Maintien de l’ordre (en France) : à quel prix ?

Tel est le titre du rapport de l’ACAT-France sur le maintien de l’ordre des polices françaises (Police nationale – Gendarmerie nationale).

Un rapport accablant

Plus d’un an d’enquête, d’entretiens avec des victimes, des expert-e-s, des policiers et des représentants de la défense du Droit et des autorités sur 200 pages documentées, avec tableaux, schémas, explications des mises en oeuvre de la force et des sommations, chronologie historique, planches techniques, descriptions des armes et des équipements, chiffres et lexiques. Un travail fouillé et rigoureux.

Des faits vérifiés. La psychologue d’urgence, Noelia Miguel (Aradas) et moi-même, en avons été témoins.

La démonstration est éloquente, imparable. Ce rapport fera date, les aveux abondent dans des médias objectifs et d’utilité publique.

Vous vous en doutez, il en ressort l’impérative nécessité d’une nouvelle doctrine et la composition de formations pluridisciplinaires évolutives à l’exemple de ce qui se fait dans d’autres pays – voir dernier paragraphe du présent blog.

Résumé du rapport Maintien de l’ordre : à quel prix ?

Rapport Maintien de l’ordre : à quel prix ? pdf complet 

(Photographie de Réforme – Hebdomadaire protestant d’actualité – 11 mars 2020)

L’article publié le 11 mars 2020 dans l’hebdomadaire français Réforme

Selon l’ACAT, bien loin de concourir à apaiser les tensions et à maintenir l’ordre, le recours systématique aux armes de force intermédiaire est susceptible de générer une escalade de la violence.

Le maintien de l’ordre actuel en France est dysfonctionnel, de l’avis même des spécialistes. Des unités non spécialisées sont mobilisées ; inadéquates, mal renseignées, mal commandées et non formées. Elles ont régulièrement recours à des actions disproportionnées qui débordent alors qu’elles auraient pu être évitées (dès la page 72 du rapport).

Un autre maintien de l’ordre est possible.

28 recommandations

… parmi celles-ci :

Nommer des observateurs de manifestations

Garantir la présence de journalistes et le droit de filmer pour tous (p.103)

Une meilleur identification des agents des forces de l’ordre

Juger et décider de véritables sanctions

et … créer des organes de contrôle indépendants.

De la nécessité de créer des organismes de contrôle indépendants

Les défauts des polices françaises – et des polices suisses s’agissant de l’absence d’organes indépendants de contrôle -, à commencer par celui de ne pas devoir rendre des comptes à des organes neutres, apolitisés et indépendants, sèment le doute sur notre modèle démocratique. Ce qui, en soi, est très préjudiciable. Quelle exemplarité ? Quelle pédagogie ? Le bien-fondé de telles polices, comme de toute autorité, peut se résumer à la séparation des pouvoirs. Il n’existe pas de polices de Droit, civiles ou militaires, qui puissent exercer sans remettre et déposer enquêtes, preuves et rendus d’auditions à l’autorité judiciaire.

Un puissant aveu d’échec

Comment se fait-il que pour elles-mêmes, les polices, dans leurs propres gestions des affaires internes, ne sachent, ni ne puissent opérer ce qui les fondent, respecter ce qu’elles proclament ? À savoir, garantir un traitement séparé de l’analyse et du jugement de ses éventuels dysfonctionnements ou irrégularités. Font-elles parties de la solution ou du problème ? Cette question supplante toutes les autres recommandations du rapport en question.

