Ceta et cetera

Grosso modo, les réactions après le coup de boutoir de Paul Magnette furent positives à son égard. Sinistrée, malmenée économiquement par sa rivale flamande, la Wallonie s’est rebellée contre l’accord du CETA, soit contre « l’Accord économique et commercial global », signé entre le Canada et l’Union européenne. Respectant aux yeux de cette dernière pleinement les normes européennes dans des domaines tels que la sécurité alimentaire et les droits des travailleurs…, le CETA devait passer comme une lettre à la poste.

Soutenu par les puissants lobbies agricoles français, trop heureux de pouvoir vendre dans « la belle province », et au-delà, leurs vins et fromages, l’accord euro-canadien avait même reçu l’aval de Paris. Par conséquent, n’aurait-il dû jamais défrayer la chronique. Toutefois, était-ce sans compter sur cette pauvre Wallonie et son bouillonnant et talentueux Ministre-Président Paul Magnette. Contrairement aux irréductibles anti-européens qui foisonnent à travers « le vieux continent », celui-ci n’a rien d’un démagogue ou d’un ‘populiste’ à la petite semaine. Intellectuel patenté, ancien enseignant en Études européennes auprès de l’Université Libre de Bruxelles et de Sciences PO Paris, il est doté d’un impressionnant bagage universitaire qui fait de lui l’un des dirigeants les plus (in)formés et les plus cultivés d’Europe. Indiscutable pointure politique, il vient de donner une leçon de courage à ses collègues belges et européens. Plus encore à ses « camarades » socialistes de l’UE qui ne peuvent qu’envier sa témérité et son sens du risque.

Face à des socialistes français timorés et empêtrés dans une « Hollandie » à l’agonie, Paul Magnette vient de redorer une gauche européenne qui ne compte, malheureusement pour elle, que peu de personnalités de son envergure. Espoir d’un socialisme à la recherche de nouveaux repères, il a frayé un chemin qui s’annonce prometteur et dont nul ne peut prédire aujourd’hui l’issue. Tout laisse à croire qu’il pourrait conduire le Ministre-Président de la Wallonie à endosser un costume qui lui siéra fort bien et qui, par manque de leaders socialistes de premier rang, se languit depuis quelques décennies dans les placards poussiéreux d’une social-démocratie défraîchie. Quitte à prendre des paris, à condition toutefois de ne pas trébucher sur une quelconque affaire, Paul Magnette a toutes les qualités pour devenir ce dont la gauche s’est trop longtemps privée, à savoir la figure de proue d’une Europe progressiste et sociale.

Les esprits chagrins, texte et preuves à l’appui, ne manqueront pas de souligner que Paul Magnette n’a pas obtenu ce qu’il voulait. Bien qu’adversaire déclaré des multinationales, il a dû se plier aux lois du marché et succomber à la philosophie libérale du CETA. Argument certes justifié à plusieurs égards, il ne saurait pas masquer la force du message que le Ministre-Président wallon a su et voulu adresser au reste de l’Union européenne et, par-delà, à l’Amérique du Nord, voire aux autres global players mondiaux. Tirant les leçons des échecs européens précédents, et ne faisant nulle allégeance aux dites intangibles règles du commerce international, il a lancé un signal dont il ne faudrait pas sous-estimer la portée. Comprenant aussi que la politique c’est d’abord du vécu, et non seulement des chiffes, Paul Magnette s’est comporté comme un Européen qui sait ce que l’Europe signifie, c’est-à-dire un espace de culture et de bien-vivre ensemble.

Ce tableau, quelque peu idyllique, a néanmoins sa face cachée. Malgré la bravoure de son acte, Paul Magnette a remis une question de fond sur le devant de la scène européenne. Bien que le fédéralisme présente de nombreux avantages face à d’autres systèmes de gouvernement, il dévoile aussi quelques limites que l’exemple wallon illustre le mieux du monde. Comment accepter qu’une région, dotée d’environ quatre millions d’habitants, puisse à elle toute seule bloquer un processus accepté par de légitimes gouvernements nationaux et autres instances européennes ? Question de fond de l’avenir de l’Europe, une subsidiarité poussée à l’extrême pourrait même paralyser la construction de l’UE. Simple hypothèse de travail, le petit Land de Brême, avec ses 650 000 âmes, pourrait alors s’opposer avec succès aux décisions prises d’un commun accord par une Union européenne comptant plus de 500 millions habitants. Est-il alors concevable que 0,13% des Européens dénigrent la volonté générale exprimée par les 99,87% restants ? De ce type de questions dépend aussi l’avenir de l’Europe qui, en lieu et place d’un discours quelque peu naïf sur les bienfaits du fédéralisme, aurait tout intérêt de s’interroger sur ses chances, mais aussi sur ses effets indésirables. Peut-être que grâce à son intellect, Paul Magnette pourra peut-être nous aider à trouver la réponse

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.