Lorsqu’il a été reçu à Washington par Mike Pompeo en février 2019 et qu’il lui a rendu la pareille, en l’accueillant à Berne en juin de la même année, la première visite officielle d’un Secrétaire d’Etat américain depuis 20 ans, Ignazio Cassis s’est sans doute dit qu’il avait atteint le sommet de sa carrière ministérielle et qu’il clouerait enfin définitivement le bec de ses détracteurs. Ce n’est pas tous les jours en effet que l’on parvient à attirer l’attention du chef de la diplomatie de la première puissance de la planète. Alors deux fois la même année, à quelques mois d’intervalle de surcroît, ce devrait être une entrée assurée dans le “Guinness Book” à défaut d’un Prix Nobel! C’était la revanche d’un homme politique pas vraiment pris au sérieux depuis son élection au Conseil fédéral le 1er novembre 2017. Perçu comme un éternel apprenti, il éprouvait toujours de la peine à remplir l’ample costume d’un ministre des affaires étrangères taillé visiblement trop grand pour lui.
Dès son entrée en fonction il avait placé la barre très haut. Il voulait renverser la table de son prédécesseur, Didier Burkhalter, auquel étaient reprochés immobilisme et excès de prudence. Ignazio Cassis annonçait un “Reset” dans nos relations avec l’UE. Il ne cachait pas qu’il avait l’intention de donner la parole aux Suisses qui pensaient en avoir été privés jusque là, les “troupes silencieuses” de l’UDC dont les représentants au parlement avaient assuré son élection. La présence de Trump à la Maison blanche lui offrait une magnifique occasion de donner, sans trop avoir à réfléchir, des contours idéologiques à la “révolution culturelle” qu’il entendait faire subir à une diplomatie suisse “trop active, trop idéologiquement ancrée à gauche, trop interventionniste, trop multilatérale”! Qu’on se le dise, Ignazio Cassis serait un ministre des affaires étrangères qui éviterait l’étranger, qui resterait surtout en Suisse et qui helvétiserait le “Trumpisme”: “Switzerland first”! Son premier voyage à New-York à l’Assemblée générale des Nations-Unies, lui a permis de sourire et de ricaner contre “un multilatéralisme dispendieux et inefficace”, qu’il ne comprenait pas. Il espérait d’ailleurs que l'”idée farfelue” d’amener la Suisse dans le Conseil de sécurité, serait balayée par le Parlement.
Ses premiers pas à l’étranger, il entendait les utiliser pour faire comprendre “sa nouvelle diplomatie”. Les réalités géopolitiques l’ont très vite rattrapé. “Switzerland first” dans une mine africaine de Glencore s’est terminé en eau de boudin, faute d’avoir préparé ses déclarations. Le “copier-coller” du Trumpisme au Moyen-Orient allait se révéler encore plus catastrophique. Le fameux “UNRWA fait partie du problème pas de la solution” du “brillant” conseiller de son beau-père président et “grand architecte de la paix au Moyen-Orient”, Jared Kushner, Ignazio Cassis l’a repris tel quel à son compte. Dans son cas, l’initiative était plus problématique, dans la mesure où il savait que sa déclaration allait gonfler les voiles d’une opération diffamatoire initiée contre notre compatriote Pierre Krähenbühl. Le faire tomber c’était porter un coup fatal à une organisation honnie par Israël. Cela ne fut pas suffisant pour conseiller à notre ministre la prudence qu’il reprochait par ailleurs à ses prédécesseurs d’avoir manquer de manière générale. Il exerce en revanche encore jusqu’à aujourd’hui la plus grande prudence à faire état des conclusions officielles du rapport fouillé de l’ONU disculpant notre compatriote de tous les chefs d’accusation portés contre lui! Dans le domaine multilatéral, Ignazio Cassis va systématiquement démonter ce que la Suisse avait construit patiemment depuis la fin de la guerre froide: sa réputation d’un pays fiable résolument engagé dans la diplomatie humanitaire. Le refus de signer le Pacte mondial sur les migrations de Marrakech et le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, tout deux “enfants” de notre diplomatie, en fut une suite logique. En matière européenne, inutile d’élaborer sur le “Pschitt”, jusqu’ici en tout cas, de sa volonté de “Reset” dans nos relations avec l’UE.
Ce furent les arrivées de Donald Trump à la Maison blanche et d’Ignazio Cassis au DFAE, en 2017, qui m’avaient convaincu de créer ce Blog et de rester (modestement) engagé dans le domaine de la politique étrangère. Il fallait bien ces deux événements et le spectacle de désolation qu’ils ont initié pour me détourner, partiellement en tout cas, de ma volonté de tourner définitivement le dos à ce qui m’avait passionnément occupé pendant plus de 35 ans. J’avoue que si je n’ai pas été vraiment surpris par les 4 ans de présidence de Trump, je ne m’attendais pas à ce que nous a offert Ignazio Cassis. Aujourd’hui, à la veille du départ de Trump de son “reality show”, dans des circonstances encore plus effrayantes et sanglantes que les plus alarmistes auraient jamais pu prédire, à défaut du “Trumpisme” qui va probablement métastaser encore de longues années dans la société américaine, les regards se tournent naturellement vers sa “version suisse”. Si Ignazio Cassis n’est pas comparable aux excès en tout genre de l’original, il ne fut pas moins fasciné par le populisme débridé et iconoclaste du locataire de la Maison blanche.