S’inspirer des pratiques d’autres pays

Dans plusieurs pays des maintiens de l’ordre ratés ont engendrés au fil du temps des refontes innovantes et salutaires. Le rapport de l’ACAT donne des exemples concrets de défaillances (p. 140) et dresse le portrait des pays qui ont réformé les gouvernances de leurs polices. Parmi ceux-ci, la Suède avec ses officiers de dialogue (p. 151) mais aussi les “peace unit” aux Pays-Bas ou les “Police liaison officers” en Angleterre. En Allemagne, sont également déployées des unités de dialogue, lors des manifestations ou rencontres de football. L’objectif de ces unités est de faire en sorte que les actions de la police soient systématiquement expliquées, afin d’être correctement comprises et interprétées par les manifestants. Quant à l’Irlande du Nord (p. 156), un expert de l’OSCE explique à l’ACAT : ” La police est passée d’une logique de confrontation avec un usage important de la force vers un maintien de l’ordre de meilleure qualité, avec un vrai commandement, une bonne formation, l’application des principes des droits de l’homme. “

 

Polices suisses, chiffres

La Suisse uniforme n’existe pas. Ce sont 26 États qui produisent la multiplicité confédérale. Ses polices civiles en sont le reflet.

(2 minutes de lecture – le masculin est compris dans le texte)

La diversité de nos 26 États – dont six demi-cantons, quatre Républiques, deux cantons laïcs – est apparente, elle se dessine partout… sur les plaques d’immatriculation, les bornes physiques, les écussons des façades de bâtiments officiels, dans les communes, les préfectures, les chefs-lieux. Cette diversité apparaît également dans les conventions, cohabitations, accords et concordats. Le tout forgé par le fameux consensus de notre démocratie semi-directe ; une lente fabrication mais redoutablement efficiente. Cette composition savante est orchestrée aux échelons des communes, régions ou préfectures, cantons et finalement à l’échelon fédéral. Une confédération sans capitale mais dotée d’une ville régente dite fédérale.

330 corporations de polices suisses ,

… de la plus petite (3 agents min.) à la plus grande * (3’500 agents), régulent le service et la protection du citoyen, résident et visiteur. À celles-ci, s’ajoute la police militaire et son pouvoir civil limité au contrôle de certaines règles de la circulation routière, y compris en temps de paix. Parmi ces 330 polices, on compte une police fédérale de coordination et de traitement des grandes criminalités, une autre police fédérale… des transports, les polices thématiques actives sur le marché du travail, de l’immigration, de la protection de la faune et de l’environnement etc., les polices territoriales (municipales, régionales et cantonales), leurs organismes auxiliaires composés d’agents de sécurité publique aux diverses prérogatives, les polices administratives, etc. Un référentiel métier commun, en vigueur depuis 2004, délivre un Brevet fédéral aux agents reconnus et formés dans un des 6 centres initiaux et une quarantaine de centres de perfectionnement. On dénombre près de 20’000 agents de police assermentés en exercice sur tout le territoire national ; la plus forte police en effectif est municipale (Zurich) *, la plus étendue sur le plan géographique est cantonale et bilingue (Berne).

Autant de polices que de sensibilités socioculturelles, une large variété de profils, de commandant-e-s, de personnalités, nombre de dispositions légales et règlements, que de besoins. Ce vaste tissu policier civil est très différent de celui de nos voisins français **, par exemple, mais présente de nombreuses similitudes avec celui qui articule les centaines de polices implantées dans les cinquante États-Unis d’Amérique.

Un maillage profitable…

Plus le temps s’écoule plus je discerne les avantages de cette pluralité policière helvétique dans le travail de prévention et de résolution des criminalités. Cette composition organique peut paraître, de prime abord, complexe et lourde à coordonner, mais, il apparaît dans les faits, tout au contraire, que ces polices se concurrencent sainement, en guise d’ingéniosité, se bousculent dans leurs approches sociologiques, s’équilibrent dans leurs échanges. Une commissaire tousse un peu fort ici, qu’une autre apaise les ardeurs corporatives là-bas.

… contre l’isolement corporatif.

