Un dimanche pas comme les autres en Allemagne

Dimanche prochain, 28 octobre 2108, la Hesse est appelée aux urnes. En temps normal, cela n’aurait intéressé que les Allemands. Sauf que ces élections régionales pourraient avoir des répercussions politiques beaucoup plus importantes que celles provoquées par le scrutin bavarois du 14 octobre dernier. En effet, si ce dernier n’a pas remis en cause les équilibres politiques d’un Land qui, malgré les pertes de la CSU, demeure largement favorable à la droite, il pourrait en être tout autrement dans la région de Francfort.

Par son passé électoral et son goût de l’alternance entre la CDU et le SPD, la Hesse a souvent servi de laboratoire politique pour la République fédérale d’Allemagne. À l’exemple de l’année 1985, lorsque son gouvernement accueillait pour la première fois des écologistes au sein de la première coalition rouge-verte de l’histoire de la RFA. Restent aussi en mémoire les images inoubliables de ce jeune homme aux cheveux longs qui prêtait alors sermon en baskets. Nommé d’abord à la tête du Ministère régional de l’Environnement et de l’Énergie, il entama alors une carrière brillante qui devait le mener au poste de chef de la diplomatie allemande. Aux côtés du chancelier Gerhard Schröder il se fit très vite un nom, mettant son savoir-faire au service de son audace européenne et de son refus de s’embarquer dans la mésaventure américaine en Irak en 2003. Désormais, unanimement reconnu, Joschka Fischer a donné ses lettres de noblesse aux Verts qui, aujourd’hui, plus que jamais, ont le vent en poupe.

Alliés en Hesse aux conservateurs de la CDU au sein d’une coalition que beaucoup avaient jugé hétéroclite, ces mêmes Verts pourraient à nouveau améliorer leur score et se présenter comme les grands vainqueurs des élections de ce dimanche. Mais au-delà de leur progression en voix et en pourcentages, les projecteurs seront braqués sur un autre chiffre. Si les chrétiens-démocrates devaient subir de fortes pertes, ce n’est non seulement le sort de leur candidat et Ministre-président sortant Volker Bouffier qui serait en jeu, mais aussi celui de la chancelière Angela Merkel. Alors qu’elle pouvait se draper derrière un voile de protection en Bavière, arguant avec raison qu’elle n’a jamais trop apprécié la CSU, elle ne pourra pas en faire de même si son propre parti devait enregistrer une nouvelle bérézina électorale.

Le scrutin de dimanche prochain constitue un test grandeur nature pour Angela Merkel. Si son parti perd nettement, ses jours seront comptés. Dans le cas contraire, elle pourra toujours retarder son départ de la chancellerie. Toutefois, celui-ci devient de plus en plus inéluctable. Reste à savoir quand il aura lieu. Avant ou après le congrès de la CDU à Hambourg début décembre ? Avant ou après les élections européennes de mai 2019 ? Parce que légitimes, ces questions ne manqueront pas d’alimenter les débats qui accompagneront une soirée électorale qui s’annonce d’ores et déjà fort animée.

À savoir quelle coalition gouvernementale dirigera la Hesse à partir de cette fin d’année 2018, voilà qui ne devrait pas trop susciter l’intérêt des observateurs étrangers. Par contre, l’avenir de la chancelière les intéresse. Devant tirer les leçons du passé, celle-ci pourra se souvenir de cette triste fin de mandat qu’Helmut Kohl n’avait pas su éviter par sa propre faute. Plus jeune que celui-ci, Angela Merkel peut aspirer à d’autres fonctions. Bien que n’ayant jamais fait la moindre allusion à cet égard, elle pourrait, le cas échéant, prendre la succession de Jean-Claude Juncker. Elle en a les qualités et le profil.

Puisque se trouvant dans une phase critique de son histoire, l’Union européenne a besoin d’une personnalité forte et respectée à sa tête. À l’heure où les Allemands ne font plus mystère de vouloir diriger in personam la Commission européenne, ils ont de quoi proposer un-e- candidat-e- plus charismatique et plus crédible que ne l’est le chrétien-social Manfred Weber. De plus, Angela Merkel sera vraisemblablement soutenue par d’autres États et partenaires. Ne voulant pas devoir subir les foudres du très rigoureux et chantre de l’orthodoxie financière Jens Weidmann à la tête de la Banque Centrale européenne, en remplacement de l’actuel Président Mario Draghi, les pays latins et du Sud ne s’opposeront certainement pas à la candidature de l’actuelle numéro un allemande. La RFA ne pouvant pas occuper ces deux postes clés, ils préfèreront de loin de voir l’ex-chancelière au sommet de l’UE qu’ils ne souhaiteront avoir un pur produit de la Bundesbank aux manettes de la BCE pour décider de l’avenir de la zone euro.

Toutefois, ne s’agit-il là que de scénarios qui ne sont pas encore inscrits dans le marbre. Néanmoins, ils pourraient l’être, si les élections de Hesse devaient aussi confirmer le début de la fin du règne de la chancelière Angela Merkel. Tout dépend aussi d’un dimanche, pas comme les autres, en Allemagne… !

 

 

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.