins cubains sont aussi en train de plier bagage  après l’entrée en fonction du président Jair Bolsonaro au début de l’année, ce qui fait craindre un désert médical dans les communautés défavorisées, surtout les indigènes et les Noirs.

Le programme continue cependant dans une soixantaine de pays, notamment au Venezuela. Il permet à Cuba d’apporter une aide médicale bienvenue, tout en constituant une source importante de devises, avec le tourisme et le transfert de fonds des migrants.

Voir aussi de la même auteure : Respect pour les acquis de la révolution cubaine, malgré l’opposition des Etats-Unis

 

Isolda Agazzi

Isolda Agazzi est la responsable du commerce international romand d’Alliance Sud, la coalition des principales ONG suisses de développement. Après des études en relations internationales à Genève et des voyages aux quatre coins du monde, elle travaille depuis plus de 20 ans dans la coopération internationale, en Suisse et dans les pays du Sud. Elle est journaliste RP et a enseigné à l’université en Italie. Elle s'exprime ici à titre personnel.

2 réponses à “L’aide très discrète de Cuba aux victimes de Tchernobyl

  1. tres bon article sur l’aide cuba aux enfants de tchernobyl qui nous fait decouvrir une situation que les visiteurs de cuba pouvait voir sur les plages de varadero : des enfants atteint de leucemie et pret a mourir. ceux qui vont encore a cuba fin 2019 debut 2020 peuvent toujours apporter des jouets et les remettre aux responsables sur place ou aux enfants directement… rien d’electronique ou a pile peluches d’animaux pa volumineuses et surtout pas de barby… j’apprecie votre approche des themes latin ou je vis actuellement. adios. jean pierre

    1. Bonjour Jean-Pierre, merci pour votre conseil! Vous savez à qui les visiteurs peuvent remettre ces jouets exactement? Cela peut aider les éventuels lecteurs

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