Agissez contre la bombe Madame la Secrétaire d’Etat!

Par la bouche de l’ancienne Conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey la Suisse s’est exprimée ainsi: “L’arme nucléaire est inutilisable, immorale et illégale. La Suisse est d’avis que nous devrions avoir l’ambition d’aller plus loin et de développer une vision qui va au-delà de cette conférence, notamment dans le domaine du désarmement. Il s’agirait de dépasser certaines notions de recours à l’arme nucléaire. Perpétuer la doctrine de dissuasion nucléaire revient en fait à continuer de jouer de façon irresponsable avec le futur de l’humanité”. C’était en juin 2010 à New-York devant la Conférence de suivi du traité de non-prolifération nucléaire (TNP).

Sept ans plus tard, le monde a entendu l’appel de notre représentante et s’est doté d’un Traité sur l’interdiction des armes nucléaires. Adopté en 2017, il est ouvert à signature et ratification. Aujourd’hui, 70 Etats l’ont signé et 22 ratifié. Le Traité entrera en vigueur 90 jours après la cinquantième ratification.

Le Conseil fédéral, sur proposition du DFAE,  a refusé en 2018 de le signer. Dans une réaction sans beaucoup de précédents, les deux Chambres de notre Parlement, à l’initiative du Conseiller national Carlo Sommaruga, ont enjoint le gouvernement de le signer et le ratifier. L’injonction est institutionnellement et juridiquement  non contraignante mais politiquement elle l’est. L’avis du représentant du peuple souverain doit être pris en compte. Nous sommes au cœur de la politique intérieure si chère à Ignazio Cassis.

Le DFAE a été chargé de préparer une nouvelle proposition au Conseil fédéral pour mettre en œuvre la volonté des deux Chambres du Parlement. Or les signaux sont inquiétants voire alarmants. Au lieu de reconnaitre s’être trompé et faire contre mauvaise fortune bon cœur, le DFAE semble tergiverser et chercher des solutions pour renvoyer la signature et la ratification du traité aux calendes grecques. L’arme massive de la consultation serait privilégiée pour gagner du temps. Or la consultation est au cœur du système de concordance suisse et à ce titre ne doit pas être utilisée comme une arme de division mais comme un art de rassemblement. Lorsqu’elle est utilisée pour contrecarrer le fonctionnement démocratique elle ne joue clairement plus son rôle.

Si “la guerre! c’est une chose trop grave pour la confier à des militaires”, comme l’a déclaré Clémenceau en 1887, la guerre nucléaire est trop inquiétante pour laisser à des fonctionnaires le loisir de se mettre en travers d’un instrument international. La société civile doit se mobiliser et exercer une pression maximale pour soutenir notre Parlement et amener le DFAE à faire tout simplement ce qu’il aurait dû faire dès le début: proposer au Conseil fédéral de signer et ratifier le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires. Prétendre qu’on ne pourrait pas le faire sous prétexte que les puissances nucléaires ne le font pas, équivaudrait à prétendre qu’il est impossible d’imposer une loi sur la circulation routière tant qu’il y aura des chauffards.

Madame la Secrétaire d’Etat ne prenez pas devant l’histoire la responsabilité de rompre la longue tradition humanitaire de la Suisse! Proposez de signer et ratifier ce traité sans tergiversation. Vous prendriez ainsi place dans la liste des serviteurs de l’Etat qui ont fait de la Suisse le modèle qu’elle est à bien des égards. Sinon….vous avouerez que l’alternative est guère reluisante et ne mérite pas d’être exprimée.   

 

Georges Martin

Georges Martin est né en 1952. Après avoir obtenu sa licence de Sciences politiques à l’Université de Lausanne, il est entré au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) en 1980. Les différentes étapes de sa carrière l’ont amené en Allemagne, New-York (ONU), Afrique du Sud, Israël, Canada, France, Indonésie, Kenya. Il fut Secrétaire d’Etat adjoint et Chargé de missions spéciales au DFAE.

2 réponses à “Agissez contre la bombe Madame la Secrétaire d’Etat!

  1. Cher Georges,

    Bravo pour cette prise de position parfaitement fondée . Il est plus que grand temps que nous signions et ratifions le Traité sur linterdiction des armes nucléaires.

    Au vu des suites désastreuses du Sommet d’Hanoï, je pense que cette urgence s’est encore renforcée.

    Amitiés,

    Sylvie

  2. Effectivement les tergiversations apparentes des fonctionnaires du DFAE sont surprenantes ou alors la recommandation de ne pas signer est le fait du nouveau CF à la tête de ce département ? Les raisons ? Au fait quel est l’avis de l’ensemble du CF ? des chambres fédérales ?

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