Les Quartz du repli sur soi

La cérémonie de remise des Prix du Cinéma suisse 2014, qui s’est tenue vendredi dernier au Schiffbau de Zürich, dessinait à son corps défendant une image terrible de nous-même. En effet, alors que concourait pour le Quartz du meilleur film de fiction la comédie acide de Lionel Baier Les grandes ondes (à l’ouest), œuvre qui regarde la Suisse d’en haut et de côté, c’est finalement un film parlé en dialecte bernois, adapté d’un roman écrit en bärndütsch par Pedro Lenz, qui a remporté les Quartz de meilleur film, meilleur scénario, meilleur acteur et meilleure musique. Le film de Lionel Baier jetait un regard à la fois amusé et satirique sur nous-même à travers sa bande de journalistes branquignols de feu la Radio Suisse Romande lâché plus que par hasard dans le Portugal de la révolution des Œillets. Der Goalie bin Ig (que l’on pourrait traduire par Le gardien de but, c’est moi) est un récit aigre-doux sur un loser magnifique, ancien drogué passé par la case prison qui essaie tant bien que mal de se reconstruire. Comédie politique d’un côté, mélodrame humain de l’autre, ces deux images de la Suisse se complètent et se répondent dans la réalité. Mais l’écrasante victoire du film bernois signé par Sabine Boss offrait l’autre soir une image bien triste de notre futur destin cinématographique.

Car coupé de l’Europe, coupé des soutiens de Media, notre cinéma va être contraint de se tourner toujours plus sur lui même, replié, comme jadis, dans notre réduit alpin. Personne ou presque n’a, durant la cérémonie, parlé de ce qui nous est tombé dessus le 9 février. Pourtant l’un des films nominés pour les Quartz du meilleur film documentaire, l’exceptionnelle Expérience Blocher de Jean-Stéphane Bron, nous l’avait parfaitement expliqué: notre modèle à venir, c’est Anker, c’est notre histoire, c’est ça que nous devons raconter, avec nos sous, et tant pis si les autres, dehors, ça ne les intéresse pas. Entre parenthèses, Blocher l’a même dit (aux étudiants, pas aux cinéastes). Il est prêt à payer si certains – sincères – ont des problèmes pour étudier à l’étranger. On pourrait lui demander s’il est prêt à compenser le manque que cela va provoquer pour le cinéma.

Mais je m’égare. Revenons aux Quartz. Et à mon sentiment de malaise. Alors que Les grandes ondes et L’Expérience Blocher sont sortis en France accompagnés d’une critique dithyrambique et d’une belle fréquentation publique, c’est un film dont le succès – bien réel – décroit plus on s’éloigne de Berne qui remporte les suffrages des votants de l’Académie du Cinéma suisse. Comme si nous anticipions déjà les années sombres qui nous attendent, à (re)faire des Heimatfilms sans véritable espoir d’exportation. A nous regarder le nombril pour voir combien de belles histoires peuvent en sortir.

 

PS: Le roman de Pedro Lenz Der Goalie bin Ig vient tout juste d’être traduit en français et sera mis en vente ces jours prochains par les Editions d’en bas sous le titre Faut quitter Schummertal !. A lire impérativement avant la sortie du film.  

PS 2: Signalons aussi que si L’escale de Kaveh Bakhtiari est lui aussi rentré bredouille, le film de Germinal Roaux Left Foot, Right Foot sauve l’honneur romand en enlevant deux récompenses, celle du meilleur second rôle pour Dimitri Stapfer et de la meilleure photographie pour Denis Jutzeler – qui avait notamment signé les images du Vol spécial de Fernand Melgar.

 

Frédéric Maire

Frédéric Maire est directeur de la Cinémathèque suisse. Journaliste et réalisateur, il a co-fondé le club de cinéma pour enfants La Lanterne Magique en 1992 et dirigé le Festival international du Film de Locarno de 2005 à 2009.