Enfin et surtout, les populations bénéficiaires ont la possibilité d’interagir étroitement avec leurs organisations policières. Ce contrôle démocratique est indispensable et, in fine, réconfortant pour les uns comme les autres. Cette forme d’ingérence de proximité empêche le pire vice pouvant se produire en police : l’isolement institutionnel consanguin. C’est de cet isolement que naissent les agressivités improductives ainsi que les fatigues et désillusions qui touchent plusieurs policiers en exercice.

** Les deux polices françaises, que sont la Police Nationale dans les grandes villes et la Gendarmerie Nationale dans les régions rurales, sont régies sous formes pyramidales et centralisées. Les polices municipales viennent compléter ce panorama à l’échelle locale.

 

Le suréquipement affaiblit la police

On ne le répétera jamais assez, le policier civil est policier parce qu’il émane de l’État de Droit en sa représentativité. Représentation qu’il arbore sur son épaule sous forme d’écusson.

(2 minutes de lecture – le féminin est compris dans le texte)

(Photo Boston Dynamics)

L’ultime mission du policier est de soutenir la personne en situation de vulnérabilité afin de garder la paix publique.

Le soutien inconditionnel et mutuel du policier s’inscrit dans le préambule de notre Constitution au profit de laquelle il prête serment *.

… comme une police d’assurance…

Cette même notion est aussi lisible dans le contrat de nos assurances ou mutualités. Elle s’intitule “Police d’assurance”. Toutes celles et ceux qui sont en santé cotisent en faveur de celle ou celui qui trébuche. Nul étant à l’abri, la police, tout comme les multiples services préhospitaliers d’urgences et de défense civile et incendie méritent notre plébiscite.

En raison de ce soutien au plus faible d’entre nous, au fil des siècles, nous avons accepté de confier deux pouvoirs exclusifs et exceptionnels au policier d’État civil qu’il soit communal, régional, cantonal ou fédéral. En dehors de ces deux attributs, la police n’est pas police et ne profite en rien à l’évolution de nos vies.

Les pouvoirs exclusifs et exceptionnels du policier

1. Le pouvoir de coercition maîtrisé par la proportionnalité.

Ce premier pouvoir, le plus connu, est progressivement supplanté par les moyens technologiques et robotiques. L’évolution de ce premier pouvoir dépend de plus en plus de firmes high-tech (fournisseurs ou sous-traitants) et de leurs ingénieurs spécialisés.

Dans ce premier cas, le policier est soumis aux savoirs d’entreprises technologiques.

2. Le pouvoir discrétionnaire maîtrisé par la non discrimination négative.

Ce deuxième pouvoir, moins connu mais plus important, ne peut qu’être traité par le discernement humain du policier. Il dépend des compétences sociales de l’agent.

Dans ce deuxième cas, le policier préserve ses savoirs intrinsèques.

Voir blog qui explique ces deux pouvoirs en détail.

Que penser des chiens-robots que testent actuellement la Police de l’État du Massachusetts ?

(Voir article de Anouch Seydtaghia pour Le Temps du 1er décembre 2019)

Incontestablement, les polices d’État de Droit méritent de bénéficier des meilleurs équipements technologiques au monde. Le problème apparaît lorsque l’un de ces équipements réduit la capacité de discernement du policier assermenté. Si tel est le cas, nous (résidents et citoyens bénéficiaires) perdons le contrôle démocratique de nos polices déléguées.

Quand est-ce que les pouvoirs du policier risquent de lui échapper ?

Quand les équipements se substituent aux capacités du policier à exercer ses deux pouvoirs.

(Photo d’un policier portant une caméra sur son thorax)

Exemples

L’équipement d’extension

Une arme, telle que le pistolet à impulsion électrique (taser) ou le fusil d’assaut restent en possession manuelle et directe du policier. Elles n’échappent donc pas au discernement ni à la maîtrise intelligente du policier. Il s’agit d’équipements d’extension du pouvoir de coercition policier.

