Le “Goulardgate”, une épreuve de force pour le franco-allemand

Emmanuel Macron savait ce qui l’attendait. Que les nouveaux parlementaires européens ne seraient pas tendres avec lui, voilà qui n’aurait pas dû le surprendre. Autant sa décision de s’opposer à la candidature de Manfred Weber à la tête de la Commission européenne paraissait justifiée, autant celle de désigner Sylvie Goulard en son sein ne l’était pas. Alors que le premier nommé n’avait pas le costume de l’emploi, la seconde présentait trop de défauts pour siéger avec vingt-six autres de ses collègues à Bruxelles.

Ce que la presse qualifie d’ores et déjà de « Goulardgate » était prévisible. Pour se venger d’avoir sursis au principe, et non à l’obligation légale, du Spitzenkandidat, le président de la République française était dans l’œil du cyclone des députés de Strasbourg. Principaux artisans de ces représailles anti-Macron, les membres du PPE, Allemands en tête, n’avaient que pour seul objectif de mettre des bâtons dans les roues du locataire de l’Élysée. Victime des conservateurs, et notamment des amis politiques et compatriotes d’Angela Merkel, Emmanuel Macron a fait preuve d’une stupéfiante légèreté politique, croyant presque naïvement que le donnant-donnant entre Paris et Berlin, avec Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission et celle de Christine Lagarde à celle de la BCE, allait calmer les ardeurs des élus du PPE en général, et de la CDU/CSU en particulier.

Au-delà d’un l’échec personnel pour Macron, la défiance exprimée par le parlement européen à l’encontre de la candidature de Sylvie Goulard constitue un sérieux revers pour la relation franco-allemande. Voulant rendre la monnaie de leur pièce au numéro un français, les élus chrétiens-démocrates avaient préparé leur revanche. Par leur vote, ils ont non seulement exprimé leur refus de nommer Sylvie Goulard à la Commission européenne, mais aussi manifesté leur hostilité à l’adresse d’une politique pro-européenne française qu’ils jugent trop ambitieuse. Ainsi, comme l’avait fait la France à l’égard de la proposition allemande du « noyau dur » en 1994, la RFA n’a jamais répondu aux projets de relance européenne présentés par le président de la République française lors de son discours du 26 septembre 2017 à la Sorbonne. Exemple supplémentaire de cette situation de « fronts renversés », où le frein à disque allemand arrive à bloquer toute nouvelle dynamique communautaire, les ententes ou pseudo-ententes et autres psychodrames entre Paris et Berlin reflètent l’état d’une relation binationale dont la seule planche de salut est le départ annoncé, au plus tard à l’automne 2021, de la chancelière Angela Merkel.

Toutefois, rien ne sert de jeter la pierre aux seuls Allemands. La France est également fautive de ne pas avoir su prendre les bonnes mesures, de ne pas avoir jaugé à temps les arcanes d’un jeu poker menteur et d’avoir eu comme seule réaction celle de s’en prendre à Ursula von der Leyen qu’elle avait pourtant, peu de semaines auparavant, adoubé à la tête de la Commission européenne. En l’incriminant d’avoir choisi Sylvie Goulard parmi trois candidats qu’elle lui avait soumis, la présidence de la République a souligné son manque de fermeté pour prendre une décision qui seule lui incombait. Faudrait-il alors rappeler à Emmanuel Macron que ce n’est pas von der Leyen qui désigne le commissaire français, mais lui. Semblant l’avoir oublié, il en paye aujourd’hui le prix politique.

Que Sylvie Goulard n’ait pas été une bonne candidate, aujourd’hui tout le monde en convient. Toutefois, aurait-il fallu s’en apercevoir plus tôt. Connue pour ses ennuis juridiques et ses gracieux émoluments versés par un organisme américain, cette très éphémère ministre des Armées est une personne clivante. Aimant jouer les premiers rôles, dotée d’un carnet d’adresses bien rempli, elle suscite autant l’admiration chez certains politiques qu’elle incite à beaucoup plus de prudence dans des milieux moins exposés et plus académiques. Toutefois, cela n’a aujourd’hui plus guère d’importance, son sort étant désormais scellé. En revanche, son éviction pourrait offrir une nouvelle chance à la France et constituer une nouvelle rampe de lancement pour sa politique européenne. Après s’être débarrassé de Manfred Weber pour son manque d’envergure et avoir été débarrassé, bien malgré lui, de Sylvie Goulard pour ses excès d’appétit financier, Emmanuel Macron peut se saisir de ce camouflet pour rebondir. À condition néanmoins de rester ferme et vigilant sur les trois points suivants :

  1. choisir au poste de commissaire une personne au-dessus de tout soupçon moral et pénal ;
  2. opter pour une personne qui sera l’avocat-e- de la politique pro-européenne présentée il y a plus de deux ans par le Président de la République lors de son discours à la Sorbonne ;
  3. ne pas donner la priorité à une personne germano-compatible, mais au contraire à un-e candidat-e susceptible de lutter à armes égales avec Berlin.

De loin, ce troisième point est le plus important de tous. Victime d’une trop longue tradition diplomatique française qui veut toujours « faire plaisir aux Allemands », alors que ceux-ci ne ressentent pas le moindre besoin de « faire plaisir » à leurs homologues français, Emmanuel Macron n’a plus que pour unique solution d’engager un bras de fer avec Berlin. Pour sortir l’Europe de la torpeur politique dans laquelle elle se trouve, rien de mieux que de se priver de personnalités, telles que Sylvie Goulard ou Manfred Weber. Le chef de l’État français devrait le savoir. Qu’il en ait néanmoins conscience, rien n’est moins sûr !

 

 

 

 

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.

3 réponses à “Le “Goulardgate”, une épreuve de force pour le franco-allemand

  1. bonjour,
    ” choisir au poste de commissaire une personne au-dessus de tout soupçon moral et pénal ;”
    ce que vous écrivez là relève je crois de l’impossible, du moins en France; mais il reste possible de rêver un peu;
    quant à l’Europe, je vous souhaite ardemment à vous les Suisses de ne pas y entrer; le libéralisme n’a jamais été autant destructeur en France qu’actuellement, et il est souhaitable que cela n’ait pas lieu pour vous;

  2. Cette dame Goulard était horripilante en plus d’être idiote et gonflée à bloc. Plus énervante plus prétentieuse et plus nulle tu meurs. Bon débarras!

    Il est évident que le projet fédéraliste européen a déjà du plomb dans l’aile. Si en plus ses défenseurs n’ont pas le minimum de jugeotte de présenter des candidats sérieux pour les postes importants, il ne faut vraiment pas s’étonner que le projet dans son ensemble soit totalement déconsidéré. Un projet se juge aussi à la qualité du personnel qui le représente.

  3. Je suis tout à fait d’accord avec le troisième point de la conclusion du professeur Casasus et en plus c’est la plus intelligente et la plus politique ce qui ne surprendra pas de sa part. Pour le reste, il ne s’agit ni de vengeance ni de rien de cela, simplement ce qui n’est pas bon pour notre république ne peut pas l’être pour l’Union et encore plus pour la Commission et c’est de cela dont aurait dû se souvenir notre gouvernement libéral et qui prétendait ne plus rien faire comme avant mais qui retombe dans les travers qu’il dénonçait en 2017. Non omnis moriar aurait dit Horace.

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