Balles tragiques

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J’emprunte à un élève de l’école d’art appliqué d’Angoulême – centre mondial de la BD – le titre de ce texte ; il le brandissait sur un panneau en hommage aux victimes de l’attentat contre Charlie-Hebdo. Ces deux mots évoquent bien sûr le fameux «Bal tragique à Colombey – 1 mort» mis à la une de Hara-Kiri hebdo à la mort de Charles de Gaulle, titre qui avait valu au journal son interdiction par le gouvernement – et donné naissance à Charlie Hebdo.

Étrange retournement des choses : c’est aujourd’hui le président Hollande et le premier ministre Valls qui célèbrent la liberté de la presse devant les locaux meurtris de Charlie Hebdo… Les anciens du journal «bête et méchant» doivent bien rigoler, là haut ! Les temps ont heureusement changé, croyait-on. On peut rire de (presque) tout, croyait-on. Mais il y en a certains qui ne pensent toujours pas la même chose. Et qui considèrent que comme l’Etat n’interdit plus la presse satirique et irrévérencieuse, il est temps que de nouvelles forces la fassent, les armes, la bêtise et la méchanceté à la main.

Je suis triste, aujourd’hui, car je me sentais doublement proche de Charlie-Hebdo. En tant que journaliste plaçant la liberté de la presse au dessus de tout. Et en tant qu’amateur d’illustrations et de bande dessinée, que j’ai chroniqué pour plusieurs journaux et radios plusieurs années durant… Certains de ces auteurs brutalement exécutés, je les ai croisés dans les festivals de BD, à Sierre ou à Angoulême, justement ; j’ai parlés de leur albums et je les ai même, parfois, interviewés. Imaginer Wolinski ou Cabu à terre, exécutés par balle, me semble parfaitement irréel, absurde, comme une farce terrible imaginée par le professeur Choron pour un de ses redoutables romans-photo.

Charb, Tignous, Wolinski, Bernard Maris ou Cabu étaient en guerre contre une seule chose, la connerie humaine. Ils se battaient la plume à la main pour que le droit de rire (donc de critiquer) continue d’exister. Aujourd’hui, c’est comme si on avait trucidé Zola quand il défendait Dreyfus. Donc il ne faut pas céder. Et continuer à faire comme eux, continuer avec courage de dessiner, d’écrire et de parler librement.

Je suis en colère.

Je suis Charlie.

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Frédéric Maire

Frédéric Maire est directeur de la Cinémathèque suisse. Journaliste et réalisateur, il a co-fondé le club de cinéma pour enfants La Lanterne Magique en 1992 et dirigé le Festival international du Film de Locarno de 2005 à 2009.