Balles tragiques

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J’emprunte à un élève de l’école d’art appliqué d’Angoulême – centre mondial de la BD – le titre de ce texte ; il le brandissait sur un panneau en hommage aux victimes de l’attentat contre Charlie-Hebdo. Ces deux mots évoquent bien sûr le fameux «Bal tragique à Colombey – 1 mort» mis à la une de Hara-Kiri hebdo à la mort de Charles de Gaulle, titre qui avait valu au journal son interdiction par le gouvernement – et donné naissance à Charlie Hebdo.

Étrange retournement des choses : c’est aujourd’hui le président Hollande et le premier ministre Valls qui célèbrent la liberté de la presse devant les locaux meurtris de Charlie Hebdo… Les anciens du journal «bête et méchant» doivent bien rigoler, là haut ! Les temps ont heureusement changé, croyait-on. On peut rire de (presque) tout, croyait-on. Mais il y en a certains qui ne pensent toujours pas la même chose. Et qui considèrent que comme l’Etat n’interdit plus la presse satirique et irrévérencieuse, il est temps que de nouvelles forces la fassent, les armes, la bêtise et la méchanceté à la main.

Je suis triste, aujourd’hui, car je me sentais doublement proche de Charlie-Hebdo. En tant que journaliste plaçant la liberté de la presse au dessus de tout. Et en tant qu’amateur d’illustrations et de bande dessinée, que j’ai chroniqué pour plusieurs journaux et radios plusieurs années durant… Certains de ces auteurs brutalement exécutés, je les ai croisés dans les festivals de BD, à Sierre ou à Angoulême, justement ; j’ai parlés de leur albums et je les ai même, parfois, interviewés. Imaginer Wolinski ou Cabu à terre, exécutés par balle, me semble parfaitement irréel, absurde, comme une farce terrible imaginée par le professeur Choron pour un de ses redoutables romans-photo.

Charb, Tignous, Wolinski, Bernard Maris ou Cabu étaient en guerre contre une seule chose, la connerie humaine. Ils se battaient la plume à la main pour que le droit de rire (donc de critiquer) continue d’exister. Aujourd’hui, c’est comme si on avait trucidé Zola quand il défendait Dreyfus. Donc il ne faut pas céder. Et continuer à faire comme eux, continuer avec courage de dessiner, d’écrire et de parler librement.

Je suis en colère.

Je suis Charlie.

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Le Suédois gagne à Venise

Depuis pas mal d’année, dans les Festivals, on avait l’impression que le cinéma suédois se limitait à deux noms. Ingmar Bergman et Lasse Hallström. C’était sans compter avec un réalisateur tout aussi suédois qui traçait tranquillement, lentement, dans l’ombre, son petit bonhomme de chemin et qui se retrouve aujourd’hui lauréat du Lion d’Or vénitien pour un film au titre impossible à retenir, même en français : Un pigeon assis sur une branche réfléchit à son existence. Son nom, Roy Andersson, né en 1943 à Göteborg.

Amateur de cadres précis, tirés au cordeau, de plans longs, d’une mise en scène d’une extrême rigueur et d’un humour noir très noir, Andersson signe ici un drame en 32 tableaux qui raconte sans doute un peu de la Suède d’aujourd’hui et beaucoup du monde occidental. L’histoire, en pointillé, de deux voyageurs de commerces qui cherchent à vendre quelques produits de farces et attrape qui n’intéressent personne, et de quelques autres figures toute aussi paumées les unes que les autres. Le film n’hésite pas à remonter le temps pour revenir à l’époque de la deuxième guerre mondiale ou même à la campagne ratée contre les Russes de Charles XII de Suède, dans un choc de temporalités du plus bel effet.

Son film n’est pas racontable. Je peux juste vous dire qu’il y a dedans une sorte de cocktail explosif composé (entre autre) de de Kaurismäki, Bergman, Tarkovski et Jarmusch, mâtiné d’humour belge et de froideur danoise. Impossible à raconter, je vous dis. Il faut le voir.

