Pour une défense européenne

Les États-Unis ne sont plus nos amis, parce que les Américains ne le désirent plus. Ainsi les Européens ne peuvent plus compter sur eux. Ils ne sont pas nos adversaires, encore moins nos ennemis. Ils ne sont que ce qu’ils incarnent pour eux et pour nous, c’est-à-dire des partenaires circonstanciels et circonstanciés. Si les masques viennent de tomber avec l’élection de Donald Trump, celle-ci ne s’inscrit de fait que dans une tradition américaine, amorcée depuis la Guerre en Irak en 2003.

Lorsqu’en août 2013, Obama a lâché l’Europe, et plus particulièrement la France, pour ne pas intervenir en Syrie, la gravité de son geste n’a pas été mesurée à sa juste valeur de ce côté-ci de l’Atlantique. Il ne fut pas un événement anodin, mais confirmait ce que l’on supputait déjà, à savoir la volonté des USA de déclasser l’Europe. Non qu’ils la mésestiment, mais pire encore, ils ne lui prêtent plus guère d’attention.

Malheureusement, les Européens n’en ont pas encore pris conscience. Oscillant entre une confiance aveugle dans l’Amérique et une crainte d’endosser leurs propres responsabilités, ils se retranchent derrière une pensée qui appartient au passé. Pire encore, ils refusent de voir la vérité en face et d’avouer qu’en ce 8 novembre 2016, le schéma de l’Amérique protectrice et libératrice de l’Europe a définitivement pris fin. Plus enclin à privilégier ses relations avec la Russie de Poutine qu’avec nul autre pays européen, le futur Président des États-Unis n’a aucun intérêt à défendre ceux d’une Europe à laquelle il n’a jamais cru, ne croit pas et ne croira jamais.

La dureté de la réponse européenne doit être à la hauteur de la dureté du constat. Il n’y a pas d’autre solution pour les Européens que celle de se libérer du bouclier américain. Non que ceux-ci l’aient voulu, mais ils sont obligés de le faire, car la donne a changé depuis la victoire de Trump. Par conséquent, la bipolarité de naguère, où le bloc américain s’opposait au bloc soviétique, risque d’être remplacée par une nouvelle bipolarité, où des alliances, jugées contre-natures il y a peu de temps encore, s’imposeront face à celles que l’on pensait immuables.

Qu’elle le désire ou non, qu’elle soit prête à endosser son financement ou pas, qu’elle se heurte aux plus pro-américains de ses membres, l’Union européenne n’a dorénavant d’autre choix que de s’interroger sur son avenir stratégique et militaire. D’ores et déjà fragilisée par le terrorisme et une vague migratoire de grande ampleur, l’UE a pour urgence absolue de mettre la création d’une armée européenne à son ordre du jour. Elle doit le faire sans ambages, sans interdits et plus encore sans peurs et sans reproches.

Parfois prise au piège d’une frilosité militaire et pacifiste durant le 20e siècle, l’Europe a trop souvent payé le prix de son indécision stratégique. Pour qu’elle dissuade ses faux-amis de ne la traiter que comme leur subordonnée, elle aura pour tâche principale de se doter d’une dissuasion politique et stratégique qui lui fait cruellement défaut. A ce titre, elle pourrait renouer avec une approche plus gaulliste de la politique étrangère et de sécurité commune, quitte à lever le tabou de l’existence de l’OTAN. En effet, l’Alliance atlantique, dont la durée de vie aurait dû s’arrêter avec celle de la Guerre froide, a désormais atteint un faible degré de crédibilité qui la rend de moins en moins légitime.

Les défis de l’Europe ne sont plus les mêmes que les défis des États-Unis. Ils pourraient même s’opposer les uns aux autres. Fer de lance d’une politique de l’environnement, l’Europe a démontré avec la COP 21 qu’elle connaît, peut-être mieux que quiconque, les conflits de demain. Comment ne pas penser alors à la migration climatique qui, dénigrée par le nouveau dirigeant américain, devrait prendre des dimensions beaucoup plus importantes que ne l’a fait l’actuelle « crise des migrants » ? Celle-ci n’a que trop souvent servi les intérêts électoraux de celles et ceux qui n’ont pour seule réponse que de construire un mur. Ils ne sont que les adeptes d’une pensée naïve et dangereuse, selon laquelle le « cachez cette misère que je ne saurais voir », aurait pour seule vertu de nier l’évidence. Tout au moins, à l’intérieur d’un gratte-ciel new-yorkais !

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.