La Leçon d’Europe au “Groupe de Visegrád”

Bouc-émissaire privilégié par tous les eurosceptiques, la Commission européenne fait régulièrement l’objet de critiques plus ou moins justifiées. Légitimes pour certaines d’entre elles, elles peuvent aussi devenir intempestives, sinon inconvenantes. Toutefois, demeurent-elles dans l’air du temps, répondant à cette tentation de se défausser sur l’autre, pour ne pas vouloir assumer ses propres faiblesses et contradictions.

« C’est la faute à Voltaire, c’est la faute à Rousseau », la chanson est connue et pourrait désormais se doter d’autres paroles tout aussi nigaudes, selon lesquelles « ce serait la faute à Juncker, ce serait la faute à Merkel, Hollande ou Renzi ». Mais, ici, point de Juncker, de Merkel, de Hollande ou de Renzi. Car si faute il y a, il faut la chercher chez eux qui l’ont commise. Là, les coupables sont tout trouvés. Ils s’appellent Beata Szydło, Bohuslav Sobotka, Robert Fico et l’ineffable Viktor Orbán, à savoir les chefs de gouvernement des quatre pays qui constituent « le Groupe de Visegrád », soit respectivement la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie et la Hongrie.

L’affaire est trop sérieuse pour être traitée à la légère. Elle concerne l’essence même de l’intégration européenne et dépasse de loin le cadre événementiel que l’on pourrait lui attribuer. Alors que ces quatre États, malheureusement soutenus pas d’autres dont l’Autriche, ont consciemment mis à mal l’Europe communautaire, il a fallu que cette même Europe communautaire les rappelle à leur devoir de solidarité. Au-delà du drame humain qu’elle suscite, la crise migratoire se révèle alors comme un marqueur politique entre les pays qui comprennent l’Europe et ceux qui ne la comprennent pas.

En proposant « un mécanisme de répartition correcteur (le mécanisme d'équité) », la Commission de Bruxelles a en effet décidé d’instaurer un « nouveau système [qui] signalera automatiquement qu’un pays traite un nombre disproportionné de demandes d’asile, notamment au regard de sa taille et de sa richesse ». Conséquence directe de la mise en œuvre de quotas nationaux, ce plan répond parfaitement aux défis que l’Union européenne doit relever pour ne pas mettre sa propre existence en danger. En ce sens, l’UE a également eu parfaitement raison de prévoir une clause qui permettra à tout « …État membre [d’avoir] aussi la possibilité de ne pas participer, à titre temporaire, à ce mécanisme. [Sachant] que dans ce cas, il devra faire une contribution de solidarité de 250 000 euros pour chaque demandeur dont il aurait autrement été responsable en vertu du mécanisme d'équité, au profit de l’État membre de relocalisation ».

Que Peter Szijjarto, le ministre hongrois des Affaires étrangères, ait beau crié au « chantage », cela ne changera rien aux données du problème. Dans la droite ligne de son gouvernement qui n’a fait que ternir l’image de son pays, il confirme ce que l’on savait déjà. Tous les pays du « Groupe de Visegrád » ne sont toujours pas en mesure de saisir la dimension intellectuelle et historique de l’Europe. Étant tous des pays bénéficiaires du budget européen, ils ne voient dans l’Union européenne qu’une vache à lait que l’on pourrait traire à leur bon vouloir. Préférant par ailleurs accorder leur entière confiance à l’OTAN pour assurer leur propre sécurité, ils ne font alors appel à la Commission que pour lui demander de l’argent.

Attitude compréhensible lors de l’adhésion à l’UE des pays d’Europe centrale et orientale (PECO) le 1er mai 2004, ce comportement ne l’est plus aujourd’hui. A l’exemple des autres PECO, ceux du « Groupe de Visegrád » font preuve d’une frilosité européenne qui n’a plus lieu d’être. Plus de douze ans après leur entrée dans l’Union européenne, ils s’en prennent à l’institution qui, plus que nulle autre, leur a, à la fois permis de se hisser à un niveau économique qu’ils n’auraient jamais pu atteindre par eux-mêmes et de se doter d’un système démocratique qu’ils sont en train de fragiliser par leur propre faute. A vouloir faire l’impasse sur les règles de base de l’Union européenne, parmi lesquelles la solidarité n’est pas un vain mot, ces pays, tous issus du bloc soviétique, sont quelque part devenus des contre-exemples européens. Contrairement à l’Espagne et au Portugal qui surent se libérer du fascisme et parfaitement s’insérer dans la CEE dès leur adhésion en 1986, ils n’ont toujours pas rompu avec ce que le communisme leur avait légué de plus néfaste en héritage. Il est vrai que les Alexander Dubček, Václav Havel et Gyula Horn sont décédés depuis plusieurs années et que ni l’un ou l’autre de ces États n’a encore trouvé son Felipe Gonzales ou son Mario Soares !

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.