La Mafia et Berlusconi s’invitent à Venise

Deux films se sont rencontrés à Venise qui éclairent, sans le vouloir, le même moment clé de l’histoire récente de l’Italie, à savoir la naissance et l’ascension fulgurante du parti de Silvio Berlusconi, Forza Italia. Les deux films, chacun à sa manière, évoque celle qu’on a appelé «la trattativa» (la convention) passée entre les différentes mafias italiennes et Forza Italia afin de prendre le pouvoir en Italie et garantir à ces organisations criminelles un certain calme dans ses activités. Le premier film, La Trattativa, est un mélange de fiction et de documentaire signé par la cinéaste et humoriste Sabina Guzzanti qui retrace pas à pas, avec force documents et témoignages, toutes les étapes qui ont mené à cette convention. Le deuxième film, Belluscone, Una storia siciliana, est aussi une sorte de fiction documentaire passablement chaotique signée par le cinéaste Franco Maresco (ancien compère de Daniele Ciprí) qui part de cette «trattativa», un véritable secret de polichinelle, et dessine ce qui s’est passé ensuite… Introduisant notamment le personnage haut en couleur de Ciccio Mira, imprésario de chanteurs locaux dits «néomélodiques» mêlé à toutes les turpitudes politico-mafieuse de Palerme et environs.

En gros, pour faire simple, résumons la thèse des cinéastes. Au moment où la justice à fait tomber peu à peu tout l’édifice construit par la toute puissante Démocratie chrétienne, le Parti socialiste de Bettino Craxi, la loge P2, et toute ses ramifications d’extrême droite, le pays s’est retrouvé sans véritable pouvoir crédible à droite ou au centre-droit pour contrer l’hydre communiste… Et la Mafia, grande alliée de la Démocratie chrétienne, n’avait plus d’alliés dans le pouvoir politique. Pire : le maxi-procès initié par les juges du pool Anti-mafia et l’arrestation du parrain Toto Riina commencent  à gêner fortement l’organisation criminelle.

En 1992, comme pour marquer le territoire et écarter le danger, la Mafia exécute coup sur coup le juge Giovanni Falcone et son successeur Paolo Borsellino. Parallèlement, Cosa Nostra s’approche de petits partis régionalistes (des sortes de Lega du Sud) qui naissent un peu partout entre Naples et Catane. Parallèlement, un homme providentiel, le sénateur Marcello dell’Utri (depuis condamné à 7 ans de prison pour association mafieuse et, sauf erreur, en prison à Parme) a l’idée géniale de convaincre les mafias à s’allier avec un entrepreneur du Nord devenu manitou des médias privés, Silvio Berlusconi. Ce même Berlusconi qui s’est toujours refusé de dire ou il avait trouvé les dizaines de millions qui lui ont permis de bâtir son empire immobilier (Milano 2), mais on s’en doute… Donc voilà que se dessine cette «trattativa» qui va garantir à Silvio le soutien inconditionnel du Sud à son parti. Et c’est grâce à ces voix, notamment en Sicile, qu’il a pu très tôt prendre le pouvoir au parlement. Alors que, sur le plan de la justice, toutes les initiatives du groupe Anti-mafia de feu Falcone et Borsellino ont été soigneusement muselées.

Des films donc extrêmement instructifs… Qui font échos à un troisième film réalisé en 1976 par Elio Petri : Todo Modo, dont une version restaurée a été aussi présentée à la Mostra cette année. Un film qui met en scène la retraite «spirituelle» de la crème du pouvoir politique italien et décrit – à travers une série de meurtres au sein de la communauté politique – les combines et turpitudes de ce que l’on comprend comme l’alliance de la Démocratie chrétienne, de l’Eglise et de la Mafia afin d’éviter de devoir se rapprocher de l’ennemi de toujours, le Parti communiste, selon le projet dit de «compromis historique» souhaité par Berlinguer. Avec Marcello Mastroianni dans le rôle d’un Jésuite manipulateur, Michel Piccoli dans celui de Giulio Andreotti et Gian Maria Volontè dans celui d’Aldo Moro (impressionnant de vérité), ce film prophétique a malheureusement été, lui aussi, soigneusement muselé. Et il résonne aujourd’hui avec une force exceptionnelle.

