France, Université, Humanités

Les articles de ce blog ne sont pas réputés pour leur complaisance. L’objet traité ne bénéficie guère d’un traitement de faveur, de sorte que la plume se veut souvent acerbe et critique. Mais parce que les exceptions confirment parfois la règle, pourquoi ne pas accorder un bon point à celles et ceux qui le méritent ?
Faute de ne pas toujours dresser une couronne de lauriers au gouvernement de Macron, quelquefois tenté de lui reprocher certaines lois trop favorables aux nantis, l’observateur de la chose politique doit aussi reconnaître, fair-play oblige, des qualités que personne n’est en droit de mettre en doute. Cela concerne notamment sa politique européenne, mais aussi une mesure qui n’intéresse guère les Suisses. Bref, un sujet qui ne mériterait même pas que l’on s’y attarde, tant il paraît franco-français, donc inintéressant par définition.
Mais voilà que le franco-français pourrait également susciter l’attention de celles et ceux qui ne s’intéressent pas à la France. En dévoilant leur plan pour l’accès aux universités, Jupiter et ses ministres viennent de faire preuve d’une méthode de travail et d’écoute qui, en lieu et place de formules à l’emporte-pièce, gagnerait à être plus connue. Par souci de dialogue et de refus d’imposer par en haut ce qui touche ceux d’en bas, ils ont placé les étudiants, là où ils devraient toujours se situer, à savoir au centre de la formation académique.
Ne voulant plus laisser les bacheliers à leur triste sort, eux qui étaient (justement) tirés au sort pour entrer à l’université, les dirigeants français ont imaginé un système qui pourrait faire tache d’huile. Ni de gauche, ni de droite, et même pas « en même temps », ils ont choisi pour maître-mot celui de « l’accompagnement ». En quelque sorte, les étudiants seront « accompagnés » à partir du lycée ou du collège pour ne pas se tromper d’orientation et pour ne pas vivre ce que leurs aînés n’ont que trop vécu, à savoir un échec, souvent sans retour, à la fin de la première année d’études. Au-delà des coûts que cette politique du dépotoir à l’accès à la fac pouvait représenter pour la collectivité nationale, ce plan relève d’un sens aigu de la capacité à saisir et à comprendre l’université dans ce qu’elle est, et ne doit plus être, de ce qu’elle doit devenir ou pas.
Bien que certaines organisations aient immédiatement opposé quelques critiques plus ou moins justifiées à l’encontre de ce plan, la reconquête de l’espace académique français est en bonne voie. Elle l’est aussi grâce à la présence d’instances syndicales élues et responsables qui font preuve d’une culture de la gouvernance universitaire exercée conjointement par les étudiants, les enseignants, maîtres de conférences et professeurs, les services techniques et les instances politiques. Ainsi, depuis quelques décennies, les universités françaises sont aussi des lieux de cogestion que ses détracteurs, souvent étrangers, auraient tout intérêt à ne pas dénigrer trop rapidement.
Plus encore, conscient des difficultés financières auxquelles sont exposés les étudiants, le gouvernement français s’est bien gardé d’entrer dans une servitude comptable. Ce qui importe pour pour lui, c’est la réussite de l’université française et non celle des logiques financières qui, tôt ou tard, atteignent leurs limites, sinon créent la pire et la plus injuste des sélections, soit celle par l’argent. Ainsi, les étudiants français intégreront dès l’année prochaine le « régime général de la sécurité sociale », ce qui non seulement leur fera épargner une somme de plus de cent euros, mais aussi les fera bénéficier d’une couverture santé dont peuvent rêver leurs homologues étrangers.
Certes, l’université française, souvent au bord du gouffre, à l’exception de certaines institutions prestigieuses, n’est pas encore tirée d’affaire. Mais parce que bénéficiant d’une attention réellement plus politique que gestionnaire, elle pourrait redevenir, au sens noble du terme, ce « laboratoire académique » dont tous les Européens ont besoin. Elle renouerait alors avec ce beau nom qui résonne dans les oreilles de tous les amoureux de l’université : les « humanités ».

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.