Suisse – UE : se contenter de ce que l’on reçoit

Recherche désespérément une solution ! Voilà qui pourrait être la nouvelle devise d’un Conseil fédéral, pris au piège d’une votation dont il ne voulait pas. Que le temps presse, que l’échéance se rapproche, chacun en est parfaitement conscient. Mais, parce que tout aussi conscient de la difficulté de trouver une solution d’un problème qui, par définition, ne trouvera pas de solution satisfaisante, aucun Conseiller fédéral ne criera victoire. Au mieux l’esprit de compromis a minima prévaudra, au pire le conflit s’éternisera.

Depuis près de deux ans et demi, c’est toujours la même ritournelle. L’Union européenne est accusée de ne pas vouloir faire preuve de compréhension envers la Suisse. A l’exception près que la Suisse n’a jamais compris la position de la Commission européenne. A force d’inverser les rôles, Bruxelles est suspectée d’avoir enfreint les règles édictées par Berne, alors que c’est Berne qui n’a pas respecté celles adoptées lors de la signature des Bilatérales. Se sachant fautive, la Suisse n’eut alors d’autre stratégie que de renverser à son profit le rapport dialectique entre le contrevenant et la victime. Hurlant haut et fort sa bonne foi de maintenir de bonnes relations avec l’Union européenne, elle lui reproche concomitamment de les détériorer. A ses yeux, la Commission aurait en effet refusé de mettre en œuvre des règles exclusivement helvético-suisses que cette dernière n’applique logiquement ni à elle-même, ni au moindre de ses propres membres.

Cette démarche est symptomatique de toute personne physique, juridique et morale qui se sent acculée. Mais tel fut pris qui croyait prendre. Au grand dam de Berne, l’Union européenne n’est pas tombée dans le piège que la majorité des électeurs suisses lui ont tendu le 9 février 2014. La force de Bruxelles et des États membres fut celle de ne pas avoir changé d’un iota la seule position qu’ils pouvaient adopter, à savoir celle de la fidélité aux traités et au strict respect des accords bilatéraux. Par conséquent, Bruxelles n’a pas bougé, alors que le Conseil fédéral s’en remettait à des scénarios autochtones qui étaient immédiatement rejetés par ses interlocuteurs européens.

Quoiqu’il advienne, l’ébauche d’une solution n’aura pour seul objectif de ne pas envenimer les rapports avec la Suisse. Qualifié par les plus conciliants et les plus aguerris des diplomates européens d’« intensif » ou de « compliqué », le partenariat entre la Confédération et l’Union européenne ne sortira toutefois pas indemne de ces presque trois ans de pourparlers. Ayant par sa propre faute déclenché la plus grave crise qu’elle ait connue depuis 1992 avec les autorités européennes, la Suisse demeurera comptable d’une épreuve de force que notamment ses plus talentueux négociateurs savaient globalement vouée à l’échec. Même s’il devait (très) partiellement obtenir gain de cause, le gouvernement fédéral sera non seulement suspecté d’incarner le pique-assiette qu’il a toujours été, mais aussi de se comporter comme un acteur aux prétentions démesurées. Par conséquent, la Suisse devra rapidement rétablir cette part de fiabilité qu’elle a perdue et restaurer ce capital de confiance dont elle s’est elle-même privée depuis près de trente mois.

Pour ce faire, elle sera appelée à entreprendre un aggiornamento européen. Au risque de rompre avec sa lecture juridique et ses très chères et onéreuses expertises de droit européen, la Confédération devra alors se conformer à la lettre et l’esprit d’une construction européenne qui, non seulement en Suisse, mais aussi en son propre sein, a oublié sa dimension politique. Car pour surmonter une crise dont elle est aussi en partie responsable, l’Europe a plus que jamais besoin de politique. A condition d’une part de montrer l’exemple, et d’autre part d’avoir le courage de se réformer et de ne pas laisser le monopole du débat à celles et ceux qui ne rêvent que de la voir disparaître. A ce titre, la Suisse est au diapason de n’importe quel autre pays européen. A l’image de ses partenaires, qui n’ont toujours pas su tirer les conclusions des crises grecques, de l’euro ou plus récemment de celle du Brexit, Berne pourrait mettre son 9 février 2014 au profit d’un renouveau européen qui désormais ne se fait que trop attendre.

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.