Le vice-président et futur président de la Confédération avait sans doute imaginé un début d’année 2021 plus agréable. Aux critiques régulières qui lui sont adressées sur son absence de politique étrangère et sa disparition quasi totale des écrans radars de l’actualité viennent s’ajouter celles sérieuses sur sa politique du personnel. Les premières, on l’a vu, ne sont pas surprenantes et ce n’est pas la “stratégite aigue” qui a atteint le DFAE depuis son arrivée qui va aider à y remédier. Elaborer des stratégies, sans les mettre en œuvre, n’a jamais remplacé des politiques. Concernant le personnel, que le DFAE a toujours considéré à raison comme son principal capital, la situation semble elle aussi très préoccupante. Les départs au cours des deux dernières années de plus de 20 collaboratrices et collaborateurs sont des signes qui ne trompent pas. D’autant plus que ces départs ne s’inscrivent pas dans le cadre d’une politique volontaire de mise à disposition des O.I. de ses collaboratrices et collaborateurs mais sont les signes de frustrations et de mauvaise ambiance de travail. Le fait que l’opinion publique en soit saisie aujourd’hui n’est que la résultante de l’amplitude croissante du phénomène.
Dans ces circonstances, On voir mal rebondir le chef du DFAE, victime du phénomène de bunkérisation et d’isolement et se sentant attaqué de toute part. Comme dans des sables mouvants, chaque fois qu’il essaie de se dégager d’une difficulté, il s’enfonce dans la suivante. Aux lacunes, à ses mauvais choix s’ajoute aujourd’hui la scoumoune, qui est rédhibitoire en politique étrangère.
Ignazio Cassis a été réélu au Conseil fédéral le 11 décembre 2019 et sera au gouvernement jusqu’en 2023 au moins. Dans notre pays les institutions sont plus fortes que les femmes et les hommes qui les font vivre et c’est tant mieux. Ce ne sont pas les événements de Washington du 6 janvier dernier qui nous feront changer d’avis. Sans vouloir établir des comparaisons incongrues et qui n’ont pas lieu d’être, nous sommes malgré tout confrontés à la question de notre position et de notre influence dans le monde. Si nous ne nous occupons pas personnellement de la défendre, d’autres s’en chargeront et le feront à notre détriment. Le président du Centre, Gerhard Pfister, avait esquissé, lors du renouvellement du Conseil fédéral en 2019, une nouvelle répartition des départements qui aurait vu Ignazio Cassis hériter de la Défense, de la protection de la population et des sports.
Au moment où les USA vont revenir au multilatéralisme avec l’administration Biden, n’est-il pas légitime de se demander si la petite Suisse, qui a joué trop longtemps le caniche du populisme trumpien, sans retour sur investissement d’ailleurs (l’accord de libre-échange n’est toujours pas signé, accusations américaines de manipulations monétaires), n’aurait pas intérêt à changer de ministre des affaires étrangères. Une prochaine vacance au Conseil fédéral pourrait être utilisée à cet effet! N’est-ce pas M. Pfister? Il serait regrettable que la scoumoune d’un ministre se répercute sur tout un pays. La Suisse ne peut pas se payer trop longtemps le luxe de regarder ce qui se passe autour d’elle en se bouchant le nez et les oreilles et avec un sparadrap sur la bouche !
Well written Mr Martin. Excellent analysis and a sound recommendation to remove
Mr Cassis from the Foreign Ministry.
Make Switzerland Neutral Again.
Many thanks for your support! We still have work to be done!
Thank you for your comment!
Dans le fond, Cassis est le troisième UDC au CF, sous des dehors avenants de latin!
Entièrement d’accord mais un mauvais UDC!
ah???
Auriez-vous un “bon” UDC à citer?
P.S. N’ai aucun à priori contre les UDC.
Simplement, j’aimerais qu’ils m’expliquent avec franchise ce qu’ils apportent à la Suisse?
Car entre les sons des toupins et la défense des faibles revendiquée, votant pour toujours plus de libéralisme débridé et moins d’écologie au Parlement, je n’ai rien compris????
C’est un peu vrai!
Triste réalité! … et dire qu’il fut élu pour garantir l’équilibre linguistique.
Nous payons un lourd tribut à l’équilibre fédéraliste au détriment du meilleur -e
lors des élections au CF.
Avoir élu au un CF issu du PLR, mais largement soutenu par l’UDC, pose un problème d’équilibre dans cette enceinte fédérale. Apprendre qu’il serait un partisan d’une déconstruction du multilateralisme est un autre problème sérieux pour un CF en charge des affaires extérieures de la Suisse. La proposition du parti du Centre de lui prévoir lors d’une prochaine rotation au CF un changement de département me semble une idée lumineuse.
Il fut un temps pas si éloigné où la stabilité politique apparemment inébranlable de la Suisse permettait allègrement de nous offrir le luxe d’un conseiller fédéral incompétent parmi les sept (Blocher). On en est maintenant à trois de cette catégorie et cela commence à se sentir fortement (économie et finances avec covid + notre image dans le Monde…) . Notre parlement devra bientôt réagir énergiquement pour le bien de notre pays.
A propos de “l’œuvre diplomatique” de Cassis, à voir ou revoir l’excellent reportage dernièrement sur Pierre Krähenbühl et L’UNRWA, dans l’émission “Temps Present” sur le site rts.ch
En effet l’enquête est édifiante!
Notre conseiller fédéral est le caniche du lobby pro-Israël et défendait les valeurs deTrump !
Pourquoi ne pas demander sa démission car c’est un personnage dangereux pour la réputation de la Suisse et pour notre neutralité qui n’est plus qu’un mensonge d’état! Pour information c’est aussi lui qui fait passer en avant Microsoft pour qu’ils nous pondent un Cloud Suisse made in USA ! Creusez cette piste et vous comprendrez pourquoi il œuvre dans l’ombre et que nous l’entendons presque jamais!