La CDU veut une Europe allemande, mais les autres pas

Événement à dimension purement nationale, la crise de la CDU a toutefois des répercussions sur le plan européen. Parti allemand en tête de toutes les élections européennes depuis 1979, la démocratie chrétienne allemande est désormais confrontée à des défis internes et externes auxquels elle ne s’est que très insuffisamment préparée. Subissant les effets d’une fin de règne sans gloire d’Angela Merkel, elle est la proie de critiques justifiées, ayant voulu par elle-même dicter les règles d’un jeu politique qu’elle ne maîtrise plus entièrement.

Persuadée d’imposer, dans la plus pure tradition allemande, les modèles de décision en vigueur en RFA, la CDU s’est heurtée au refus de ses interlocuteurs européens. Lui rappelant que ce qui est bon pour l’Allemagne ne l’est pas forcément pour les autres pays, ceux-ci viennent de lui administrer une correction dont elle aurait tout intérêt à tirer les leçons. Toutefois, incapable de se remettre en question, elle crie à hue et à dia pour dénoncer l’abandon du principe dudit Spitzenkandidat.

Bien que celui-ci présente quelques avantages et se félicite d’une pratique de septante ans en République fédérale d’Allemagne, il demeure inconnu dans les autres démocraties européennes. Contrairement aux têtes de liste qui, après s’être présentées lors de tel ou tel scrutin local ou national, doivent se plier au verdict de la majorité des élus, l’idée du Spitzenkandidat allemand s’applique notamment lors de la constitution du Bundestag. Arrivé en tête, le parti comptant le plus grand nombre de députés a automatiquement le droit d’occuper le siège du président de la chambre haute. Ainsi, ce même président peut aussi siéger sur les bancs de l’opposition. Ce fut le cas entre 1969 et 1972 de même qu’entre 1976 et 1982, lorsque respectivement trois démocrates-chrétiens s’installèrent au perchoir, alors que Willy Brandt, puis Helmut Schmidt, tous les deux sociaux-démocrates, dirigeaient la RFA ensemble avec leurs alliés libéraux de l’époque.

Forte de son expérience nationale, la CDU pensait que les autres Européens allaient accepter ce principe sans broncher. C’était là faire fi de leur opinion et de leur pratique. Refusant d’instaurer au niveau de l’exécutif européen ce que les Allemands exercent au niveau du législatif, ils ne sont pas entrés dans leur jeu. Pourtant, les conservateurs allemands ne semblent toujours pas l’avoir admis. Ils s’obstinent à nier l’avis selon lequel ce qui valait autrefois à Bonn et vaut maintenant à Berlin, n’a pas obligatoirement lieu d’être autre part. Avec pour seule idée derrière la tête de placer l’un des leurs à la présidence de la Commission européenne, les chrétiens démocrates allemands n’avaient que pour seule ambition de nommer Manfred Weber en remplacement de Jean-Claude Juncker.

Certes compétent à quelques égards, profondément pro-européen dans l’âme, Manfred Weber n’a pas l’envergure pour occuper de pareilles fonctions. Cela se savait avant les européennes, cela se sait encore plus après leur déroulement. Néanmoins, la CDU continue de faire la sourde oreille, comme si de rien n’était, et croit toujours détenir à elle seule la vérité. Ayant subi un échec historique, menacée de perdre sa pole position au profit des Verts, actrice principale d’une grande coalition qui n’a que trop duré, la démocratie chrétienne se réfugie dorénavant dans un rôle de victime qui ne lui sied que très mal. Cherchant le coupable là où il n’est pas, elle croit l’avoir trouvé en la personne d’Emmanuel Macron qui est devenu son adversaire de prédilection.

Cible toute désignée, dès le mois de mars dernier, de la très maladroite nouvelle présidente de la CDU, Annegret Kramp-Karrenbauer, le président de la République française a néanmoins réussi à stopper ce processus de désignation européen, taillé sur mesure par et surtout pour les Allemands. De son côté, celle que l’on appelle communément AKK, du nom de ses initiales, voulait prétendre « bien faire l’Europe » (Europa richtig machen). Sauf qu’elle a largement fait tout faux. Elle a enregistré un très mauvais score pour son parti dont elle venait de prendre les rênes, approfondi les divergences avec Paris et créé, à l’intérieur mais surtout à l’extérieur de ses frontières, un climat de suspicion pour asseoir un autoritarisme germanique dont l’Europe n’a nullement besoin.

L’épisode de la nomination ratée de Manfred Weber à la tête de la commission européenne restera certainement plus longuement en mémoire qu’on ne le croit. Il aura démontré que sans l’existence de véritables partis européens et sans celle de listes transnationales, il ne peut exister de Spitzenkandidat doté d’une légitimité démocratique nécessaire pour aspirer à diriger l’Union européenne. Ce qui ressemble plus à un artifice partisan s’est transformé en boomerang politique pour les Allemands en général, et la CDU en particulier. Que ceux-ci puissent en tirer désormais les enseignements, reprendre langue avec des Français excédés à juste titre par l’attitude de leurs alliés allemands et, dans la ligne que s’est toujours fixée la RFA, démontrer ce qu’elle a toujours démontré, à savoir que si l’Europe ne peut pas se faire sans l’Allemagne, l’Allemagne ne peut pas à elle seule faire l’Europe.

