Un coup de fièvre helvético-russe

La plus ancienne activité humaine

On a assisté ces derniers jours à une escalade verbale entre Berne et Moscou. La cause de cette poussée de fièvre est une affaire d’espionnage dont Moscou se serait rendue coupable. L’espionnage est sans doute une des plus anciennes activités humaines. C’est peut-être aussi en s’y adonnant que l’Homo Sapiens a vaincu son voisin Néandertalien ! Qui n’a jamais rêvé d’en savoir un peu plus sur ses voisins ? Ce qui est vrai pour beaucoup d’entre nous l’est encore plus pour les pays. Sans remonter aux deux guerres mondiales, on se rappelle les espions fiscaux de Giscard, qui tentaient de pénétrer dans nos banques, et le nôtre en Allemagne récemment. Snowden, le lanceur d’alertes, nous a aussi révélé l’intérêt de la NSA pour la Suisse. Nos chers voisins ne sont certainement pas en reste. La Suisse est un terrain de jeu prisé par les petits et les grands James Bond, amis ou adversaires. Les bars des hôtels genevois leur offrent le cadre feutré qu’ils apprécient. On fait généralement la distinction entre les opérations qui nous sont hostiles et les autres qui concernent des pays tiers, qui s’espionnent mutuellement depuis les toits de leurs représentations et qui nous intéressent moins. Dans ce domaine aussi il y a le petit sommet et le grand corps de l’iceberg. On ne surprend probablement que les maladroits la main dans le pot de confiture. Dans la famille du renseignement on n’est pas loin de penser que les plus actifs sont probablement les plus nombreux et ceux dont on parle le moins. La normalité en somme c’est l’espionnage, l’exception c’est de surprendre un coupable la main dans le sac.

Crise ou pas crise voilà la question !

Que faire lorsque cela se produit ? J’ai été souvent le témoin, en Suisse et un peu partout dans le monde, d’affaires qui se résolvaient la plupart du temps dans la discrétion. Parfois, des pays décident, pour des raisons qui leur sont propres, d’en faire un événement médiatique. Dans la plupart des cas, des expulsions mutuelles et symétriques de diplomates mettent un terme aux affaires les plus sérieuses. Après quelques mois, les contingents des deux représentations retrouvent leurs dotations habituelles, à l’abri des médias qui ont passé à autre chose. Expulser des diplomates offre à un gouvernement le double avantage d’apparaître dur et déterminé sans rien changer fondamentalement aux relations économiques et politiques avec le pays donné. Du gagnant-gagnant ! Mais cela ne se passe pas toujours ainsi !

Jouer des muscles

Un responsable politique peut être tenté, pour des raisons qui lui sont propres, généralement de politique intérieure, de reprendre la balle au bond et de surmédiatiser l’incident. Dans l’affaire qui nous occupe il est difficile de porter un jugement sur les vraies raisons de l’option de l’escalade verbale qui semble avoir été choisie du côté suisse. L’ennui, lorsque l’on joue les Rambos face à un acteur extérieur, à fortiori s’il s’agit d’une grande puissance, est de donner à l’incident une toute autre dimension. Le pays tiers peut surréagir à son tour et l’on risque d’entrer dans une spirale de crise dont la dynamique peut échapper aux deux acteurs. Concernant la Suisse, le passé, comme dans le cas libyen par exemple, devrait nous rappeler qu’il ne faut pas trop compter sur des amis et des alliés en cas de crises. Cela devrait nous dissuader de trop en rajouter et de trop bander nos petits muscles. Nous n’aurions que quelques adeptes de Bodybuilding à l’intérieur pour nous applaudir et personne à l’extérieur pour nous aider à affronter un adversaire de poids.

La discrétion de la bonne vieille diplomatie reste plus efficace et préférable aux dérisoires coups de menton médiatiques ! Dans la boîte à outils de notre ADN il n’y en a guère pour nous aider à bien gérer une crise internationale. Alors autant que possible évitons-les! 

Georges Martin

Georges Martin est né en 1952. Après avoir obtenu sa licence de Sciences politiques à l’Université de Lausanne, il est entré au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) en 1980. Les différentes étapes de sa carrière l’ont amené en Allemagne, New-York (ONU), Afrique du Sud, Israël, Canada, France, Indonésie, Kenya. Il fut Secrétaire d’Etat adjoint et Chargé de missions spéciales au DFAE.

Une réponse à “Un coup de fièvre helvético-russe

  1. Serait-ce le syndrome du Cassis de Dijon?
    (un de vos potes blogueurs m’a ignoré:) la moutarde lui est sans doute monté aux narines:)
    ou ptêt, ces posts sont lus? Dans les pas, pas si perdus?

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