L’équipement de substitution

Contrairement au chien-robot ou à certains drones ou encore aux caméras sur corps (bodycams) qui se distancient voire échappent du-au contrôle direct de l’humain policier, ces outils technologiques risquent de se substituer aux maîtrises de l’agent de police. Cette perte éventuelle de maîtrise s’apparente à un équipement de substitution. C’est dans cette substitution que réside un certain nombre de dangers pour notre démocratie.

Les policiers, les premiers, doivent veiller au grain car leur métier pourrait bien être soldé par de grandes firmes technologiques.

* La devise du policier est claire, limpide, universelle : servir & protéger.

(93ème blog Le Temps – L’observatoire des polices au 2 décembre 2019 – Frédéric Maillard)

Le ciel s’assombrit

Il en est un de plus, parmi les experts externes aux polices, qui est évincé en raison de son opinion. Dans l’exemple de Sebastian Roché, décrit ci-après, nous nous situons en France, où les critiques du sociologue de police à l’encontre de certaines pratiques policières – jugées trop violentes – lors de manifestations des gilets jaunes lui coûte sa place d’enseignant.

(3 minutes de lecture – le féminin est compris)

La critique est muselée

L’éviction du chercheur et formateur de polices, Sebastian Roché

Le sociologue français Sebastian Roché a été écarté par l’École nationale supérieure de la police, où il intervenait en tant qu’enseignant depuis 1993. Spécialiste des rapports “police et population” et chercheur au CNRS, il a osé critiquer. (Voir lien actif à france culture du 29 août 2019)

Tel est pourtant ce qu’une démocratie vivace peut espérer de mieux de la part d’un intervenant extérieur. “C’est en France, avec son pouvoir princier, cela ne saurait intervenir en Suisse fédérale…” dixit mon entourage professionnel policier, pour me rassurer… Mais, il y a aussi cet officier, fervent défenseur d’un management plus ouvert : “Tu vois Frédéric, ce n’est pas que chez nous !!

Un intervenant extérieur, ça sert à quoi ?

En Suisse, 2003, lors de l’introduction progressive du Brevet fédéral de policier, les principales commissions de travail ainsi que le Conseil fédéral (par l’entremise de Joseph Deiss) insistent pour qu’au moins la moitié des formateurs comportementaux (branches sociales, éthique, Droits de l’Homme, psychologie, etc.) dudit Brevet provienne de l’extérieur des corporations. Il est explicitement souhaité que ces experts externes et vacataires puissent critiquer le système policier conventionnel – système appelé à une réforme urgente et salutaire.

La critique est le moteur de l’innovation

C’est sous cette recommandation que j’ai personnellement été engagé à la Police cantonale genevoise – institution pilote, à l’époque, pour le Module éthique et droits humains – par trois représentants, de la Police judiciaire, de la Gendarmerie et de la Police de sécurité internationale. Mes interventions et mes responsabilités ont perduré – par miracle ? – neuf années durant. Nombre de mes ex-partenaires internes à cette police me rappellent aujourd’hui encore combien cette indépendance a été indispensable pour “…bouger nos scléroses…”. En réalité, j’ai failli l’éjection plus d’une fois mais mon indépendance inconditionnelle était garantie par Monsieur le Conseiller exécutif cantonal David Hiler, grand homme d’État, persévérant et brillant comme tout, faisant l’unanimité. Le Conseiller d’État Hiler a toujours été davantage soucieux de la démocratie participative qu’il servait de toutes ses forces plutôt que de sa carrière personnelle. Les dents grinçaient à l’état-major de la Polcantgenève après qu’il ait signé la préface de mon premier essai “Police. état de crise ? Une réforme nécessaire” publié en 2009 aux éditions scientifiques de la Société d’études économiques et sociales *.

Un problème politique

La liberté d’expression est garantie** sous nos latitudes mais la marge de tolérance est politique. Monsieur Roché précise aussi qu’il s’agit avant tout d’une “décision politique“. Interrogé par l’Agence France-Presse, il rajoute que “cela montre la difficulté de la police à s’ouvrir à la société à un moment où elle se recroqueville de plus en plus sur elle-même, à son détriment”. Le sociologue a également critiqué le manque d’indépendance de l’IGPN (la police des polices).

