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La mise hors service des centrales nucléaires suisses a commencé : ce qu’on sait faire et ce qu’on ne sait pas faire.

La multinationale bernoise BKW a commencé de démanteler une centrale nucléaire en Suisse. Mais comment démonter une installation hautement radioactive ? Qui en supportera les coûts ? Que sait-on faire et que doit-on encore apprendre à faire pour éviter une pollution radioactive, si tant est que l’on parvienne à trouver une solution satisfaisante pour les déchets pendant ce siècle ?

Le réacteur de la centrale nucléaire de Mühleberg a été conçu dans le courant des années soixante. Il a démarré en 1971 et a fonctionné jusqu’à fin 2019. La conception du réacteur était devenue obsolète vu l’évolution des standards de sécurité pour les nouveaux réacteurs. En un mot, BKW s’est rendu compte que la centrale de Mühleberg n’était plus rentable du fait du bas coût de l’électricité et de différents risques…

Et comme BKW est aussi et peut-être avant tout une entreprise d’ingénierie, elle a préféré acquérir les compétences qui lui manquaient pour démonter elle-même sa centrale. Elle pourra ensuite vendre son nouveau métier dans les nombreux pays où des réacteurs seront démantelés et où elle est active. Les deux réacteurs de Beznau, près de Zurich, sont plus anciens que celui de Mühleberg. Leur propriétaire devra les fermer d’ici quelques années et BKW ne manquera pas de lui offrir ses services. Les centrales nucléaires de Goesgen et de Leibstadt pourraient suivre. Le démantèlement de Mühleberg permet donc à BKW de se positionner habilement tout en réduisant les risques auxquels les autres propriétaires de centrale font face.

Le budget des deux étapes que constituent, premièrement, le démantèlement de la centrale et, secondement, l’entreposage des déchets radioactifs qu’elle a généré pendant les quelques 48 années de son fonctionnement avoisinerait les 3 milliards de francs (le réacteur a une puissance de 390 Mégawatts électriques). Le montant est considérable si on le compare à celui de la construction d’un nouveau réacteur comme l’EPR de 1650 Mégawatts électriques qu’Électricité de France construit à Flamanville. Le budget de sa construction était devisé à 3.3 milliards d’Euro en 2012, soit un ordre de grandeur similaire aux deux étapes que l’on vient de dire pour Mühleberg, alors que cette dernière est bien plus petite. Il est vrai que le budget de l’EPR de Flamanville été multiplié par six pour atteindre 19.1 milliards selon le dernier rapport de la Cours des comptes rendu public le 9 juillet 2021. Mais ce fait illustre seulement les risques financiers auxquels fait face le secteur du nucléaire.

Cela étant, plusieurs centrales nucléaires ont été démantelées avec un certain succès dans différents pays (France, Espagne, USA notamment) et d’autres sont en voie de l’être. Il y a plusieurs stratégies en concurrence et les surprises sont plutôt du côté des coûts et de l’effectivité des mesures de sécurité. Pour le dire autrement, on sait démanteler un réacteur même s’il y a beaucoup de choses à décider ; réussir la première étape de la neutralisation des radiations ionisantes sur le site du réacteur implique toutefois que les autorités de surveillance rendent des comptes au public et que certains citoyens aient à cœur de poser des questions qui soutiennent l’effort de sécurité.

Quant à la deuxième étape, elle vise à neutraliser les radiations ionisantes en construisant un site d’entreposage en couches géologiques profondes pour les déchets hautement radioactifs.1 L’Inspection fédérale de la sureté nucléaire évalue actuellement la sécurité technique des propositions de sites d’implantation et elle se veut rassurante.

Le problème est que tout se passe comme si, à la fin du processus, la Confédération allait nécessairement trouver le site qui réponde à tous les critères de sécurité pour les dizaines de dizaines de millénaires à venir. Or, il n’y a pas, dans le monde et à ce jour, de site d’entreposage des déchets hautement radioactifs ; et les dépôts profonds que la chimie a utilisés parce qu’initialement jugés sûrs se sont avérés catastrophiques. Creuser des galeries entraine des infiltrations d’eau. L’eau profite de fissures dues aux mouvements géologiques pour entrer dans les galeries et fait rouiller les fûts en acier inoxydable, puis remonte à la surface chargée de radioéléments à longue durée de vie. Polluer les eaux de cette façon constituerait un déni de responsabilité envers notre postérité.

Par voie de conséquence, la Confédération ne parviendra pas nécessairement à identifier les couches géologiques capables de maintenir leur statique et d’éviter des infiltrations après creusement, sur le long terme. Le risque de se focaliser sur une solution illusoire existe. Et vu que la Confédération s’est fortement engagée dans la voie de l’entreposage en couches géologiques profondes, il serait à craindre qu’elle s’entête dans une fausse solution, du fait de l’argent déjà dépensé. Entre parenthèse, le site d’entreposage profond que le gouvernement français tente d’imposer à Bure en région Grand-Est a été choisi pour des raisons politiques, du fait d’une opposition plus faible dans ce coin perdu qu’ailleurs.

Afin d’informer et d’impliquer le public sur le démantèlement des centrales nucléaires et la gestion des déchets hautement radioactifs, je signale que l’organisation Nouvelle Organisation Économique pour le 21e siècle (Noé21) organise un symposium à Berne le 30 septembre (avec traduction simultanée allemand-français). Les conférenciers aborderont en détail les aspects survolés ici et le public pourra poser les questions qui lui tiennent plus particulièrement à cœur, notamment sur la sécurité et sur les coûts pour les consommateurs, les opérateurs et les contribuables. Voir la présentation du symposium ici.

On pourra s’y rencontrer puisque je vais y assister.



1 J’omets de parler des déchets faiblement à moyennement radioactifs qui posent d’autres problèmes.

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