Un Guide de sociologie politique

Ce n’est guère l’usage de consacrer un article dans un blog à un livre, scientifique de surcroît. A cette fin, il vaut mieux se référer à des revues spécialisées que, par définition, seuls quelques spécialistes ont l’habitude de consulter. Le commun des mortels s’en détourne facilement, n’y ayant que très peu accès ou, plus exactement, ne désirant pas y avoir accès. Classées sur les étagères plus ou moins poussiéreuses d’une bibliothèque universitaire, ces revues ne se retrouvent jamais dans les rayons des librairies grand public et moins encore dans les kiosques des grandes gares françaises ou européennes.

Il en sera de même pour l’ouvrage que l’universitaire lyonnais Paul Bacot vient de publier dans la collection Optimum des éditions ellipses, sous le titre Guide de sociologie politique. Dès la première de couverture, l’acheteur potentiel est averti que ce livre s’adresse en premier lieu aux Classes préparatoires, à Sciences Po, aux Instituts d’Études Politiques et aux universités en général. Bref, rien qui ne puisse intéresser, à première vue, la majorité des abonnés de L’Hebdo, voire celle des lecteurs réguliers du blog « politique européenne ». Mais parce qu’adressé à ces mêmes personnes, cet article tient à les persuader du contraire. Ce que Paul Bacot leur offre est, ni plus ni moins, une mine d’informations et de définitions qui leur permettront de mieux comprendre la politique au quotidien, mais aussi, et de manière plus approfondie, à mieux en discerner les mots, à l’heure où les maux politiques polluent de plus en plus nos démocraties.

Dès la table des matières, le lecteur se félicite de la qualité pédagogique du travail. Rapidement, il recherchera les noms des auteurs classiques, des ouvrages didactiques, sinon prendra connaissance de la méthodologie en science politique, se familiarisera avec ses approches, ses courants ou ses techniques. De même il comprendra bien aisément que la science politique « ne peut pas se passer de découpages… et, qu’à l’exemple de la linguistique, on peut désormais parler… d’une construction verbale du politique ». Idem pour la dénomination de « la discipline et des chercheurs », spécialisés en science politique. Selon Paul Bacot, « le plus simple serait assurément de parler de ‘ politologie’ et de ‘ politologues’, comme on parle de ’ sociologie’ et de ‘sociologues’. Mais, à ses yeux, l’appellation science(s) politique(s) a ses lettres de noblesse…Voilà pourquoi la majorité des chercheurs et enseignants-chercheurs (en France, mais ni en Suisse, ni dans d’autres pays) se disent plus volontiers politistes ».

Tout n’étant alors qu’une question de mots ou de définitions, il convient ainsi de se rapporter au chapitre 9 du livre. Sans nul doute le plus dense et le plus captivant de tous, il offre de nombreuses entrées que l’on a plaisir à lire. Ainsi « l’européanisation n’est plus aujourd’hui…le grand mouvement historique d’occidentalisation du monde notamment sous l’effet du colonialisme, mais le processus d’unification de certaines pratiques ou de certaines règles au niveau de l’Union européenne, au détriment des spécificités nationales. L’européanisation peut venir des instances communautaires, par le biais de différents moyens juridiques, ou des acteurs nationaux s’adaptant d’eux-mêmes au fait européen – on parle alors d’européanisation par le bas. Elle aboutit à ce que l’on appelle, depuis l’origine des communautés européennes, intégration européenne ». Voilà qui devrait donner à réfléchir à plus d’un d’entre nous, surtout à celles et à ceux qui, encore près de soixante ans après la signature des traités de Rome, demeurent persuadés que la construction européenne ne peut se faire que par le haut. Toutefois, elle peut également être l’expression d’un processus citoyen et démocratique reposant sur des valeurs partagées.

En ce sens, la science politique a toujours pour vocation de s’interroger sur l’emploi de certains concepts, trop souvent utilisés à la légère. Tel est le cas du mot populisme dont on peut « retenir la récurrence dans le discours de tout parti ou leader ( dénonçant) des élites, qui seraient responsables des malheurs des catégories les plus modestes de la société…Mais quiconque se verrait accusé de populisme pourra assez facilement pratiquer le retournement de stigmate, en accusant son accusateur d’être accusateur contre le peuple ».

Ainsi la prudence est de mise. Le populisme n’étant pas forcément de droite. Il peut aussi être repris par une gauche défenseur « des catégories les plus modestes de la société ». Par conséquent, Il ne suffit pas de se contenter d’une expression à la mode. Il faut aussi savoir l’analyser, la pondérer, sinon la critiquer. C’est là l’objet même de la science politique. L’ouvrage de Paul Bacot nous aide à mener cette tâche et à être à la hauteur de la mission qu’il s’est donnée lui-même et pour laquelle on est en droit de le féliciter au plus haut point.

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.