L’appel de la forêt

Chroniques de Charclo

Je regarde sa porte se fermer lentement… Elle m’a embrassé, m’a serré contre elle, m’a dit qu’elle m’aimait.
C’est réciproque, surprenant surtout…une humaine tient à moi, elle est belle, douée de raison, de logique et d’intelligence et elle tient à moi.

Ça fait quelques jours qu’il ne pleut plus, il fait bon, le soleil brille, il est 14 heures.

Même si je peux rester 2-3 jours chez elle, dans les faits, je suis toujours à la rue. On en a parlé au début, c’est son appart, son espace vital et elle y tient. Quand à moi, j’ai ni la prétention, ni l’intention de m’y imposer.
En plus d’une amoureuse, de nuits dans un lit, de sa peau douce et chaude contre la mienne, j’ai de l’argent maintenant! Un revenu même! Bien sûr je savais que comme tout le monde j’avais droit au RI, seulement pour ça, il leur fallait une pièce d’identité, une adresse aussi…ou alors une attestation de perte de carte d’identité, une attestation de domicile, une attestation attestant mon attestalophobie, bref trop de papelards. Sous Hollande un ministre s’était fait poisser, il ne payait pas ses impôts depuis des années, le plus sérieusement du monde il a expliqué aux médias souffrir de “phobie administrative”, je suis pas ministre mais je suis affligé de la même pathologie.

Muriel voulait m’aider, moi je voulais qu’elle me foute la paix, elle a insisté…et elle a bien fait. Un coup de main? Non c’est peu dire, elle aura fait beaucoup pour moi. Des allers-retours, un peu de patience, des courriers timbrés, des rendez-vous, des photos ID, encore un peu de patience et comme par magie: J’ai des papiers, une adresse, un compte postal en plus d’une carte et de l’argent dessus.

Bon entre temps on a un peu fait la fête, j’ai aussi fait quelques courses pour nous deux.
Mais là, à cet instant je suis en route pour Décathlon, prendre une nouvelle tente Quechua. Que j’aille à Lidl aussi, il me faut une casserole, des condiments, de l’huile, des grilles en alu, des bougies…il me reste de la beuh, du tabac et des feuilles. Ça fait des plombes qu’il fait un temps de merde mais maintenant que le soleil brille j’entends à nouveau le bruit du vent et des feuilles dans mes rêves.

J’aurai pu lui demander si elle voulait venir camper mais je sais déjà qu’elle m’aurait dit qu’elle voudrait rester seule, ce qui tombe bien vu que c’est aussi mon cas. Volonté de solitude…un point commun qui nous éloigne et nous rapproche en même temps.

Je traverse le quartier de la Blancherie, le parc et le pont du Robinson, je grimpe la petite pente encore un peu boueuse. L’été est sur nous, les arbres se sont épaissis, ça sent l’humus et l’ail des ours et de nouvelles branches et de nouveaux arbustes verdissent la forêt.

Je passe devant le “banc des amoureux”, nommé ainsi par la ville de Renens, il est en bois, recouvert d’une couche de peinture rouge et il est surtout particulièrement inconfortable. Dessus y’a un visage bombé au pochoir, comme y’a rien d’écrit d’autre, j’ai du faire une recherche sur Google, il s’agit d’un lycéen turque abattu par les flics durant une manif du 1 mai.

Plus haut j’arrive sur le petit parc où trône une petite fontaine, avant c’était une pyramide faite de cailloux, c’est toujours une pyramide mais maintenant, elle est faite de petites dalles de marbre blanc. Le jet d’eau est trop faible pour pouvoir remplir mes bouteilles vides mais on peut toujours utiliser le trop-plein pour faire la vaisselle ou mettre des trucs au frais; en l’occurrence des bières et des ailes de poulet…

Sur un des banc encore un pochoir du visage juvénile de l’ado martyr du MLKP ou bien était-ce le DHKP? Je m’en rappelle plus…

Je descends l’avenue de la piscine pour aller aux toilettes du cimetière, faudrait que j’aille saluer le jardinier et lui demander s’il peut laisser l’un des WC ouvert la nuit. Ça fait des années qu’un matin il est passé frapper à la porte de ma tente, il sait que je laisse pas traîner de déchets dernière moi, que je braconne pas et que j’éteins mon feu, il est sympa et plutôt compréhensif, et avant de partir il déverrouille les toilettes handicapés. Officiellement c’est pour me laver et me brosser les dents, officieusement c’est surtout pour aller fumer mon demi gramme d’héro avant de retourner pioncer.