 

 

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.

5 réponses à “La CDU veut une Europe allemande, mais les autres pas

  1. Excellente analyse qui montre au moins une chose, grâce à l’existence de l’UE et à ses structures, l’Allemagne, malgré sa puissance économique, ne peut à elle seule faire la pluie et le beau temps en Europe. On retrouve le même processus au sein de la Confédération d’ailleurs, où un canton comme Zürich par exemple ne peut à lui seul décider du destin de la Suisse. Ceux qui critiquent sans arrêt l’UE et prônent ce qu’ils appellent “l’Europe des nations” (dont on a déjà vu à quoi elle conduisait dans le passé!) devraient y réfléchir; sans l’UE et ses mécanismes “régulateurs” et “modérateurs”, c’est une Europe sous totale influence allemande qui nous attendrait dans les circonstances présentes.

    1. Non, vous vous trompez, l’Europe n’existe (ou n’a jamais existé) que grâce aux allemands qui la portent à bout de bras et qui en ont marre de payer pour les conneries des grecs et autres espagnols, sous couvert d’Euro.

      C’est pas le Néo-Napo-Macron qui va y changer quoi que ce soit.

      Alors dilemne allemand, la lâcher, ce qu’on va associer à l’Europe pseudo-traître du XXème, ou continuer et être chinois?

      Que les suisses en prennent de la graine! Les chinois sont beaucoup plus subtils que ces cons d’américains!
      La Suisse est passée d’un Euro à CHF à 1.65 à 1.00 et alors?

      Faut arrêter avec ces conneries de moutons bêlants, insufflée par les quelques magnats qui maîtrisent autant ce média que les autres et bien évidemment l’économie !!!!!

      1. Sans être un spécialiste ni de l’Europe, ni d’économie, il me semble que vos affirmations sont au mieux très exagérées et au pire de simples contre vérités.
        Que l’Europe ne puissent exister sans l’Allemagne c’est une évidence, que les pays du sud ne soient pas des modèles de prospérité ou de gestion, je vous l’accorde mais non l’Allemagne ne porte pas l’Europe. D’abord les tranferts financiers d’un état à un autre sont très faibles, beaucoup plus faibles qu’en Suisse par exemple. Ensuite, l’Allemagne et son modèle mercantile sont les grands gagnants de l’euro. Les exportations allemandes profitent d’une monnaie tirée vers le bas par ses “partenaires” moins prospères et de la réduction des barrières douanières internes à l’Europe.
        Ensuite, l’Allemagne ne prend pas vraiment ses responsabilités sur la scène internationnal à moitié suiveuse docile des USA, à moitié tournée vers l’énergie russe. Elle ne veut pas s’impliquer dans les conflits et les déplore ouvertement mais rechigne à limiter les ventes d’armes probablement au nom des exédants commerciaux.
        Sur le plan environemental, c’est une catastrophe Berlin tente de concilier les géants de l’automobile, le charbon, une sortie du nucléaire baclée et des objectifs de réduction du CO2 qui ne seront jamais atteints.
        La précarité a plutôt augmenté depuis 10ans, les infrastructures sont veillissantes, comme la population.
        En bref, la CDU semble avoir pour seule politique l’accumulation d’exédent commerciaux et budgétaires dont on sait pas très bien à quoi ils serviront.
        Ce qui se traduit dans leur politique européenne: dominer pour s’assurer que rien ne vienne pertuber la machine à exporter allemande. On devrait donc pas voir de transferts fiscaux entre états membres, pas de remise en cause du dogme du libre échange, pas d’influence sur la scéne mondiale qui pourrait froisser les USA ou la chine ce serait bête de perdre ces marchés!
        Donc l’Europe ( l’espace géographique pas l’ institution) continuera probablement à subir l’évolution du monde.

  2. LREM veut une Europe française, les Tories voulaient une Europe britanique et les 26 autres veulent une Europe qui leur ressemble. tout le problème est là. Les USA ont voulu une Europe selon leur modèle. Et les citoyens des divers pays en Europe ne veulent pas de l’union européenne sous la forme actuelle…. L’UE finira pas s’écrouler, ce qui viendra après durera peut être plus longtemps et, espérons qu’il ne faudra pas une nouvelle guerre de 30ans pour y arriver.

  3. Interessant ce point de vue tellement occidento-centriste. En dehors d Âllemangne et de la France, point de salut ? M. Weber s’est montré, à l’instar des autres Allemands au pouvoir, tellement arrogant et hautain en direction de l’Europe “nouvelle” /ex-Est/ que tout simplement sa candidature était inacceptable pour nous, et particulièrement pour les pays dit de Vysehrad, de plus il s’était engagé personnellement au coté de l’actuel opposition en Pologne lors des elections récentes européennes, ce qui est inacceptable et constitue une grave faute de la part d’un potentiel future fonctionnaire européen qui doit se montrer impartial. Et ses commentaires sur l’état de la démocratie ailleurs, à L’Est, en donneur des leçons…franchment, déplacé, de la part d’un Allemand , et pays qui n’a tjrs pas réglé sa dette d’in 1000 milliards d’euros en dédommagements pour les pertes subits et crimes commis lors de la II ww.

Les commentaires sont clos.