De grands dommages démocratiques

Des inspecteurs de police examinant les comportements de leurs pairs (hic ! Une telle connivence serait risible dans la majorité des autres champs professionnels ou domaines d’activités), des formateurs policiers exclusivement issus des rangs policiers et des chercheurs nourris et encadrés par leurs propres sujets d’études laissent présager de piètres matchs nuls. Desquels, acteurs et spectateurs, si tel devrait être le tableau, s’en détourneraient pour abandonner le jeu démocratique aux spectres des plus sombres et dangereuses pages de notre histoire européenne.

* Co-écrit avec Yves-Patrick Delachaux. Postface du regretté chercheur et chef de police judiciaire, feu Olivier Guéniat. La Société d’études économiques et sociales a été créée en 1943, durant la deuxième guerre mondiale, afin de réfléchir et résister malgré le contexte géopolitique extrêmement pessimiste.

** Je fais, ici, naturellement exception des injures et atteintes à l’honneur en lien aux dispositions légales.

Diversité policière

Le Conseil d’État fribourgeois veut renforcer le pouvoir de police de ses inspecteurs du travail.

Les inspecteurs du travail fribourgeois seront promus agents de police

Ces derniers seront promus agents de police judiciaire et verront leurs pouvoirs augmentés (voir RTS du 15 juillet 2019).

Il s’agit là d’une excellente décision.

L’attribution de ces prérogatives supplémentaires accordée aux inspecteurs du travail du canton de Fribourg est la démonstration même du développement pluridisciplinaire des autorités de polices, toutes formes confondues. À l’avenir, nos polices se découvriront avec des facettes toujours plus larges et multidisciplinaires. Condition “sine qua non” pour défier les réalités sociétales et, dans le cas précité, le marché du travail, toujours plus complexes.

Avantages

Cette diversité renforce le rayon d’action de nos polices déjà passablement éclaté en Suisse (environ 330 corporations, 80 principales). Une plus grande variété de postures et de fonctions équilibre les rapports de force, élargit les point de vue, laisse place à la critique et aux opinions contradictoires pour de meilleures résolutions ; et multiplie ainsi l’ingéniosité des réflexions et des actions.

Inconvénient

Augmenter les pouvoirs du côté policier c’est prendre le risque de diminuer les moyens de défense du côté des bénéficiaires notamment des personnes interpellées.

Résultante

Plus nos polices de Droit civil disposent de pouvoirs et de rayonnement d’action, plus elles ont – et auront – besoin de moyens de régulation et d’arbitrage ainsi que d’organes de contrôle neutres et indépendants.

Deux polices, deux exemples

Je reviendrai à la rentrée sur deux initiatives exemplaires produites par la Police Région Morges et la Police Municipale de Crans-Montana. Ces deux polices comptent parmi les plus entrepreneuriales du pays. Toutes deux ont imaginé des outils de médiation ; l’une pour la régulation et l’appréciation la plus objective possible des contraventions et l’autre pour sa gestion du stationnement en zone de forte densité touristique.

Ces deux polices démontrent que l’augmentation des pouvoirs peut être régulée dans l’intérêt commun tout en privilégiant l’attention au plus faible.

Les effectifs policiers et leur relativité

Carence d’effectifs il y a, à n’en pas douter, spécifiquement à la Police cantonale genevoise.

Voir sujet RTS de Raphaël Leroy du 20 mai 2019

(Le féminin est compris – 2 minutes de lecture)

Mais, attention, cette problématique de contingent ne doit pas occulter les autres questions sous-jacentes tout aussi importantes, si ce n’est plus :

Renforcer les effectifs certes, mais :

1. qu’en est-il des capacités de travail ?