Les Anglais à Venise (ou quand les Arméniens et Pasolini parlent anglais)

Pendant que l'anglais devient un problème dans l'enseignement de l'allemand dans notre pays, cette langue pose aussi problème au cinéma. A Venise, le grand film du cinéaste allemand d'origine turque Fatih Akin en est un parfait exemple. Film épique consacré au génocide arménien, The Cut raconte le destin singulier de Nazareth, un forgeron, pris dans le tourbillon de la guerre, des massacres, de la perte et du deuil. Le film se divise en deux partie: la pénible marche pour la survie de Nazareth jusqu’au jour où il apprend que ses deux filles ont survécu au génocide ; puis la quête à la recherche de ses deux filles survivantes, à travers le Liban, Cuba et le Dakota du Nord. Entre western et mélodrame, le film de y Fatih Akin pose un problème, majeur, pour une œuvre d'un poids historique et symbolique si grand : Le miraculé dans la tourmente, l'arménien Nazareth, passe son temps à parler… anglais! Les turcs parlent turc, les arabes arabe, les anglais… Anglais, et les arméniens aussi. Étrange, et particulièrement gênant pour un film qui se veut politiquement très correct.

Comme plusieurs journalistes ont écrit de façon critique à ce propos, le service de presse du film s’est fendu (bien après la projection) d’un communiqué pour dire que les parties en anglais du film seraient, bien sûr, doublées en arménien véritable lors de sa sortie. Mais pourquoi diable, alors, l’avoir ainsi présenté à la presse, au public et au jury officiel de Venise ?

Autre curiosité (linguistique, mais pas seulement), c’est le film de l’italo-américain Abel Ferrara sur Pasolini, avec Willem Dafoe dans le rôle titre. C’est vrai que Dafoe a la gueule de l’emploi et qu’il fait un Pasolini tout ce qu’il y a de crédible. Sauf que même s’il vit aujourd’hui à Rome il ne parle pas encore un parfait Italien. Résultat, dans le film, Ferrara choisit d’y aller franchement et de mélanger les langues. Dafoe parle Anglais, sauf quand il se met à parler italien avec un fort accent. Les acteurs italiens, eux, parlent Italien, sauf quand ils se mettent, pour une raison ou une autre, à parler anglais. Et Maria de Medeiros qui comme son nom l’indique est d’origine portugaise et incarne dans le film l’actrice italienne (grande amie du poète) Laura Betti, eh bien, elle parle anglais aussi. Ce mélange apparemment incohérent d’idiomes divers ouvre une sorte de monde parallèle qui nous rappelle en permanence que nous sommes dans une fiction qui cherche – d’ailleurs assez élégamment – à évoquer la mémoire du grand cinéaste, poète et écrivain Pier Paolo Pasolini. Dans cette mise à distance, on finit par se ficher des langues et on assume que ces superpositions apportent à leur tour une forme de poésie à ce film étonnant, concis, ramassé, qui semble passer trop vite – ce qui, je vous l’assure, est un miracle au cinéma au cours d’un festival comme celui-ci.

Retour de Venise

Pour cause de wifi déficient, je n’ai pu m’acquitter de ma tâche de blogueur depuis la 71ème Mostra internazionale dell’arte cinematografica di Venezia (en bref Festivaé de Venise). De retour en Suisse, je poste de suite les quelques messages que je voulais envoyer. Bonne lecture !

Do you know Henri Langlois?

