La direction bicéphale du PS suisse: un effet de mode

Le parti socialiste suisse s’apprête à élire une direction bicéphale. Au nom de l’égalité entre hommes et femmes, il sera dirigé par une Suisse-Allemande et un Suisse-Allemand. Mettant apparemment fin à la personnification d’un seul et même leader, un duo devra garantir la succession difficile de Christian Levrat, dont même ses adversaires les plus exposés reconnaissent la qualité de sa présidence.

Cette forme de gouvernance n’est pas nouvelle. Elle s’inspire notamment de celle pratiquée par la gauche allemande. Instaurée d’abord par les Verts et Die Linke, elle prévaut depuis une dizaine de mois chez les sociaux-démocrates du SPD. En revanche, elle n’est plus adoptée par les Verts suisses, où Balthasar Glättli a succédé, dans la plus pure tradition des partis démocratiques, à la très populaire Regula Rytz.

Perçue par beaucoup comme l’expression de la parité, la « double-direction » jouit d’un apriori favorable auprès des partisans de la diversité. Toutefois, elle s’inscrit aussi dans un mainstream aux conséquences inavouées que la politiste française Caroline Fourest résumait, dès 2008, par ces mots dans un article du Monde : « l’air de rien, ce complément amorce la victoire du droit à la différence sur le droit à l’égalité dans l’indifférence ».

Pour le PS suisse, ce choix n’est pas innocent. Il s’accommode de l’effet de mode auquel les socialistes viennent de faire allégeance. Il n’y aura plus de numéro un, ni de numéro une, a fortiori plus de numéro deux, mais une sorte de « 0,5 + 0,5 », faisant la paire comme un double de tennis, un duo de beach-volley ou un tandem cycliste. Cela peut marcher, comme cela semble marcher en Allemagne chez les néocommunistes de la Linke ou chez les Verts.

Pourtant, les apparences sont bel et bien trompeuses. La Linke cherche désormais un duo de remplacement, tandis que les Verts, impatients de revenir au pouvoir avec la CDU/CSU dès l’an prochain, se bagarrent en coulisses pour savoir qui de l’homme ou de la femme les représentera d’ici un an comme candidat-chancelier, pardon comme candidate-chancelière ! Donné favori à ce poste jusqu’il y a peu, Robert Habeck, écrivain et ancien Ministre du Land de Schleswig-Holstein, semble être maintenant distancé par sa « seconde moitié », Annalena Baerbock, dont le principal atout n’est autre que celui d’être une femme.

Quant au SPD, son expérience bicéphale s’est déjà soldée par un échec. Ni la Souabe Saskia Esken, ni son compère Norbert Walter-Borjans, bien connu des Suisses pour avoir favorisé comme Ministre des Finances du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie l’achat de CDs contenant les noms des évadés fiscaux allemands, ne se sont imposés sur la scène politique nationale. Pire, ils ont dû accepter que leur ancien adversaires interne, Olaf Scholz, soit nommé par les instances du parti au titre de candidat-chancelier à l’occasion des prochaines élections au Bundestag. Incapables de stopper l’hémorragie du SPD, leurs deux noms s’inscriront rapidement au bas de la liste exhaustive des onze présidents du SPD – contre quatre à la CDU – qui se sont succédé depuis le départ de Willy Brandt en 1987.

À l’heure où les socialistes suisses pleurent la mort de leur légendaire président Helmut Hubacher, un regard dans le rétroviseur ne devrait pas gâcher leur vision de l’avenir. Non que la nostalgie leur serve de bouée de sauvetage, mais qu’elle puisse au moins les retenir de succomber à l’air du temps. Même si la dualité présente quelques avantages, elle se heurtera inévitablement à la dure réalité de la politique. Ne supportant guère le partage des postes, celle-ci se décline au singulier, sachant que tout couple sera, tôt ou tard, contraint de se séparer. Il en est ainsi du président de la République française et de son Premier ministre, il en va de même des Conseillers fédéraux qui ne sont pas interchangeables au gré de la volonté des partis.

Aujourd’hui, le PS suisse comme tous ses homologues européens, n’a pas besoin de deux personnes pour le diriger. En revanche, il a une impérieuse nécessité de trouver de nouvelles idées. N’avoir que celle d’une direction à deux têtes ne suffit pas à le sortir de la nasse idéologique dans laquelle il se trouve. Pire encore, elle illustre une faiblesse programmatique qui n’a cessé de s’accroître ces dernières années. Pour retrouver la voie du succès, le PS suisse n’a pour seul chemin que celui de rester fidèle à lui-même et de ne pas emprunter des raccourcis qui, à l’exemple d’autres partis européens, aboutissent parfois dans un cul-de-sac.

 

 

 

 

 

 

 

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.

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