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Aux alentours du Tour de France, de Livarot à Fougères

C’est le plus grand spectacle itinérant au monde, et le plus populaire. Le Tour de France 2015 est passé par le Nord, la Normandie, le Pays basque, les Alpes et remontera les Champs-Élysées le 26 juillet. Soit une boucle de 3360 kilomètres.

Le Temps s’est immiscé entre caravane et peloton lors de la 7ème étape, entre Livarot et Fougères. Du bocage normand aux coteaux bretons, instantanés d’une foule joyeuse, grimée et démonstrative.

Livarot, terre de fromage et de vélo. Les deux ne sont pas incompatibles. Pour preuve, de la graine de champion nourri à la pâte molle a poussé dans le village, dont François Lemarchand, bon coureur professionnel dans les années 80-90 (10 participations au Tour de France). Ce jour-là, le vendredi 10 juillet, la Grande Boucle s’est invitée dans la bourgade normande. Ville de départ de la 7ème étape. Destination Fougères en Bretagne, soit 190 km, sous un soleil chaud.

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Mais on ne pense pas encore à cela. Ne compte que l’instant présent lorsque le grand cirque (4 500 personnes en tout) est à l’arrêt, à pied comme tout le monde, pas pressé. Les rues sont décorées et pimpantes, les gens affluent par milliers, les véhicules des équipes, des médias et des sponsors stationnent n’importe où et peu importe. Livarot est un centre du monde.

Un accordéoniste joue des petits airs de Paris la canaille en tournant autour de la vendeuse de saucisses-moutarde. Un localier de Ouest-France, le grand journal régional, est sur les nerfs: «Depuis lundi, Rennes (siège du quotidien) me demande une page entière tous les jours, je n’ai jamais écrit autant de ma vie, même quand on célèbre le débarquement de Normandie».

Sous la tente de l’accueil des invités, maires, sénateurs, sous-préfets, colonels de gendarmerie et amis des enseignes Carrefour, Banette, Antargaz et des semences RAGT se pressent pour obtenir le badge accordant le droit d’accéder au «village départ». Où l’on peut croiser des anciens champions comme Raymond Poulidor, Greg Lemond ou Bernard Thévenet et plein d’autres gens vus à la télé. Ainsi que le barbier officiel du Tour, qui rase les coureurs à l’ancienne (avec coupe-chou, espèce de lame courbée).

Aussi rôdé qu’il soit, le Tour de France (102 ans d’âge) connaît des accrocs. Ce matin-là, ce sont les accréditations des journalistes qui ont disparu. Manu, 17 ans de Tour, employé d’Amaury Sport (ASO), la société organisatrice, a son explication : «Le Tour n’échappe pas au code du travail. Après six journées de boulot, on doit se reposer 24 h. Même les commentateurs de France Télévision doivent se plier. Et ça fout une m… ! » Manu avait raison : le responsable des «accrédits» est en journée off et nul ne sait dans quel hôtel il dort. «Il est peut-être parti voir la mer» rigole un reporter belge.

A 10h15, les précieux sésames surgissent par miracle. Mais trop tardivement pour les journalistes qui voulaient partir avant la caravane publicitaire. Déjà, celle-ci se met en route, deux heures avant le peloton. Cortège de 12 km, de 160 véhicules, 600 personnes, 34 marques et 14 millions de menus objets en tout, lancés aux spectateurs. C’est Henri Desgrange, le patron du Tour dans les années trente, qui a eu l’idée d’appeler les enseignes à participer à une caravane publicitaire pour remplir les caisses de la course. Il paraît qu’un spectateur sur deux (ils sont en tout 15 millions à regarder passer le Tour) vient pour la fameuse caravane. Eric Fottoriro, écrivain, journaliste et cette année consultant de France Télévision, l’a joliment baptisée «signe avant-coureur».

On rencontre Gilles adossé au panneau Camembert, du nom du hameau de 200 âmes d’à côté, et patrie du célèbre fromage inventé ici en 1791 par Marie Harel. Gilles a 64 ans, est venu de Lisieux exprès pour ses petits-enfants qui voulaient «des souvenirs». Mission accomplie. Il ouvre une besace aux couleurs d’une marque de frites surgelées et en sort des crayons Bic, des madeleines, des ballons, des bonbons Haribo. Tactique de Gilles : tenter de trouver un coin isolé, «ce qui concentre les dames des marques sur moi».

La solitude est un exploit car les routes du Tour drainent chaque jour chaque jour des centaines de milliers d’estivants le long du parcours qui sillonne. Rares sont les talus inoccupés, les champs deviennent des parkings, les clôtures sont un peu forcées, l’ombre est recherchée. La plupart des personnes posent leurs parasols, chaises, tables (pour la salade de thon et les côtelettes du midi) sept heures avant le passage du peloton (190 coureurs).

La caravane fait patienter et râler un couple qui estime «que c’était mieux avant et plus généreux». Un véhicule au nom d’une marque de poisson passe. La dame boude : « Les poissons, ils les balancent jamais». Autre désarroi du public ce vendredi-là : les très populaires 2CV Citroën peinturlurées aux couleurs des saucissons Cochonou n’ont pas intégré la caravane. La faute aux éleveurs de porcs du coin, très remontés, qui reprochent à la marque de fabriquer de la charcuterie avec la viande étrangère. Les 2CV ont craint des froissements de tôle.

