Les élections européennes n’intéressent pas les Suisses

Les élections européennes du 26 mai prochain n’intéressent pas les Suisses. Elles ne les concernent pas, car elles se font sans eux. Aucune raison donc pour insister sur leur déroulement et sur les conséquences qu’elles pourraient avoir pour les États membres et plus encore sur les pays partenaires. En parler dans un blog suisse ne fait ainsi guère de sens, d’autant que les lecteurs ne peuvent pas, quand bien même ils le voudraient, interférer sur le cours des choses. Relégués au rang de spectateurs, perdus dans les gradins d’une arène à laquelle ils ont choisi de ne pas avoir accès, ils n’ont pas voix au chapitre. Ni électeurs, ni citoyens européens, leur avis ne compte pas, parce que la démocratie suisse a voulu qu’il en soit ainsi. Exclue volontaire de l’Union européenne, la Suisse ne peut néanmoins pas les ignorer, tant elles exerceront une réelle influence sur sa politique étrangère et intérieure.

Que la Suisse ne se fasse pas la moindre des illusions. La future Commission européenne ne sera pas plus docile envers elle que ne le fut celle encore en place. N’ayant que trop longtemps fait la sourde oreille aux appels du pied que Jean-Claude Juncker n’a cessé de répéter à l’adresse de « ses amis suisses », la Confédération risque de connaître des lendemains plus douloureux que ceux qu’elle avait imaginés dans ses rêves, et plus encore dans ses cauchemars. Arc-boutée sur son propre calendrier électoral, elle reste persuadée de garder l’entière maîtrise de son planning de négociations avec l’Union européenne. Fidèle à son vieil adage de vouloir dicter seule le cours de sa politique européenne, elle oublie que celle-ci se fait aussi à deux.

Tout le laisse supposer. Berne prendra acte des résultats des élections européennes, comme elle a l’habitude de le faire avec d’autres scrutins nationaux. Forte d’une expérience politique de quarante ans, elle examinera les différents scores, sans leur accorder une importance démesurée, car sans commune mesure avec ceux enregistrés lors de ses propres élections cantonales et plus encore fédérales. Pour la Suisse, les européennes, ce sont les élections des autres, pas les siennes. Elles sont étrangères, parce que ne relevant de fait que de la politique étrangère de la Confédération.

Juridiquement et formellement justifiée, cette approche ne résiste pas un instant à l’analyse politique. Au seuil de décisions cruciales pour ses relations avec l’Union européenne, la Suisse est directement concernée par les élections du 26 mai prochain. Non seulement elles souderont de nouvelles majorités et remettront en cause les équilibres qui depuis 1979 ont permis aux chrétiens- et aux sociaux-démocrates européens de battre la cadence au parlement européen, mais aussi favoriseront des choix auxquels le gouvernement fédéral aura fort à faire.

Le premier d’entre eux touche à l’élection du futur président de la Commission. Conformément à la procédure dite du Spitzenkandidat, il pourrait s’agir du conservateur bavarois Manfred Weber qui s’est dernièrement signalé par une sortie anti-helvétique, qualifiant nos compatriotes de « dérangeants » (sic !). Cette mauvaise entrée en matière ne laisse rien augurer de bon. Certainement maladroite à bien des égards, elle est néanmoins au diapason d’un état d’esprit qui ne traverse pas les seules rangées du parlement de Strasbourg.

Après avoir montré sa force et sa détermination à l’encontre de la Grande-Bretagne, l’Union européenne ne fera pas de cadeau à Berne. Venant d’infliger un rapport de force au Royaume-Uni, fière de son succès, elle n’éprouvera pas le moindre scrupule à maintenir sa façon de faire et assignera, en toute logique, à Berne ce qu’elle vient d’assigner à Londres. Car, aujourd’hui maîtresse d’elle-même, l’UE sait désormais comment agir avec les mauvais élèves.

Ce n’est pas de la Schadenfreude que d’écrire ces quelques lignes. Il n’y a aucune jubilation à les rédiger. En revanche, la volonté de prévenir l’emporte sur celle de guérir. Peut-être dotée d’un Manfred Weber à la tête de la commission, dont le manque d’envergure risque toutefois de lui coûter sa nomination à ce poste, l’Union européenne n’aura plus guère de patience avec la Suisse. Sortie vainqueur de l’affrontement qu’elle vient de mener avec le gouvernement britannique, elle a appris à résister à celles et ceux qui lui résistent. Souvent affaiblie en son sein par des États, des pays ou des dirigeants qui ne jouent pas le jeu communautaire, elle a décidé, en réaction, de montrer les crocs à celles et ceux qui, venus de l’extérieur, refusent de respecter ce qu’ils ont négocié avec elle. Cette stratégie payante, pour faire subir aux autres ce que l’on ne peut pas imposer aux siens, risque bel et bien d’être appliquée à l’adresse de la Suisse. Raison de plus pour elle de prendre les devants et de ne pas sous-estimer l’issue des élections européennes du 26 mai 2019.

 

 

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.

3 réponses à “Les élections européennes n’intéressent pas les Suisses

  1. Vous avez raison et je partage votre analyse. Je doute que l’ensemble des partis politiques suisses soit conscient de cette réalité européenne qui elle évolue. Soit la Suisse évolue avec l’UE, son principal partenaire commercial et voisin, soit elle sera confinée sur elle même. Il serait vraiment dommage d’en arrivé là.
    Aux dernières nouvelles 60% des suisses seraient favorables à ce nouvel accord global CE-CH. On respire déjà un peu mieux.

  2. Comment croire à l’Europe, quand on voit que la France (alias l’Europe) fait défaut à M. Carlos Ghosn?
    Monsieur Gosnh est peut-être un filou? Je n’en sais rien, je ne le connais pas.

    Mais quelle farce japonaise, c’est lamentable et triste, car il n’y a plus de droits de l’homme, seuls des dividendes… et le non-respect des Droits de l’Homme!

    1. P.S. J’adore les japonais (délice suisse autant que sushi).
      Mais à force de tourner leur veste, nazi, US, au final ils seront chinois et c’est aussi valable pour la Suisse!!!

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