Vaud rejoindra prochainement le groupe des cantons suisses interdisant ou réprimant la mendicité. Une révision de la loi pénale vaudoise en ce sens avait été adoptée en 2016 par le Grand conseil vaudois. Un groupe de recourants, certains pratiquant la mendicité et d’autres réclamant le droit de pouvoir faire l’aumône, avaient saisi les tribunaux contre cette révision. Le Tribunal fédéral a rejeté leur recours en dernière instance dans un arrêt rendu disponible il y a quelques jours (arrêt 1C_443/2017 du 29 août 2018), confirmant notamment sa jurisprudence rendue quelques années auparavant suite à l’interdiction de la mendicité dans le canton de Genève (ATF 134 I 214). Il a analysé l’interdiction de la mendicité à la lumière de plusieurs droits fondamentaux ancrés dans la Constitution fédérale et la CEDH, et qui étaient invoqués par les recourants.
Les recourants faisaient premièrement valoir qu’une interdiction totale de la mendicité serait inadmissible car elle priverait les personnes qui s’y adonnent du dernier moyen disponible pour subvenir à leurs besoins. Le minimum vital de ces personnes serait également entamé par le prononcé d’amendes et la confiscation des recettes. Il en découlerait une incompatibilité avec une série de droits fondamentaux, soit la garantie de la dignité humaine (art. 7 Cst.), la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.), le droit fondamental à des conditions minimales d’existence (art. 12 Cst.) et le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH).
Le Tribunal fédéral a considéré que l’interdiction de la mendicité constituait certes une atteinte à ces différentes garanties, mais qu’elle était admissible notamment car elle poursuivait différents buts d’intérêt public : non seulement prévenir l’exploitation de personnes mais également préserver l’ordre, la sécurité et la tranquillité publics. Cette interdiction serait également proportionnée vis-à-vis de ces buts, car d’autres mesures moins incisives seraient, selon les juges, insuffisantes.
La liberté économique (art. 27 Cst.) était également invoquée par les recourants. Selon eux, une interdiction totale de la mendicité serait incompatible avec cette liberté, qui garantit le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice. Le Tribunal fédéral a, pour sa part, relevé que si la liberté économique protège l’exercice d’une activité dans le but d’obtenir un gain économique, c’est dans la perspective de rapports de production et d’échange qui font vivre le système économique. Or il a considéré qu’il n’y avait justement aucun échange de biens ou de services dans le cadre de la mendicité, si bien que la liberté économique ne lui serait pas applicable.
Les recourants se prévalaient également de la liberté d’opinion et d’expression (art. 16 Cst. et 10 CEDH) : la mendicité véhiculerait un message global sur la situation des personnes démunies en Suisse et dans le monde, en plus d’un cri de détresse individuel. Quant aux personnes qui donnent l’aumône, elles exprimeraient un geste de soutien et inviteraient chacun à faire de même. Le Tribunal fédéral a, pour sa part, posé des limites à la liberté d’expression : si tout comportement pouvait être lu comme véhiculant une information, la liberté d’expression serait dotée d’un champ d’application extrêmement large. Ainsi, pour qu’un acte soit protégé par la liberté d’expression, il faut que lui soit attribuée une valeur communicative. Tel ne serait pas le cas pour le fait de mendier ou pour celui de donner.
Les recourants ont également argumenté que l’interdiction globale de la mendicité portait atteinte à la liberté religieuse (art. 15 Cst.), car elle empêchait les individus qui le souhaitent de pratiquer l’aumône conformément à leurs convictions et aux dogmes de leur foi. Le Tribunal fédéral a rétorqué que l’interdiction de la mendicité ne concernait qu’une situation très particulière, si bien que l’atteinte à la liberté religieuse n’était pas significative et que d’autres possibilités de venir en aide aux nécessiteux existaient.
Les recourants invoquaient également l’interdiction de discrimination (art. 8 Cst. et 14 CEDH), à double titre : une interdiction de la mendicité serait discriminatoire car elle viserait avant tout les personnes dans le besoin. De même, la communauté rom serait également discriminée, car concernée au premier chef par cette interdiction. Pour le Tribunal fédéral, rien ne permettait de considérer que seuls les Roms était visés. Cette interdiction devait s’appliquer à toute personne pratiquant la mendicité, si bien qu’il n’y avait pas de discrimination.
Enfin, le Tribunal fédéral a rejeté un dernier argument des recourants, qui considéraient que la notion de mendicité inscrite dans la loi pénale vaudoise serait imprécise et donc contraire à l’adage “pas de peine sans loi” ancré à l’art. 7 CEDH. Cet argument a également été rejeté par les juges, qui ont considéré que l’activité visée était délimitée de manière assez précise.
Le recours des opposants ayant été rejeté, la modification de la loi pénale vaudoise entrera en vigueur à une date prochaine, qui doit encore être décidée par le Conseil d’Etat. Dans le cadre de la procédure de recours, le gouvernement vaudois a indiqué qu’il édictera un arrêté visant la possibilité d’exclure du champ d’application de la loi la mendicité occasionnelle. Les recourants pourraient, eux, porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Oui, ça m’a aussi fait rire le “libéralisme” du droit économique de mendier.
Pourquoi pas voler, aussi pour des raisons économiques (ça se tient)?
🙂
@ M. Olivier Wilhem : Le “libéralisme” du droit économique de mendier vous a “aussi” fait rire… Aussi comme qui ? L’auteur de l’article ne rit pas, ni le second commentateur, ni moi… Vous riez tout seul…
Que vous n’ayez pas le sens de l’humour vous regarde, mais c’est pourtant au nom du “droit de la liberté économique” (entre autre) qu’un recours pourrait être déposé à la Cour européenne!
(c’est au §4, au cas où)
Rassurez-vous… Vous avez le droit de rire, même seul.
Vous écrivez : “Le Tribunal fédéral a considéré que l’interdiction de la mendicité constituait certes une atteinte à ces différentes garanties, mais qu’elle était admissible notamment car elle poursuivait différents buts d’intérêt public”.
Votre usage de la conjonction de coordination “car” est fautive. Vous deviez écrire “parce que”.
Le Tribunal Fédéral rejoint le point de vue de certains curés, selon lequel l’interdiction de la mendicité n’est pas en opposition à leurs dogmes et leur foi… Tel le curé d’une église du Nord lausannois qui chassait les mendiants qui tenaient leur gobelet, accroupis à côté de l’entrée. Celui-ci n’était plus là pour faire de l’ordre après qu’il ait détourné l’argent de la caisse des dons… Puis a poursuivi sa mission première bienfaitrice dans une autre église. Les lecteurs qui ont la foi me pardonneront, j’espère, de citer ces faits relatés il y a quelques années dans la presse, qui ne sont peut-être pas représentatifs à grande échelle en ce qui concerne la mendicité dans les jardins des églises.
Il semble qu’il soit plus facile de projeter ses idéaux de bien-être partagé sur le chemin de la foi, que de trouver une voie satisfaisante au travers d’un débat juridique parsemé de pauvres doutes.