De la responsabilité politique du Brexit et du 9 février

L'issue du vote sur le Brexit a fait l'objet de mille et un commentaires. En ajouter un nouveau n'aurait rien de répréhensible en soi. Mais l'heure est désormais à l'attente d'une lettre de démission de la Grande-Bretagne, dont personne ne connaît encore au juste le nom du ou de la signataire. Si David Cameron est l'auteur du Brexit, nul ne sait donc avec certitude qui sera son exécuteur politique. Bref, on lance un référendum et puis advienne que pourra.

Cela rappelle étrangement la votation du 9 février 2014. On se décide subrepticement pour une initiative. Le peuple l'adopte avec une courte majorité, mais personne n'ose vraiment la mettre en œuvre. Pour certains, cela relève d'un amateurisme des plus puérils, pour d'autres du summum d'un cynisme politicard. A vouloir se montrer magnanimes avec Cameron ou avec l'UDC, quelques âmes bien nées pourraient même leur accorder certaines circonstances atténuantes. Partiellement affranchis de leurs péchés, ils n'assumeront alors que peu les conséquences des processus référendaires qu'ils ont eux-mêmes enclenchés. Mais, c'est là faire preuve d'une cruelle naïveté politique qui n'a que trop fragilisé les équilibres politiques de nos démocraties occidentales.

Habituées, voire évertuées à confondre volontairement le coupable avec la victime, les opinions publiques n'en auront cure. Elles iront chercher les responsables là où ils ne se trouvent pas, mais là où elles aimeraient bien qu'ils se trouvent. Cela relève d'une facilité si déconcertante que même ceux qui n'auraient pas pu se l'imaginer seront bel et bien obligés d'y souscrire. Que ce soit pour le Brexit ou le 9 février 2014, la faute incombera une fois de plus à l'Europe. Car sans Europe, il n'y aurait jamais eu ni d'adhésion de la Grande-Bretagne à l'espace communautaire, ni de libre circulation des personnes. La démonstration est imparable. Ainsi Cameron comme l'UDC seront dédommagés pour les dégâts qu'ils ont causés et fait subir aux autres. Suffisait seulement d'y penser!

Nul n'ose d'ailleurs remettre en cause la légitimité populaire du Brexit et de l'initiative sur l'immigration de masse. Dans les deux cas, il s'agit de décisions démocratiques qui, selon le principe même de ladite démocratie, ont été prises en toute connaissance de cause. Sauf que c'est là que le bât blesse. Ni dans l'un ou l'autre des cas, la responsabilité politique n'a su s'accorder avec la responsabilité citoyenne. Les politiques ne se sont que trop démis de leur responsabilité, alors que les citoyens n'ont que trop peu endossé la leur.

Alors que durant l'hiver 2014 le débat portait sur le nombre des contingents étrangers en Suisse, personne ne voulait entendre les rares voix qui s'inquiétaient des possibles mesures de rétorsion que l'Union européenne pourrait prendre en cas de succès de l'initiative. Quant au vote sur le Brexit, il illustre parfaitement les mille et une mises en garde auxquelles David Cameron n'a pas prêté la moindre attention. Auréolé de son succès aux élections à la Chambre des communes de mai 2015, lorsqu'il remporta la majorité des sièges pour avoir aussi promis à ses électeurs conservateurs un possible référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, il était persuadé d'avoir réalisé un "beau coup". Sauf que treize mois plus tard, il se prit un énorme uppercut dans son plexus politique, faisant de plus un sale croche-patte à l'UE qui lui avait pourtant administré un traitement préventif pour calmer ses douleurs anti-européennes.

Quant à l'UDC, elle n'a pour seul courage que de se remettre au courage des négociateurs suisses. De retour de chacun de leurs déplacements auprès de la Commission européenne de Bruxelles, ils sont confrontés au même scénario qui ne varie pas d'un iota. Nos diplomates n'ont d'autre choix que de se conformer à leur témérité toute helvétique qui les contraint, consensus oblige, à demander un nouveau délai supplémentaire pour régler un dilemme qui, par définition, ne trouvera jamais de bonne solution.

Voulue et souvent désirée par leurs propres auteurs, cette irresponsabilité politique n'est pas à mettre sur le seul compte des élus et des partis. Elle est d'abord due aux électrices et électeurs qui les élisent. A ne vouloir jeter l'opprobre que sur Cameron ou sur l'UDC, trop nombreux sont ceux qui dédouanent la responsabilité de celles et ceux qui les ont placés aux postes de responsabilité. A craindre le pire, la démocratie actuelle ne serait alors que l'affrontement perpétuel des politiciens, responsables de tout, et des citoyens, responsables de rien. Ce serait là, ni plus ni moins, la négation de toute forme de citoyenneté. Mais rien ne laisse pourtant présager aujourd'hui qu'il puisse en être autrement. Ce triste constat est celui du 9 février 2014 de même que celui du Brexit. Chaque fois, ce sont les citoyens qui l'ont voulu. A eux maintenant d'en porter toutes les conséquences, car, on aurait presque oublié l'essentiel : la démocratie n'est pas faite que de droits, mais aussi de devoirs.

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.