Faits d’hiver

C’était un dimanche de l’hiver dernier et je prenais le train pour me rendre en montagne. J’ignorais que des faits divers allaient me plonger dans des réflexions nées d’échanges quelque peu burlesques. Une question intéressante germa tout de même de ces faits de l’hiver passé : où va-t-on, lorsque l’on ne sait pas d’où l’on vient ?

Qui es-tu ?   

Questionner le passé peut s’avérer utile, mais n’est pas toujours efficace. Assise dans le train, le contrôleur qui vérifia mon billet me signala froidement qu’il fallait régler un petit détail, sans m’expliquer tout de suite que mon billet via Neuchâtel exigeait un paiement supplémentaire qui n’aurait pas été nécessaire si je l’avais pris via Bienne. L’opération terminée, c’est alors que je me permis de lui demander si je pouvais avoir le reçu de la modique somme de CHF 2.40.- que j’allais payer immédiatement. Il s’exclama alors d’un air hautain et méprisant « Biensûr ! Je ne sais pas comment c’est chez vous, mais ici on donne toujours un reçu ». La poursuite de notre dialogue se tint alors à peu de choses près sous cette forme :

– Vous avez dit chez vous? Mais qu’est-ce que vous entendez par là ?

(hésitations) écoutez, je ne sais pas…à la maison !

– Mais comment ça à la maison, ça veut dire quoi à la maison? êtes-vous en train de me dire que je ne suis pas chez moi ou que je ne suis pas Suisse ?

– Biensûr que vous êtes Suisse !

– !?

Une première série de questionnements se pointa à l’horizon : Mais qui suis-je ? Une voyageuse en état de fraude ? Une enquiquineuse du dimanche qui ignore qui elle est ? Une étrange passagère qui semble étrangère aux mœurs et aux coutumes du train ? Une persona non grata qui gratte là où ça fait mal ? Quelqu’un qui pose trop de questions ?

Je ne suis pas un bébé !

Une fois sortie du train et avant d’engager ma montée vers les cimes, je crus bon de me permettre une pause au Café de la gare. Mais voilà qu’au moment de partir et de saluer tout le monde avec un « Bonne journée ! » d’une expression chantante et toute ingénue, un certain habitué du coin me lança un défi « Soyez sage ! ». Très amusée de voir qu’un inconnu me recommandait d’être sage (si je peux), je rebroussais alors chemin pour lui demander « Ah bon? Mais vous êtes sage ? ». On ne sait jamais, la sagesse peut être transmissible. Je ne me souviens malheureusement plus si je ressemblais au petit Chaperon rouge ou à un bébé qui va se perdre dans la forêt et à qui on avertit d’être sage.

Quelques pas plus tard, seule parmi les arbres et comme si ça ne suffisait pas, on m’interpellait à nouveau pour me lancer au vol : « Moi non plus, je ne suis pas un bébé ! ». Soulagée de voir que je n’étais finalement pas si seule, je fus tout de même surprise par cet interlocuteur. Fort de son argumentation, l’arbre, qui portait une lolette comme un étendard imposé de force, me convainquit qu’effectivement il n’était ni un bébé ni un service pour objets trouvés. Après tout, il était fort probable que le papa ou la maman du bébé qui avait perdu sa lolette soit dépourvu de l’idée géniale d’aller rechercher cet objet sale en forêt.

                               

Tout le monde à (a) sa place

Touchée par la requête de mon ami l’arbre, je me résolus à prendre la lolette et à la donner à sa légitime propriétaire : la poubelle. C’est vrai, il y a encore du boulot pour combattre les déchets et le réchauffement climatique, mais il y a aussi des bouleaux qui nous rappellent à l’ordre. L’ordre des choses. Cette nature qui nous questionne sur nos origines et sur nos multiples relations au monde. Comment se respecter soi-même et les autres, si nous ne parvenons pas à respecter notre environnement…

Mais où va-t-on, lorsque l’on ne sait pas d’où l’on vient ?

Hélène Agbémégnah

Juriste de formation, ses expériences professionnelles et personnelles lui ont permis, entre autres, de côtoyer des problématiques liées à la migration et à la diversité. Elle a été membre de la Commission fédérale des migrations (CFM) pendant quatre ans et s’intéresse, dans ce blog, à partager ses vues et réflexions multiples.

