Je conversais l’autre jour avec un ami cinéaste dont je tairai le nom (mais qui est connu du rédacteur, forcément) à propos de l’inattendu succès médiatique de L’expérience Blocher de Jean-Stéphane Bron en France, où le film vient de sortir. Quelque peu mouché en Suisse, boudé par le public alémanique, ce formidable documentaire politique est devenu, en France, LE film à voir pour comprendre la Suisse suite à nos récentes votations… Mais pas seulement. La critique française lui reconnaît de très grandes qualités de cinéma et une approche pour le moins courageuse de cet homme politique. Difficile pour nos amis français d’imaginer une telle intimité avec une Marine Le Pen!
Bref. Alors que la France glose donc sur le génie de nos cinéastes helvétiques (Les grandes ondes de Lionel Baier, sorti une semaine auparavant, est lui aussi encensé par la même critique française), la Suisse frémit de la fièvre des Quartz (les Prix du cinéma suisse) qui seront remis le 21 mars au soir dans le très bobo Schiffbau de Zürich, au sein du rénové Kreis 5 de la cité, quartier industriel reconverti à la culture et aux bureaux, entre les bien nommées Escher-Wyss Platz et Turbinenplatz.
C’est marrant, d’ailleurs… A Genève, les Quartz 2013 ont été remis l’an dernier au Bâtiment des Forces Motrices, magnifique édifice construit sur l’eau du Rhône, ancienne usine hydraulique reconvertie en salle de concert et de spectacle. A Zürich, c’est dans un ancien atelier de construction de bateaux, proche de la Limmat, que se déroulera cette 16ème cérémonie. L’eau et l’industrie. Tout un symbole. Mais lequel? La métaphore d’une industrie partie à vau-l’eau? L’expression de la fonte des glaciers, marquant la lente descente du Quartz alpestre vers les rivières et les lacs? La réalité d’un cinéma suisse descendu des Bergfilme (films de montagne) pour s’approcher des villes? La métaphore d’un cinéma helvétique qui prend l’eau? Ou qui rêve de fuir vers la Méditerranée ou la mer du Nord (la Limmat se jette dans l’Aar qui se jette dans le Rhin)? Je n’en sais rien. Mais toujours est-il que la symbolique industrielle et aquatique de ce lieu offre un décor chargé d’histoire(s) à cette attribution des Quartz devenue, aujourd’hui, un des moments-clé dans la vie de la «branche» cinématographique helvétique.
Les grandes ondes du côté de la fiction (avec Left Foot, Right Foot de Germinal Rouaux) et L’expérience Blocher du côté du documentaire (avec L’escale de Kaveh Bakhtiari) sont deux des films romands nominés pour la récompense suprême. Tous deux ont l’air de ne pas trop croire qu’ils sont en mesure de battre les poids lourds de la fiction alémanique (Der Goalie bin ig de Sabine Boss, adapté du roman homonyme de Pedro Lenz) ou du documentaire (Vaters Garten – die Liebe meiner Eltern de Peter Liechti). Je ne tenterai pas de pronostic. Mais j’ose espérer que, dans le secret des urnes électroniques, les votants de l’Académie du Cinéma sauront reconnaître – comme la France semble le faire – que les films si internationaux de Jean-Stéphane Bron ou de Lionel Baier méritent bien une reconnaissance nationale.
Post-scriptum: pour ceux qui n’auraient pas vu tous les films candidats aux Quartz 2014, les Cinémas du Grütli proposent une semaine de rattrapage du 17 au 23 mars. Profitez-en! Pour en savoir plus, cliquez ici !