L’Honneur perdu d’un Portugais

Qu’il s’en satisfasse ou qu’il le déplore, le lecteur de cet article n’apprendra rien de neuf sur la finale de l’Euro 2016. Pas de Ronaldo, pas d’Eder, pas de Renato Sanchez ! Ceux-ci viennent de faire honneur à leur pays. Rien de tel, en revanche, pour l’un de leurs plus fameux compatriotes qui vient de ternir la réputation des Lusitaniens. Lui, auquel L’Hebdo avait taillé à juste raison, dès le mois de juin 2005, un beau et mérité costume, vient de récidiver. Véritable maillon faible d’une Europe qui, décidemment, n’avait ni besoin de ça et encore moins de lui, il vient d’être nommé Conseiller spécial de la banque Goldmann Sachs. C’est entièrement son droit et il ne risque, par conséquent, ni poursuites et enquêtes d’aucune sorte.

Goldmann Sachs, c’est une banque d’affaires. Et, comme toute banque d’affaires, elle aime en faire, à condition que ça ne se sache pas trop. Lui, il n’a jamais trébuché sur l’une d’entre elles. Pourtant, il est très lié aux relations troubles qu’entretiennent l’argent et la politique, aussi par amitié, parce que les deux mondes se fréquentent assidûment, et cela non sans arrière-pensées. Néanmoins, tout demeure dans le strict cadre de la légalité et aucun grief ne peut être adressé à celui qui, désormais, va conseiller une banque camoufleuse de la dette grecque et partie-prenante dans la crise de subprimes. L’important, et on l’aura compris, est de faire supporter à autrui ce que l’on aura soi-même commis. Et quel meilleur bouc-émissaire que l’Europe qui, habituée à jouer ce rôle, se remettra cette fois-ci à la prestation de l’un de ses sociétaires d’une comédie qui, à force de sombrer dans le mélodrame, n’a décidément plus rien de divine.

Parfois, ne se prête-t-on pas à rêver ? A croire encore, par simple naïveté, que mettre son engagement au service de ses idées, cela pourrait servir à quelque chose. Faudrait-il rappeler qu’un enseignement, c’est une transmission de savoir et non une gestion d’avoirs dans les coffres-forts d’un partenaire qui vient de quitter le bateau ? Mais fidèle à l’adage selon lequel l’argent n’a pas d’odeur, pourquoi ne pas avoir recours aux services de celui qui, après avoir vanté « la Cause du Peuple », le petit livre rouge à la main, prend dorénavant son courage à deux mains pour mettre les siennes dans le cambouis nauséabond d’une finance dont la dernière des causes est bel et bien de défendre les intérêts des peuples.

Tout auréolé d’une toge de professeur d’un Institut, dont il fut jadis l’un des assistants, il se fait l’assistant d’un modèle qui, à défaut d’être académique, se drape d’une médiocrité à laquelle il apporte son propre tribu ! Car n’est pas médiocre qui veut, mais seulement qui ne peut pas faire autrement. Et, preuves à l’appui, n’est médiocre que celui qui n’a atteint jamais les objectifs pour lesquels il fut appelé. Soldé par l’échec de la « stratégie de Lisbonne », qui devait faire de l’Europe d’ici 2010 l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde (sic !), à tout jamais marqué par celui du traité constitutionnel de même que par un manque de gouvernance politique d’une Europe en crise économique, financière et sociale, le bilan de dix ans de Commission européenne se résume à lui tout seul par un mot de cinq lettres. Tout le monde l’aura compris, c’est d’un ECHEC qu’il faut parler.

Qu’à l’heure où les « Etudes européennes » dispensent toujours les cours sur les « pères fondateurs de l’Europe » ne vienne surtout jamais jaillir, d’on ne sait pas où, un autre enseignement qui aurait pour titre « les fossoyeurs de l’Europe ». Les places de choix y sont déjà toutes trouvées et la matière ne manquerait pas pour étayer plus d’études de cas qu’il n’en faut. Malheureusement, nul n’étant que roi dans sa propre demeure, tout laisse à croire que les méfaits de l’europhobie ne se déploient pas que chez les europhobes. A craindre le pire, c’est dans le propre camp de l’Europe, dans ses propres troupes, chez ses propres généraux en friche que, fichtre, se trouvent ses plus lamentables arrivistes dont le seul lieu d’arrivée devrait être celui de leur départ à tout jamais. Et pour l’instant qu’il ait pour partance le fauteuil de leader de la droite portugaise, le fauteuil d’un ancien Président de la Commission européenne de Bruxelles ou la chaire d’un Institut universitaire genevois , son lieu de destination ne fait plus l’ombre d’un doute : la banque Goldman Sachs et les dorures vermoulues d’un palais de la finance anti-européenne.

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.