Connaissez-vous Henri Langlois ? Cette question, je l’ai souvent posée à de jeunes (et parfois moins jeunes) amateurs de cinéma. Suisses, mais aussi français ou italiens. Et très rares étaient ceux qui me répondaient oui. Pour la plupart, c’était un acteur, un écrivain, ou même un parfait inconnu. Et pourtant, sans lui, une bonne partie du cinéma mondial n’existerait tout simplement plus. Henri Langlois, qui aurait eu 100 ans cette année, a été le fondateur de la Cinémathèque française en 1936, avec Georges Franju et Jean Mitry, et son directeur pendant près de 40 ans. Il a aussi activement contribué à la création de la Fédération internationale des Archives du Film (FIAF), en 1938. Et il a «fécondé» des institutions sœurs un peu partout en Europe, à l’image de la Cinémathèque suisse.

En effet, c’est lors d’une exposition intitulée Images du cinéma français au Palais de Rumine, à Lausanne, en 1945, que Freddy Buache rencontre Langlois, et entre en contact grâce à lui avec les animateurs du ciné-club de Lausanne Claude Emery (futur premier directeur de la Cinémathèque suisse) et René Favre (futur président). C’est encore Langlois qui aide les Lausannois à définir les statuts de la nouvelle association. C’est lui qui, en mettant la main sur l’épaule de Buache, de 10 ans son cadet, en l’adoubant en quelque sorte, va l’entraîner de le tourbillon de la conservation et de la mise en valeur du cinéma.

Ce que Langlois a fait à Lausanne, il l’a fait aussi ailleurs. En incitant à la naissance de nombreuses cinémathèques. En favorisant les voyages de copies. En copiant les copies afin d’en avoir des doubles. Sans lui, nombre de films auraient tout simplement disparu.

A Paris, où il montre les films qu’il retrouve dans la salle de la rue d’Ulm, puis au Palais de Chaillot, il forge les yeux de milliers de cinéphiles. Il leur fait découvrir le cinéma muet qu’on avait trop vite enterré avec pertes et profits. Il leur fait rencontrer des vedettes d’hier et d’aujourd’hui (Louise Brooks, Buster Keaton, Orson Welles, Gloria Swanson, Charlie Chaplin, Luis Buñuel, etc.).

Parmi ces cinéphiles, il forme de futurs critiques et de futurs cinéastes. La Nouvelle vague lui est profondément redevable ; et quand, début 68, le Ministre de la Culture André Malraux décide de le virer, les Truffaut, Godard, Chabrol sont au premier rang pour lancer la révolte. C’était avant mai 68, mais cette «Affaire Langlois» signalait les prémices de la prochaine rébellion. Langlois sera finalement réintégré (victoire !) mais avec beaucoup moins de moyens… Et mourra à la tâche, en 1977.

Mine de rien, de son vivant, et par la suite à travers ce qu'il a laissé dans l'âme de la Cinémathèque française (et de tant d'autres cinémathèques), il a fait école de cinéma auprès d'innombrables cinéastes d'aujourd'hui. Wim Wenders, Philippe Garrel ou Bernardo Bertolucci sont de ceux-là. On peut voir d'ailleurs sur le site de la Cinémathèque française quelques jolis hommages rendus par une dizaine de cinéastes contemporains.

Pourquoi parler de Langlois, là, maintenant ? A cause du centenaire, bien sûr, mais aussi en raison de l’exposition qui lui est consacrée par la Cinémathèque française, la nouvelle, à Bercy. Une expo sur son rapport à l’art, son rapport à la vie et à la culture en général, signée par un ancien directeur de l’institution, Dominique Païni. Dans les textes réunis dans le beau catalogue, on retrouve les signatures de Freddy Buache, l’ami fidèle, Rui Nogueira, autre fidèle qui arrive 10 ans plus tard, et François Albéra. Lundi dernier, enfin, la Cinémathèque a organisé une Journée Langlois où plusieurs orateurs sont venus parler de son importance pour la connaissance du cinéma, pour son rôle essentiel de conservateur et de passeur. Universitaires, historiens, cinéastes (comme ci-dessus André S. Labarthe, Benoît Jacquot et Olivier Assayas) ont rappelé sa mémoire. Y compris le soussigné qui, en compagnie de Nicola Mazzanti, directeur de la Cinémathèque royale de Belgique, de Christophe Dupin, administrateur de la FIAF et Laurent Cormier, Directeur du Patrimoine au CNC, a parlé de son importance à l’étranger, de son incroyable rayonnement international.