C'est le spectacle qui vient chez nous, il y a des couleurs, des klaxons et c’est connu dans le monde entier.

Liliane et Maurice Havez, respectivement 82 et 86 ans, ont de leur côté observé avec une certaine indifférence le défilé publicitaire. Ces anciens ferrailleurs passionnés par «la petite reine» ont sorti leurs vieilles bicyclettes, des tandems, des bécanes rouillées de la seconde guerre mondiale et même un cadre de vélo offert à Maurice lorsqu’il avait 5 ans. Disposer ces reliques devant leur jardin leur a demandé deux journées pleines de travail avec l’aide des voisins. Leur rêve : que les hélicoptères du Tour de France montrent à la télévision leurs trésors. Hélas, ils ont appris ce vendredi 10 juillet que leur bourgade (La Bruyère-Fresnay) était trop proche de Livarot. «C’est diffusé en direct à la télé bien après la Bruyère, on est vraiment déçu. Mais si vous voulez bien prendre une photo et montrer nos vélos dans votre journal» suggère Liliane.

Plus loin, une famille (deux couples et une ribambelle d’enfants) qui se fait appeler les Groseilles festoie. Le barbecue grésille, la bière coule et le drapeau normand flotte. Ils habitent Falaise, non loin de là. «Ce que l’on aime, dit l’un des hommes, c’est le spectacle qui vient chez nous, il y a des couleurs, des klaxons et c’est connu dans le monde entier. Après, quand ils sont passés, il n’y a plus rien et la vie redevient comme avant». Son épouse complète : «Et c’est gratuit!».

Signe des temps, les radios sont moins ouvertes sur les bords des routes pour se tenir informé du déroulement de la course. Les passionnés peuvent désormais localiser sur internet leurs coureurs favoris et leur classement grâce à un capteur posé sous la selle des vélos.

Mais le déroulé de la course intéresse au fond peu le public. Celui-ci qui se met en scène est acteur du spectacle. On a vu donc le célèbre El Diablo (un Belzebuth qui harponne le ciel), des Obélix, des hommes préhistoriques, des pères Noël, des schtroumpfs, la CGT (syndicat) habillée de jaune qui distribuait des tracts, une manifestation très pacifique contre l’amiante, une autre contre l’installation d’une décharge, une annonce de la fête du cochon à Carrouges (ville jumelée avec Carrouge dans le canton de Vaud). Le Tour ultramédiatisé est une vitrine pour tout le monde. Mais pas d’infirmier brandissant une seringue, images vues et revues les années de dopage. On n’en parle peu sur le parcours. Ne pas gâcher le plaisir. Oser croire que tout va bien désormais malgré les coups de pédale de certains «qui laissent à penser qu’il y a comme un petit moteur caché dans le col du fémur».

A la Baroche-Gondouin (Mayenne), un homme tend un verre de cidre, spécialité de la région. «Ça c’est une autre forme de dopage!» soutient-il. A Livarot, un supporter portugais regrettait tout de même le temps jadis des forçats honnêtes de la route comme son compatriote Joaquim Agostinho qui en 1979 est devenu favori du Tour parce qu’il était propriétaire de génisses et qu’il avait dû parcourir 90 kilomètres à vélo dans la montagne pour retrouver son cheptel. «Il a fait ça en trois heures. L’histoire a impressionné tous ses rivaux» raconte-t-il.

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Autre brève d’Histoire : à Lassay (Mayenne), on apprend que Victor Hugo a voulu visiter en 1836 le château avec sa maîtresse Juliette Drouet mais que le domestique refusa l’entrée en annonçant : «Monsieur ne reçoit pas les vagabonds». Au Haras national du Pin (Orne), site somptueux, ça monte et la foule est agglutinée. Public essentiellement français, contrairement aux étapes des Pyrénées ou des Alpes. Des Belges cependant, des Néerlandais, des Danois et des Britanniques venus pour Chris Froome (qui au terme de l’étape revêtira le maillot jaune) et Mark Cavendish (qui gagnera l’étape au sprint). Une journée anglaise après les victoires allemandes. Et les Français ? On attendait ici le régional de l’étape, Jean-Claude Bagot mais il finira dans les profondeurs du classement. Mais les spectateurs ont vu Daniel Teklehaimanot, cycliste érythréen, («un noir» bruissaient les bords de route) qui a gravi en tête les côtes de la région, avec son maillot à pois rouges de meilleur grimpeur. Le Temps l’avait rencontré lors du Critérium du Dauphiné Libéré. Il réitère ses belles performances sur les routes normandes puis bretonnes.

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«Les Bretons le nez dans le guidon» a scandé un supporter muni du drapeau noir et blanc appelé Gwenn ha du. A Fougères, ils étaient des dizaines de milliers à attendre le sprint du peloton mais aussi Bernard Hinault, la légende bretonne (cinq fois vainqueur de la Grande Boucle), né à Yffiniac, de retour au pays dans une voiture officielle. Il fut le plus applaudi.

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1 commentaire

  1. Comme toujours Le Temps est le meilleur dans le peloton de la presse pour réaliser un reportage simple, intelligent et bourré d’esprit. Dommage que vous ne soyez pas en kiosque en France !
    (pas même un point de vente à Paris… j’en suis désolée)
    A bientôt pour d’autres petits et grands tours sur le web.

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