Embargo sur Cuba : l’UE menace de porter plainte contre les Etats-Unis

Photos de La Havane © Isolda Agazzi

Suite à l’annonce de l’administration Trump d’autoriser les plaintes contre les entreprises qui opèrent sur d’anciennes propriétés américaines nationalisées par Cuba, l’UE menace de porter plainte contre les Etats-Unis devant l’OMC.  Ce n’est pas trop tôt : l’embargo américain est contraire au droit international et l’Assemblée générale de l’ONU le condamne depuis 26 ans.

Trop c’est trop. Après avoir subi pendant près de soixante ans l’embargo américain contre Cuba sans presque rien dire (et surtout ne rien faire), l’Union européenne a menacé de porter plainte contre les Etats-Unis auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cet embargo interdit la plupart des importations et exportations entre les Etats-Unis et Cuba et les voyages des Américains. Il interdit aussi à tout bateau de charger et décharger aux Etats-Unis s’il a fait du commerce avec Cuba pendant les six derniers mois. En vigueur depuis 1962, il a été renforcé à plusieurs reprises. Partiellement assoupli par le président Barack Obama, Donal Trump menace de lui donner un nouveau tour de vis.

Cuba estime que l’embargo (qu’elle appelle bloqueo, le blocus) lui a coûté près de 760 milliards USD depuis 1962. Chaque année depuis 1992, l’ONU vote une résolution à la quasi-unanimité (à l’exception des Etats-Unis et d’Israël) pour le condamner.

Il a été décrété par Washington après l’invasion avortée de la Baie des Cochons, en 1961, lors de laquelle 1’400 exilés cubains entraînés par la CIA ont essayé de renverser Fidel Castro, que la Revolucion avait porté au pouvoir deux ans auparavant. Très peu d’entreprises ont les reins assez solides pour investir ou faire du commerce avec Cuba, craignant de ne plus pouvoir accéder au marché américain. L’une des exceptions notables est Nestlé, présente sur l’île depuis 1908, dont les produits figurent parmi les rares denrées alimentaires importées et qui est en train d’achever la construction d’une troisième usine.

Américains autorisés à porter plainte contre les entreprises européennes

La goutte qui a fait déborder le vase, côté européen, est l’annonce faite par le conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, le 17 avril, devant les Vétérans de la Baie des Cochons précisément. Washington prévoit de donner un tour de vis supplémentaire à l’embargo en mettant entièrement en œuvre le Helms-Burton Act, qui autorise tout citoyen des Etats-Unis à porter plainte devant les tribunaux américains contre toute entreprise opérant sur de (très) anciennes propriétés américaines nationalisées par la révolution cubaine. Adoptée en 1996, cette partie de la loi n’a jamais été appliquée car les trois présidents qui se sont succédé – Bill Clinton, George W. Bush et Barack Obama – ont toujours fait adopter des moratoires de six mois. A partir du 2 mai ces plaintes seraient désormais possibles. Selon le Département de la justice, 6’000 d’entre elles seraient recevables, pour une valeur de 8 milliards USD.

Elles porteraient contre des entreprises (notamment européennes et canadiennes) qui gèrent des complexes hôteliers et touristiques à Cuba, des distilleries de rhum ou des fabriques de cigares, par exemple. Or ces entreprises risqueraient de déposer à leur tour une contre-plainte devant les tribunaux européens, exacerbant encore davantage la guerre commerciale entre les Etats-Unis et l’Union européenne. Dès lors les officiels européens ont fortement protesté. Ils considèrent que l’application extraterritoriale de mesures unilatérales contre Cuba est contraire au droit international et menacent de porter le cas devant l’Organisation mondiale du commerce.

L’embargo, instrument politique

L’application du Helms-Burton Act dans sa totalité serait un coup extrêmement dur pour Cuba, dont l’économie est déjà à bout de souffle et qui essaie d’attirer des investissements étrangers. Comme si cela ne suffisait pas, John Bolton a annoncé aussi le plafonnement des transferts d’argent des Cubains résidant aux Etats-Unis à 1’000 USD tous les quatre mois, alors que Barack Obama avait supprimé tout plafond. En 2016, ces transferts étaient de trois milliards USD. Ces fonds sont vitaux pour l’économie cubaine, ils permettent l’essor d’un semblant de propriété privée, alors que l’accès aux financements internationaux est presque impossible pour Cuba, en raison notamment de l’embargo américain.