8 réponses à “Faits d’hiver

  1. Continuez à nous enchanter de votre humour et si belle écriture, chère Hélène 🙂
    bonne continuation

  2. Chère Hélène,

    Votre style est très distingué, puisque vous mêlez amertume et bienveillance avec brio, pour nous faire part sur un ton enjoué de vos expériences négatives d’un jour en déplacement.

    A notre époque, le rejet de l’autre en général, quand il est différent d’apparence, n’est pas un geste intuitif et primaire, surtout en Suisse, mais largement lié aux circonstances de chacun, à ses propres expériences et aux conditions économiques du moment.

    Un chef d’entreprise qui ne supportait pas dans sa jeunesse de fréquenter ses semblables d’une autre couleur, serait tout content plus tard d’engager ces mêmes personnes s’ils lui permettent de s’enrichir davantage pour autant qu’ils soient plus productifs ou moins exigeants. Son égoïsme personnel évolue et sert de curseur pour mesurer sa tolérance vis-à-vis de l’autre.

    Le contrôleur du train a déconné et ce qu’il a fait n’est pardonnable, mais il représente l’exception qui confirme la règle générale en Suisse qui est la tolérance, plus exactement et pardonnez-moi pour le terme : l’indifférence.

    La presse nous informe continuellement que les teneurs du marché de la drogue et de la prostitution à Genève sont africains, il est presque normal par conséquent d’être méfiant quand on croise une personne de couleur noire, mais très vite les aprioris se dissipent, dès que la conversation s’engage pour découvrir des personnes souvent sympas qui sont animés par les mêmes préoccupations que tout le monde.

    Ne regardez pas en arrière, allez de l’avant. Facile à dire, difficile à faire, je sais !

    Je viens de lire vos autres articles et suis totalement admiratif !

    1. Cher Elie,
      Merci de votre commentaire et de vos appréciations personnelles. Le regard porté sur chacune de nos expériences vécues dépend aussi, en partie, de la manière dont nous pouvons traduire et comprendre nos émotions. Or, chaque émotion est très individuelle et mérite un espace d’expression. Je suis, pour ma part, contente si l’espace qui se trouve sur ce blog peut devenir un lieu d’expression démocratique qui offre matière à réflexion…

  3. Vous tenez un excellent sujet typiquement Suisse: où l’identité plonge-t-elle ses racines? dans le rite d’une renaissance, dans un idéal, une manière d’être, une apparence, une histoire… oups, mais quelle est l’histoire? Une bataille qui n’a probablement jamais eu lieu? un héros qui accepte de tirer sur son fils?
    Inclusif, exclusif…
    Autant de sources d’identité. Le débat mérite d’être lancé. Allez, moi je choisis “idéal”. Celui d’un peuple humble, mais tenace et créatif face à l’adversité, constructeur de ponts et faiseur de paix. C’est donc dans la colonne “inclusif” que je me sens à l’aise.

    1. Cher Gwaskell (j’ignore s’il s’agit de votre vrai nom ou d’un pseudo libre de toute appartenance identitaire), je vous remercie également pour votre apport au débat. Choisir une vision, c’est aussi choisir un but à atteindre. Et dès lors que votre but est inclusif et prend compte des intérêts du plus grand nombre, vous devenez visionnaire et, peut-être, un peu révolutionnaire. Alors je souhaite vraiment que ce siècle devienne visionnaire à tous les niveaux pour réduire les disparités économiques et sociales des différentes nations. Je vous remercie donc d’être l’acteur d’une vision plus inclusive!

  4. Chère Hélène, c’est la première fois que je découvre votre plume, et je trouve votre faits d’hiver classe. Merci de nous rappeler avec tant de finesse et de justesse à quel point, dans la vie de tous les jours, les préjugés et les croyances nous font adopter des attitudes absolument inacceptables. Continuez, votre manière de le faire et tout à votre honneur, et elle est malheureusement bien nécessaire. Merci !

    1. Chère Monique, merci infiniment pour vos encouragements et à bientôt, j’espère, pour de prochains récits sur ce blog !

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