Zonzon 3 Entrée en matière

Chroniques de Charclo

J’avais suivi les premières saisons de Oz, j’ai aussi maté Gangland ou Immersion à Sing Sing et d’autres conneries du même acabit sur Youtube. Quand j’ai reçu ma convocation pour la taule de la Croisée j’étais loin de faire le fier mais je balisais pas plus que ça…enfin pas trop. Prison ou ailleurs on reste en Suisse: propreté, ponctualité, règlement et co. Bref c’est pas là-bas que je verrai des gangs de latinos se battre à coup de surin avec des néo-nazis tandis que des black-muslims fomentent une mutinerie.

Mais reste toujours l’enfermement, l’ennui, l’isolement, la frustration et le manque de tune qui impliquent aussi le manque de drogue. En fait ce qui me fait le plus peur c’est de perdre celle que j’aime. Elle, elle a deux mois à m’attendre, deux mois pour rencontrer un autre. Un mec aussi beau qu’intelligent, un mec drôle, gentil, attentionné et doté de toutes les qualités que je n’ai pas, une sorte d’anti-Charclo.

Bon voilà j’y suis… Orbe, établissement pénitentiaire de la Croisée…fouille à nu, mise sous-scellé, visite médicale expédiée en 5 minutes ( juste vérifier que t’as ni poux, ni parasites, ni tuberculose), distribution du paquetage réglementaire, mur blanc, porte verte, uniforme bleu, toujours resté à un mètre derrière lui…
Arrivé dans mon nouveau chez moi, je constate que c’est plus spacieux que la chambre que la miss du CSR m’a trouvée y’a deux semaines, c’était sympa de sa part mais j’en aurais pas profité longtemps. Lits superposés, celui du bas est déjà pris, donc ça sera celui du haut.

Poignée de mains et rapide présentation, il s’appelle Sk. parfait blédard, Algérien quand ça l’arrange, Français ou Suisse en cas de blême et tchatche des banlieusards en prime; c’est à dire qu’il parle beaucoup et souvent pour rien dire. En général au chtar on évite de raconter ou de demander pourquoi on y est…pas lui, même pas une heure après notre rencontre, il m’a déjà déballé tout son pédigrée, pas un gros truand mais pas un petit non plus. Il parle un mélange de français, d’arabe, de verlan et ponctue chacune de ses phrases par des “Wesh couz”, “Hamdula”, ” Walla”, “La vie de ma mère”, ect…

Bon je sais bien qu’il en rajoute mais niveau prison il en connaît plus que moi, j’ai donc tout intérêt à suivre ses conseils.

Lendemain, 6h30, le maton vient me chercher pour m’amener à l’infirmerie pour me filer ma méthadone, on est que deux au secteur 7000 à être dans ce cas, du coup je suis vite catalogué comme un junk, un schlag…au plus bas de l’échelle quoi…

Plus tard Sk. me voit écrire et me demande si je sais faire des rimes; bien sûr que je sais en faire! Il sort un mot, j’écris une rime, il sort une phrase, j’en fait quelques punchlines qui claquent bref on se marre un peu et on passe le temps. Jouer au cartes à deux c’est chiant, du coup on joue aux dominos, sinon on regarde “Big bang théorie” et “Naruto Shippuden”, d’ailleurs tout l’étage regarde Naruto. Quand on coupe le générique on peut l’entendre aux travers des autres cellules. Quand vient la sortie de 15 heures, Sk traîne avec les autres Rebeux, ségrégation oblige je devrais zoner avec les toxicos des autres étages mais si c’est pour entendre les mêmes conneries qu’à la Riponne ou sur la Place, au final je préfère encore rester seul.

Alors je marche…

 

Crédit photo: Bruce jackson, photographer and SUNY James Agee Professor of American Culture.        http://brucejackson.us/

Gilles Adrian

Gilles Adrian est SDF, toxico, misanthrope et peu sociable mais il écrit pas trop mal. Auteur contemporain représentatif de toute une génération qu'en Suisse Romande on préfère cacher sous le tapis...

2 réponses à “Zonzon 3 Entrée en matière

  1. Qui sait, ami Gilles, peut-être te faut-il ça pour prendre conscience que Meuf ou pas meuf, dope ou pas, ta vie t’appartient?
    Enfin, j’espère au moins que tu es sorti (de la prison)!

    Très bien, l’écriture 🙂

  2. Idée pour un nouvel intitulé de vos blogs.

    J’avais d’abord pensé à « Comment devient-on SDF », mais vos textes ne s’accrochent pas à ces détails parce que trop de reportages télévisés ou d’articles en ont déjà beaucoup parlé… Votre force et votre originalité dans les épisodes que vous transmettez évoquent la vraie liberté sans désirs fixes, présentez vos aventures avec les trois premières lettres des trois derniers mots, suivies de « comment le rester ».

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