Tout cela pour dire que si vous avez l’occasion d’aller à Paris, ne manquez pas l’occasion de découvrir ce magnifique et flamboyant inconnu qui fut l’ami le plus extraordinaire que le cinéma ait connu. 

Cannes 2014: un prix qui lui va à merveille

Elle a remporté le Grand prix spécial du Jury avec son deuxième long métrage. C’est dire si la jeune réalisatrice italienne Alice Rohrwacher, 31 ans, a de l’avenir devant elle. Sœur de l'actrice Alba, véritable star du nouveau cinéma italien, elle donne aussi avec Le meraviglie (Les merveilles) une belle récompense à la Suisse. Car son film est coproduit par Tiziana Soudani et la société tessinoise Amka Films, tout comme l’avait été son premier long métrage, Corpo celeste, présenté il y a deux ans à la Quinzaine des réalisateurs.

Nul doute que Jane Campion, présidente du jury cannois, a su défendre le travail de la jeune réalisatrice. Par solidarité féminine, peut-être (et il y aurait de quoi, les palmarès cannois sont particulièrement misogynes). Mais surtout parce qu’il y a du Sweetie en Alice. Une même façon de créer un univers par petites touches sensibles et rugueuses. Une même manière de diriger les adolescentes. Et, quoi qu’il en soit, je ne peux que lui donner raison. J’espérais secrètement que ce film remporte une médaille. Car depuis que j’ai vu cette merveille, j’ai des étoiles dans les yeux.

De quoi ça parle, Le meraviglie? D’une famille d'apiculteurs travaillant encore à l'ancienne, en Toscane, dans une vieille ferme déglinguée tout comme la famille qui l’habite. Avec le père autoritaire, allemand écolo revenu des années de communautés et de révoltes marxistes. Avec la mère qui essaie tant bien que mal de préserver l'essentiel de son couple et de sa famille. Avec l'amie Cocò qui fait office de maman de substitution, peut-être ancienne relation du père. Et puis avec les quatre filles, emmenées par Gelsomina l'aînée, adolescente presque femme – dont le prénom évoque, évidemment, le personnage de Giulietta Masina dans La strada de Federico Fellini. Ils vivent tous dans une ancienne ferme plus ou moins retapée entre Toscane et Ombrie et survivent tant bien que mal entre les pesticides des voisins qui tuent les abeilles et les nouvelles normes sanitaires eurocompatibles qui imposent des règles plus qu’ésotériques.

Le meraviglie décrit un monde qui, à sa manière, appartient au rêve, une sorte d’Eden presque impossible à réaliser dans les contraintes sociales et économiques du monde moderne. Jusqu’au moment où Gelsomina confronte cet univers à un autre rêve, celui qu’incarne pour elle la télévision et son icône, une présentatrice incarnée (magnifiquement) par Monica Bellucci. La jeune fille inscrit en secret sa famille pour participer à un jeu télévisé censé valoriser les traditions agricoles locales qui proviennent – dit la télé – directement des Etrusques, les mystérieux ancêtres de ces terres de Toscane.

Bien évidemment, à la télé, la famille de Gelsomina fera pâle figure, ne sachant pas se vendre au contraire du fabricant de saucisses… Mais si elle ne gagne pas à ce jeu de dupes, elle affirme une voix discordante qui refuse cet univers de clinquantes apparences et préfère la rudesse de la nature. Comme la piqûre des abeilles qui vous donnent la magie du miel.

Critique d’un monde (l’Italie?) qui a perdu ses repères, ses valeurs, sa culture, au profit d’un mensonge médiatique et politique, le film tient aussi du parcours initiatique: Celui de Gelsomina qui se cherche une identité propre entre sa famille et le monde extérieur, dans le difficile passage à l’âge adulte. Au final, Le meraviglie est un conte tragique, magique et merveilleux; une fable écologique et humaniste sur ce tout ce que nous sommes en train de perdre si nous n’y prenons garde. 

