L’huile de palme sur une pente glissante

Photo: Militants de l’association indonésienne Wahli © Miges Baumann

La coalition suisse sur l’huile de palme demande d’exclure ce produit controversé de la négociation de l’accord de libre-échange avec l’Indonésie, qui touche à sa fin. A Bruxelles, le parlement européen vient de décider de l’exclure du quota d’agro-carburants d’ici 2021.

 

Sale temps pour l’huile de palme. Cette huile végétale, qui entre dans la composition de près de la moitié des produits alimentaires, cosmétiques et de nettoyage qu’on trouve dans les supermarchés, en raison de son faible coût, de sa résistance à la chaleur et de son rendement exceptionnel, est produite à 90% en Indonésie et en Malaisie. Dès lors, elle représente un produit stratégique pour les gouvernements de ces deux pays, mais aussi la principale pierre d’achoppement dans les négociations des accords de libre-échange avec la Suisse (par le biais de l’AELE, l’Association européenne de libre-échange). Actuellement, l’importation d’huile de palme est frappée d’un droit de douane de 100%, qui vise surtout à protéger les producteurs suisses de colza et de tournesol. L’Indonésie et la Malaisie demandent de baisser drastiquement ce tarif douanier, voire de le ramener à zéro, ce qui a créé une levée de boucliers. Pas moins de 23 interventions ont été déposées au Parlement depuis 2010, date du début des négociations avec l’Indonésie. Celles-ci, précisément, sont à bout portant, alors que celles avec la Malaisie ont pris un peu de retard.

Aujourd’hui même, la coalition suisse sur l’huile de palme, qui comprend douze organisations paysannes, de développement – dont Alliance Sud – de protection de l’environnement et des consommateurs, a publié une lettre ouverte au Conseiller fédéral Johann Schneider – Amman et aux ministres indonésiens compétents, pour demander d’exclure l’huile de palme de l’accord avec l’Indonésie. Concrètement, cela veut dire ne pas baisser les droits de douane pour faciliter encore davantage l’importation de ce produit controversé. Car cela entraînerait une augmentation de la production, qui pose d’énormes problèmes du point de vue environnemental, social, des droits humains et des droits du travail : déforestation, pollution, diminution de la biodiversité, confiscation des terres, violation des droits des communautés locales et des travailleurs…. La liste des griefs est longue.

Les signataires s’opposent aussi à la prise en compte de tout label prétendument durable sur l’huile de palme, dont le célèbre RSPO (Table-ronde sur l’huile de palme durable), une initiative volontaire créée à Zurich en 2004 et qui regroupe aujourd’hui plus de 2’000 membres, issus surtout du secteur privé, mais aussi quelques ONG comme le WWF. Le problème du RSPO est notamment qu’il autorise certaines formes de déforestation, que ses lignes directrices sont vagues et que son mécanisme de contrôle et de plainte est faible. La lettre a été signée aussi par l’association indonésienne Wahli, membre d’Amis de la terre Indonésie, qui vient de soutenir la plainte de deux villages indonésiens contre le RSPO auprès du point de contact suisse auprès de l’OCDE. Les communautés villageoises reprochent à RSPO de ne rien faire contre la déforestation occasionnée par une société malaisienne, pourtant membre du label, à West Kalimantan.

A Bruxelles, les nuages s’amoncellent aussi. Après que des ONG indonésiennes ont demandé d’exclure l’huile de palme des négociations de l’accord de libre-échange avec l’UE, fin janvier le parlement européen a voté pour l’exclure du quota européen d’agro-carburants d’ici 2021. Il va devoir convaincre la commission européenne et le Conseil européen, qui ne sont pas du même avis, mais ce vote a déjà jeté un froid sur les négociations de l’accord de libre-échange avec la Malaisie.

On va voir qui, de la Suisse ou de l’UE, va coiffer l’autre au poteau en concluant la première des accords de libre-échange avec les deux principaux producteurs d’huile de palme au monde. Cela pourrait bien être la Suisse, mais il faut alors qu’elle ne le fasse pas au détriment de la biodiversité, des droits humains et des droits des communautés locales. Cela pourrait créer un dangereux précédent.

 

 

 

Isolda Agazzi

Isolda Agazzi est la responsable du commerce international romand d’Alliance Sud, la coalition des principales ONG suisses de développement. Après des études en relations internationales à Genève et des voyages aux quatre coins du monde, elle travaille depuis plus de 20 ans dans la coopération internationale, en Suisse et dans les pays du Sud. Elle est journaliste RP et a enseigné à l’université en Italie. Elle s'exprime ici à titre personnel.

3 réponses à “L’huile de palme sur une pente glissante

    1. Je suis d’accord mais ce n’est pas une raison d’empêcher les importations. Les consommateurs, s’ils veulent vraiment éviter de manger des aliments contenant de l’huile de palme sont responsables de se renseigner et de ne pas acheter ces produits. La Suisse a légiféré en faveur de l’étiquetage donc c’est à la portée de chacun.

      1. Chère Madame, comme expliqué dans l’article, il n’est pas du tout question d’empêcher les inmportations, mais de ne pas baisser les droits de douane par rapport à leur niveau actuel, ce qui les ferait augmenter.

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