Armes Österreich!

Dans d’autres circonstances, l’histoire aurait prêté à sourire : bulletins décomptés avant la fermeture des bureaux de vote, colle qui ne colle pas, renvoi du scrutin pour défaut de fabrication des enveloppes électorales et autres simagrées danubiennes dont seuls quelques politiciens autrichiens semblent détenir le secret. Mais, l’affaire est trop grave pour être traitée à la légère. Ce que nous offre l’Autriche d’aujourd’hui n’est pas qu’un épisode rocambolesque d’un mauvais mélo viennois ; mais aussi une crise d’un régime qui, à défaut de ne pas être totalement déconsidéré par ses acteurs, ne mérite plus la moindre considération.

Le report du second tour des élections présidentielles autrichiennes n’est que l’expression d’une excroissance d’une tumeur maline qui ne cesse de ronger un système incapable, à quelques exceptions près, de trouver le dénominateur commun entre les traditions républicaines et démocratiques. N’ayant longtemps pas su faire le deuil de son empire d’antan, l’Autriche préfère toujours composer avec un passé dont elle n’arrive pas à se passer. Minée par la présence de forces antidémocratiques qui, plus que toutes autres, se servent de la démocratie pour mieux la desservir, sinon pour lui porter le coup de grâce, la politique autrichienne présente un bilan dévastateur que l’on aurait du mal à s’imaginer dans nombre de pays européens. Notamment en Allemagne, où la démocratie est incommensurablement plus profondément ancrée que ce n’est le cas en Autriche.

Annulé par la plus haute juridiction du pays en juillet dernier, le second tour des élections autrichiennes n’aurait jamais dû être invalidé. L’ouverture des bulletins de vote par correspondance, avant l’heure de celle de la fermeture officielle du scrutin, ne constitue pas un motif suffisant pour organiser de nouvelles élections. Seule une fraude avérée aurait pu conduire à prendre une telle décision. Ce qui n’est pas présentement le cas. En effet, tous les bulletins ont été correctement décomptés et l’issue du second tour du 22 mai 2016 était conforme à la volonté majoritairement exprimée par les électeurs. Bien que n’ayant signalé aucune manipulation, les juges de la Cour constitutionnelle n’ont alors retenu pour seul critère que l’existence d’infractions au code électoral, qui, et la formule vaut son pesant d’or, « n’ont eu AUCUNE influence sur le résultat, mais qui auraient pu en avoir ».

Pourtant saluée par presque tous les responsables politiques, et notamment par le Président autrichien sortant, le social-démocrate Heinz Fischer, la décision de la Cour constitutionnelle ne reposait que sur des présupposés. Ainsi le candidat élu, le vert Alexander van der Bellen n’a été privé d’une légitime victoire que par la seule volonté d’un verdict dont on peut, en revanche, contester la légitimité et le bien-fondé. Mais là ne s’arrête pas ce qui ressemble de plus en plus à une mascarade. Arrivé en fin de mandat, l’ancien Président Heinz Fischer vient d’être constitutionnellement remplacé par un collège de trois Présidents du Conseil national autrichien. En fait aussi partie nul autre que Norbert Hofer, à savoir le candidat arrivé en seconde position. Battu lors du second tour du 22 mai dernier, il est le premier bénéficiaire du recours que son parti a déposé avec succès devant la Cour constitutionnelle fédérale.

Toute autre démocratie, digne de ce nom, aurait mis le holà à ces pratiques qui dénaturent la politique. Mais l’Autriche préfère se vautrer dans une attitude qui, peu ou prou, pourrait conduire à ne faire de sa démocratie qu’une étape transitoire de son histoire. Car au-delà de toutes les frasques, sinon de toutes ses dérives qui ne cessent de l’alimenter, la vie politique autrichienne est réellement en danger. Pour sauvegarder ses équilibres démocratiques, le pays n’a en effet pas trouvé d’autre alternative que de maintenir depuis près de dix ans des gouvernements de grande coalition. Quoique ayant vaincu le syndrome Haider, l’Autriche ne semble pas désormais pouvoir endiguer celui, encore plus nuisible, de Heinz-Christian Strache. Aujourd’hui en tête des sondages pour briguer la chancellerie au plus tard d’ici deux ans, il dirige de main fer le FPÖ. Au titre français de « Parti de la liberté », il s’est par la suite libéralisé, avant de renouer dès 1986 avec son héritage nationaliste que lui avait légué ses fondateurs issus, en grande partie, des milieux nazis. L’affirmer, ce n’est pas polémiquer, c’est seulement rappeler l’histoire, avant qu’elle ne se rappelle d’abord aux Autrichiens, puis à tous les Européens !

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.