Cannes 2014: Les chiens sont lâchés

Ce n'est pas une métaphore. Les chiens étaient littéralement lâchés sur l'écran du festival dans le film du hongrois Kornél Mundruczó White God (Dieu blanc), présenté à Un certain regard, où une meute de chiens bâtards échappés du chenil sème la terreur dans la ville, désertée de toute figure humaine. Dans cette cité qui pourrait être Budapest, il ne fait pas bon être bâtard. Seuls les chiens de race y ont droit d’exister. Et quand la fille du professeur revient à la maison avec un chien sans pedigree, il l’oblige à l’abandonner. Mais leur lien est trop fort. Elle part à sa recherche. Et pendant ce temps son chien, battu, méprisé, condamné, va littéralement provoquer la révolte des siens…

On l’a compris, White Dog parle des chiens pour mieux parler des hommes. De leur violence. De leur cruauté. De leur fascisme. Il parle aussi, bien sûr, de la Hongrie d’aujourd’hui. Mais évoque bien des réalités d’ailleurs. C’est un des premiers films que j’aie vu, cette année, au Festival. Mais il reste en mémoire. Les scènes de poursuite avec des centaines de bêtes lancées dans la ville sont parmi les plus beaux moments de cinéma vu sur la Croisette.

C'est encore un chien gris qui sert de guide à l'étrange voyage initiatique de l’Argentin Lisandro Alonso, Jauja, lui aussi présenté aussi à Un certain regard. Apparu de nulle part, dans les paysages lunaires de la Patagonie, ce chien emmène un colonel danois qui a perdu sa fille dans la nature. Il attend patiemment que le colonel le suive et l’accompagne jusqu’aux fantômes qu’il devait sans doute rencontrer. A la fois contemplatif et parfaitement allumé, le film de Lisandro Alonso joue sur la confrontation entre l’espace et son acteur, Viggo Mortensen, qui a accepté pour le coup de s’investir (et de coproduire) un vrai film d’auteur. Même si le résultat s’avère un peu trop posé, mis à distance du spectateur, il reste lui aussi un des plus beaux moments de cinéma vu à Cannes ces derniers jours.

Des chiens, toujours, il y en avait l’autre soir sur la rue d'Antibes, les (modestes) Champs Elysées cannois. C’était un autre type de meute. Devant l'entrée du cinéma Star, Un attroupement inouï de journalistes, photographes et badauds en tous genre se poussaient des coudes pour attendre la sortie du film Welcome to New York, le film sulfureux de Abel Ferrara sur l'affaire DSK. Exclu de la sélection officielle, le film a été projeté dans le cadre du marché, simultanément dans deux salles parallèles.

Mais les stars du film (et notamment l’interprète principal Gérard Depardieu) sont sortis par derrière, à côté du Petit Majestic, un bistrot très prisé par les festivaliers en fin de soirée. La meute a alors débarqué, bruyante, hurlante, coincée entre les limousines venues embarquer la troupe. Personne ne se souciait de Ferrara, rigolant du foutoir ainsi créé.

Le film n’était pas en sélection officielle. Mais tout le monde a parlé de lui. Moi compris.

Les Quartz du repli sur soi

La cérémonie de remise des Prix du Cinéma suisse 2014, qui s’est tenue vendredi dernier au Schiffbau de Zürich, dessinait à son corps défendant une image terrible de nous-même. En effet, alors que concourait pour le Quartz du meilleur film de fiction la comédie acide de Lionel Baier Les grandes ondes (à l’ouest), œuvre qui regarde la Suisse d’en haut et de côté, c’est finalement un film parlé en dialecte bernois, adapté d’un roman écrit en bärndütsch par Pedro Lenz, qui a remporté les Quartz de meilleur film, meilleur scénario, meilleur acteur et meilleure musique. Le film de Lionel Baier jetait un regard à la fois amusé et satirique sur nous-même à travers sa bande de journalistes branquignols de feu la Radio Suisse Romande lâché plus que par hasard dans le Portugal de la révolution des Œillets. Der Goalie bin Ig (que l’on pourrait traduire par Le gardien de but, c’est moi) est un récit aigre-doux sur un loser magnifique, ancien drogué passé par la case prison qui essaie tant bien que mal de se reconstruire. Comédie politique d’un côté, mélodrame humain de l’autre, ces deux images de la Suisse se complètent et se répondent dans la réalité. Mais l’écrasante victoire du film bernois signé par Sabine Boss offrait l’autre soir une image bien triste de notre futur destin cinématographique.