Les mesures annoncées par l’administration Trump sont clairement politiques. Elles visent à étrangler encore un peu plus le régime cubain, accusé de soutenir le gouvernement Maduro. Le Venezuela est effectivement l’un des principaux et derniers fournisseurs de Cuba, surtout pour le pétrole. L’effondrement du Venezuela est en train de créer une crise économique à Cuba qui pourrait rappeler la douloureuse période spéciale du début des années 1990, lorsque la chute de l’URSS avait mis le pays à genoux.

Soixante ans après la Revolucion, Cuba essaie de s’adapter à un monde qui a profondément changé. Le 24 février, après une large consultation, le peuple a adopté une nouvelle constitution qui reconnaît la propriété privée et abandonne le terme de communisme au profit de socialisme. Les Etats-Unis doivent comprendre que la guerre froide est terminée et arrêter de mettre les bâtons dans les roues de l’île caraïbe. Et l’Union européenne doit faire valoir le droit international à l’OMC… Que les Etats-Unis essaient de paralyser précisément, en bloquant la nomination des juges à l’organe d’appel, dont ils considèrent les sentences trop politiques. On n’est pas sorti de l’auberge.

 

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« Respect pour les acquis de la révolution cubaine, malgré l’opposition des Etats-Unis »

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Cuba à la croisée des chemins

Isolda Agazzi

Isolda Agazzi est la responsable du commerce international romand d’Alliance Sud, la coalition des principales ONG suisses de développement. Après des études en relations internationales à Genève et des voyages aux quatre coins du monde, elle travaille depuis plus de 20 ans dans la coopération internationale, en Suisse et dans les pays du Sud. Elle est journaliste RP et a enseigné à l’université en Italie. Elle s'exprime ici à titre personnel.

3 réponses à “Embargo sur Cuba : l’UE menace de porter plainte contre les Etats-Unis

  1. Sauver Assange serait un premier pas pour sauver l’Europe. Mais avec un conseil européen lobbyiste des US, no Way.
    Trump ne cherche ni à sauver les américains, encore moins le monde, il travaille seulement pour sa famille et son égo.

    Après la malédiction des matières premières, il faudra commencer à parler de la malédiction américaine, des attardés qui vivent encore au temps du coca, des penthouses et des yachts, sans parler de leur autos géniales à 15/L au cent 🙂 (bon Tesla n’est qu’une des pauvres exceptions et à voir)

    Le résultat malheureusement, c’est que l’Europe sera chinoise!

  2. Oui, la participation des pays européens à cet embargo est scandaleuse, inhumaine, et sur tout lâche.
    L’Europe, et en premier lieu l’Allemagne est les pays de l’est sont totalement soumises à l’oppressant ‘allié’ américain. C’est honteux pour l’est populations européenne de se soumettre à toutes les horreurs de la géopolitique américaine. Il y a l’Embargo contre Cuba, mais pas de sanctions pour les crimes d’Israel contre le peuple palestinien….

  3. Je tiens juste à apporter une précision sur la terminologie, pour le dire en termes très très simples:

    embargo: un pays qui arrête de commercer avec un autre pays, (embargo partiel: si c’est seulement dirigé contre un secteur, par exemple USA qui n’achèteraient pas de fromage français.

    blocus: un pays qui met de la pression sur des pays tiers pour bloquer un certain pays, avec ce caractère extra- territorial et contraire au droit international, exemple USA qui oblige presque le monde entier de bloquer Cuba sous peine de représailles. Par exemple UBS Suisse a du payer 100 mio d’amende pour avoir changé des dollars avec Cuba, etc.

    Donc parlons bien de blocus et non pas d’embargo dans le cas de Cuba

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