Mes deux bouteilles d’1,5L sont pleines, retour dans les bois, avant d’arriver à mon campement, je passe devant un grand chêne, c’est l’arbre de Muriel…oui, précisément c’est son arbre, régulièrement elle vient lui parler, lui raconter ses joies et ses peines. Moi je suis son mec, lui c’est son arbre…à part ça j’ai rien à lui dire, je me contente de lui adresser un bref salut de la tête. Je suis arrivé…coincé entre deux arbres un troisième s’est déraciné pour ensuite se coincer entre les deux autres, c’est sous son tronc que je déplie ma tente, je me sers aussi de ce dernier pour m’exercer aux lancer de couteaux. Le rond de pierre que j’avais fait pour le feu est toujours là, je mets du son sur mon phone et mon enceinte, du punk; Rancid, Operation Ivy, The Distillers.
J’accroche mon drapeau rouge et noir siglé du A cerclé, histoire que les résidents n’oublient pas qu’ils sont dans une zone autonome où s’applique un socialisme libertaire et collectiviste.

La nuit est tombée, j’ai mangé des courgettes grillées et marinées à l’huile de sésame avec des ailes de poulet.
Je traverse le rideau de broussaille pour me poser au-dessus de la pépinière, le ciel est clair, on voit bien les étoiles. Je pense à Muriel, la douceur de sa peau, j’aime sentir ses seins se coller contre moi quand elle me prend dans ses bras.

Je regarde pas la météo, qu’il pleuve ou qu’il fasse gris, je m’en fous… j’ai décidé que demain il fera beau.

Gilles Adrian

Gilles Adrian est SDF, toxico, misanthrope et peu sociable mais il écrit pas trop mal. Auteur contemporain représentatif de toute une génération qu'en Suisse Romande on préfère cacher sous le tapis...

10 réponses à “L’appel de la forêt

  1. Vos mauvaises correctrices seraient-elles parties en vacances, ami Gilles?
    Enfin, peu importe, il vous faudra travailler pour avoir du génie.
    Enfin, vous avez déjà une pension, de quoi voir venir…
    bonne chance, ami
    🙂

    1. Pourquoi donc Olivier? Vous avez trouvé des erreurs d accords?

      A ma connaissance le génie ne dépend pas du travail. Il s’agit d’un don.
      Du travail peuvent par contre naître les fruits de ce talent.

      1. ah ben voilà, c’est mieux 🙂
        Regardez les manuscrits de Céline pour voir le travail d’un génie.
        Bonne continuation et tous mes voeux à l’équipe de Gilles

        1. Un titre de chronique qui était une référence à Céline oui….et?
          Il me semble que “L’appel de la forêt” est aussi un titre de roman d’ailleurs.

          Avec “Grâce et dénuement” je vous présente, à vous aussi Olivier, tous nos voeux.

          A bientôt

          Nawel

          1. Merci et ne prenez pas mal mon commentaire.
            Oui, les jeunes ont souvent le sentiment que le génie tombe tout seul du ciel, sans rien faire, parfois même de plus âgés.
            On le voit même avec les start up ou le challenge est de devenir millionaire en une année.
            Tous les créatifs sont des obsédés de la perfection, de Da Vinci à Botta et c’est beaucoup d’efforts, de nuits blanches, de doutes, de désespoir et d’errements! Bon travail
            🙂

          2. Rien de mal a prendre dans votre comm en réalité
            Par contre j’en comprend mal le but oui.
            Et je pense que vous mélangez créativité et virtuosité.
            Tous les virtuoses sont perfectionnistes c’est certain.
            Mais tous les artistes et tous les créatifs ne sont pas des virtuoses.
            L’art a justement ce merveilleux pouvoir de permettre à tout un chacun de créer, de rêver, d’incarner. Danseurs, musiciens, auteurs, peintres, comédiens, performeurs…tous les créatifs n’ont pas vocation à devenir virtuose.
            La plupart utilisent l’art pour s’exprimer, donner vie à quelque chose et du sens à l’existence.

            Gilles a du talent. Ce n’est pas un virtuose. D’ailleurs je crois pas que ce soit un objectif qui le tenterai

          3. A voir si vous me comprenez mieux.

            Virtuose (def.):
            Instrumentiste capable de résoudre, avec aisance, les plus grandes difficultés techniques.
            Personne extrêmement habile dans un art, une technique, une activité : Un virtuose du pinceau.

            On parle d’aisance technique, mais pas encore d’art, ni de *créativité****
            🙂

          4. P.S. Et je ne cite pas Céline pour rien, qui a inventé un nouveau language écrit, à force de chercher, de tatonner, de rééssayer!

            P.S. N’en déplaise à toute cette diaspora qui essaie de le décréditer pour une époque qu’elle n’a pas connue.

  2. Je pense vous avoir bien compris, d’autant que j’ai repris vos mots Olivier.
    Vous avez précisément parlé des “créatifs”.
    (Tout comme votre définition évoque bien l’art)

    On s’y perd je pense

    A la semaine prochaine

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