Car coupé de l’Europe, coupé des soutiens de Media, notre cinéma va être contraint de se tourner toujours plus sur lui même, replié, comme jadis, dans notre réduit alpin. Personne ou presque n’a, durant la cérémonie, parlé de ce qui nous est tombé dessus le 9 février. Pourtant l’un des films nominés pour les Quartz du meilleur film documentaire, l’exceptionnelle Expérience Blocher de Jean-Stéphane Bron, nous l’avait parfaitement expliqué: notre modèle à venir, c’est Anker, c’est notre histoire, c’est ça que nous devons raconter, avec nos sous, et tant pis si les autres, dehors, ça ne les intéresse pas. Entre parenthèses, Blocher l’a même dit (aux étudiants, pas aux cinéastes). Il est prêt à payer si certains – sincères – ont des problèmes pour étudier à l’étranger. On pourrait lui demander s’il est prêt à compenser le manque que cela va provoquer pour le cinéma.

Mais je m’égare. Revenons aux Quartz. Et à mon sentiment de malaise. Alors que Les grandes ondes et L’Expérience Blocher sont sortis en France accompagnés d’une critique dithyrambique et d’une belle fréquentation publique, c’est un film dont le succès – bien réel – décroit plus on s’éloigne de Berne qui remporte les suffrages des votants de l’Académie du Cinéma suisse. Comme si nous anticipions déjà les années sombres qui nous attendent, à (re)faire des Heimatfilms sans véritable espoir d’exportation. A nous regarder le nombril pour voir combien de belles histoires peuvent en sortir.

 

PS: Le roman de Pedro Lenz Der Goalie bin Ig vient tout juste d’être traduit en français et sera mis en vente ces jours prochains par les Editions d’en bas sous le titre Faut quitter Schummertal !. A lire impérativement avant la sortie du film.  

PS 2: Signalons aussi que si L’escale de Kaveh Bakhtiari est lui aussi rentré bredouille, le film de Germinal Roaux Left Foot, Right Foot sauve l’honneur romand en enlevant deux récompenses, celle du meilleur second rôle pour Dimitri Stapfer et de la meilleure photographie pour Denis Jutzeler – qui avait notamment signé les images du Vol spécial de Fernand Melgar.

 

Il y a FIFF et FIFF!

Mon collègue blogueur Thierry Jobin a du s’en arracher yeux. Que l’on confonde son Festival international de Films de Fribourg avec le Festival du Film Francophone de Namur (en Belgique), quand même, ça ne se fait pas, même une fois. C’est pourtant ce qui est arrivé au site mobile et au site tout court du quotidien gratuit 20 minutes qui, pendant près de 36 heures, a utilisé l’affiche du 28ème festival international du Film francophone de Namur (au demeurant fort sympathique festival où les Suisses ont souvent reçu de belles récompense) pour illustrer un article consacré au nouveau programme du festival fribourgeois (qui se déroulera du 29 mars au 5 avril et qu’il ne faut pas rater). Il faut dire qu’en plus, question image, le design belge n’était pas des plus réussi… A moins que ce lapsus rédactionnel n’ait voulu réparer l’injustice qui frappera aussi les festivals suisses qui, sans l’aide de l’Europe, devront faire face à de plus grandes difficultés de financement et de contacts. Fribourg-sur-Sambre-et-Meuse, ça pourrait se faire, une fois?