L’axe du détricotage européen

Pour le moins imprudent et apparemment peu au fait des questions européennes, un politologue bernois avait récemment comparé le nouveau chancelier autrichien Sebastian Kurz au Président français Emmanuel Macron. Bien mal lui en a pris. Si l’un et l’autre déclarent vouloir défendre l’UE, leurs projets européens ne se ressemblent guère. Alors que le premier se fait le chantre de la subsidiarité à l’extrême, le second plaide pour un renforcement politique des institutions communautaires. Incompatibles dans leur essence, ces deux conceptions vont de plus en plus s’opposer l’une à l’autre. Si pour l’Autrichien l’Europe ne doit se limiter qu’à quelques dossiers, il n’en est pas de même pour le locataire de l’Élysée pour qui les solutions nationales n’ont plus de grand avenir devant elles.

Bien que gouvernant avec un parti d’extrême droite, le chancelier autrichien n’est ni un nazi, ni un fasciste. Simplement, il est de droite ; mais très de droite. Plaidant pour une Europe ultra-libérale, il s’inspire du modèle néerlandais de Mark Rutte, lui-même adversaire résolu de l’Europe macronienne et à celle, a fortiori, du Sud et du monde méditerranéen. Toutefois, sans partager toutes les idées anti-européennes de son vice-chancelier Hans-Christian Strache, Sebastian Kurz vient bel et bien de franchir un nouveau pas en direction de la droite dure. Ses propos ne méritent nullement d’être pris à la légère et devraient, par conséquent, alerter toutes celles et ceux pour qui, conformément au premier article de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, considèrent toujours, et aujourd’hui peut-être plus que jamais, que « la dignité humaine est inviolable [et qu’] elle doit être respectée et protégée ».

Quoique l’attitude d’Emmanuel Macron ne fût certainement pas exemplaire en la matière, que dire de celle du chancelier autrichien qui n’a pas hésité à évoquer la création « d’un axe des volontaires » pour lutter contre l’immigration sur le territoire européen ! Prononcé par un actuel dirigeant européen, gouvernant de surcroît avec l’appui d’un parti d’origine national-socialiste, voilà qui fait froid dans le dos. Et que l’on ne vienne surtout pas nous dire qu’il s’agisse là d’un lapsus ou d’une maladresse de vocabulaire. Le mot même d’axe renvoie à la Seconde Guerre mondiale, d’autant que dans la bouche même de Sébastian Kurz, il englobe aussi une partie de l’Allemagne, en l’occurrence la Bavière, et l’Italie, à savoir des États qui formèrent, avec le Japon, un « axe » de très sinistre mémoire. Par sa déclaration voulue et mûrement réfléchie, car utilisée en toute connaissance de cause dans le contexte du débat sur les réfugiés, le chancelier autrichien a fait mouche. Il s’est attiré la sympathie de centaines de milliers de personnes, à l’exception toutefois de celles qui considèrent, avec raison, qu’il ne mérite là ni respect, ni considération.

Pourtant peu connu pour ses amitiés « droits-de-l’hommiste », pour reprendre une expression chère à Nicolas Sarkozy, Le Figaro n’a pas manqué de relever dans son édition du 13 juin dernier la naissance d’un « axe Munich-Vienne–Rome » pour s’opposer à la politique plus tolérante et accueillante d’Angela Merkel. Aujourd’hui limité à la lutte contre l’immigration clandestine, ce même axe pourrait également concerner d’autres dossiers et s’étendre à d’autres pays, comme à ceux du « Groupe de Visegrád » qui, à l’exemple de la Pologne ou de la Hongrie, ne respectent ni la lettre, ni l’esprit du projet européen. De Rome jusqu’à Varsovie, en passant par l’Europe centrale, et de la Méditerranée aux bords de la Baltique se dresse alors un conglomérat « d’euro-réactionnaires », dont la seule finalité est de détricoter l’Europe, telle que ses pères fondateurs l’ont conçue et telle que des générations entières se sont efforcées de la construire.

A contrario de la chancelière allemande toujours aux manettes, mais pour combien de temps encore !, du nouveau Premier ministre espagnol à la tête d’une très fragile coalition, d’un chef de gouvernement belge au sort incertain après les élections de 2019, voire des dirigeants luxembourgeois ou portugais, et, exception faite d’un Président de la République française solidement assis dans son bureau élyséen, se dessine désormais un « axe du détricotage européen », aux accents nationalistes et plus encore antihumanistes. L’Autriche de Sebastian Kurz a déjà signalé qu’elle y prendra sa part, confirmant aussi les propos d’un ancien diplomate français, naguère respectivement en poste à Vienne et à Berne, selon lesquels « l’Europe est une voiture composée d’un moteur franco-allemand avec des ratés, d’un frein anglais et d’un rétroviseur autrichien », servant pour le dernier nommé à jeter un regard nostalgique sur un passé qui pourtant est loin d’être plus que parfait !

 

 

 

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.

Une réponse à “L’axe du détricotage européen

  1. Cette analyse pleine de bon sens devrait être lue et utilisée par les dirigeants europhiles afin de réviser leur stratégie de l’impérative consolidation européenne qui ne méprise pas les nations et encore moins les peuples.

Les commentaires sont clos.