2. De la simplification des procédures administratives (bien trop laborieuses selon les policiers concernés) ?

3. De l’apport des civils ?

4. Des conditions d’admission ?

5. De la reconnaissance des policiers instigateurs et innovateurs ?

6. De la suspension managériale des policiers soupçonnés de dysfonctionnement le temps de la procédure d’enquête quand les indices cumulés impliquent une rupture de confiance ?

Je crains que la seule augmentation des effectifs ne finisse par seulement renforcer l’opacité d’une organisation trop repliée sur elle-même.

Davantage ouvrir les organisations de police à la pluridisciplinarité est une réponse au déficit d’effectif.

Sujet et enquête de Raphaël Leroy RTS La Première du 19 juin 2019

La guerre des chiffres

Les paramètres de calculation sont flous et varient d’un pays à l’autre ou d’un canton à l’autre. Ils ne peuvent pas être simplement comparés. En Italie, par exemple, on dénombre environ 440 policiers pour 100’000 habitants, le double de la Suisse. La Garde des finances italienne est une force de police qui regroupe des compétences que l’on retrouve chez nous, en Suisse, dans plusieurs services administratifs publics non policiers et qui, de fait, ne sont pas comptabilisés dans nos effectifs policiers mais le sont chez nos voisins. Bien d’autres distinctions peuvent être opérées.

La situation genevoise

En République et canton de Genève, les Assistants de sécurité publique (niveau 3) armés ne sont pas comptabilisés dans les effectifs policiers mais soulagent considérablement le travail des policiers. Il en est de même des Agents de la Police Municipale, etc. Ainsi, les 1’450 policiers cantonaux actuellement en exercice pourraient augmenter à 1’750 ou 2’000 personnes selon le type de considération, de prérogatives et de distribution des tâches.

La résolution des problèmes

Et, c’est pourquoi je préconise de se remettre en question et non seulement d’augmenter les effectifs. Le manque d’effectifs genevois couve de nombreuses problématiques de gestion d’entreprise. Cette corporation bénéficie de nouveaux uniformes, d’une nouvelle gradation, de nouveaux équipements et n’est de loin pas satisfaite… elle souffre d’un manque de reconnaissance institutionnel, d’un manque d’effectif – on l’a vu – mais aussi d’un manque d’équité entre le personnel irréprochable et exemplaire et celui qui dysfonctionne et est toujours en service parce que leur hiérarchie ne sait pas ou n’ose pas statuer.

Ces difficultés sous-jacentes ressortent très bien dans les conclusions du travail de thèse de doctorat de Madame Magdalena Burba. Une étude scientifique importante et conséquente qui mérite d’être connue et sur laquelle je reviendrai dans un prochain blog.

Difficultés vécue à l’interne

Magdalena Burba, psychologue et psychothérapeute FSP

Dans une société qui a vu les menaces et violences contre les autorités et fonctionnaires presque quadrupler depuis l’an 2000, l’état de stress des policiers est devenu un enjeu majeur. Mais, pour la chercheuse, ce sont surtout des facteurs liés au cadre de travail et à la personnalité qui influencent le risque de burnout. “J’ai constaté que les difficultés relationnelles et organisationnelles à l’interne sont perçues comme plus usantes et destructrices que les intimidations vécues sur le terrain. Certains policiers ne se sentent pas soutenus par leurs supérieurs, ni par les décisions politiques. Ils ont la sensation d’être impuissants ou de devoir toujours réagir au lieu d’anticiper”. explique-t-elle dans L’uniscope mai-juin 2019 Magda Burba

Maintien de l’ordre : le jumelage embarrassant

Les dérives violentes* de la Police nationale française lors d’opérations de maintien de l’ordre, au cœur des manifestations des gilets jaunes notamment, ont été dénoncées par le Défenseur des droits de la République Française dans son rapport annuel et par la Haut commissaire aux Droits de l’Homme de l’ONU, entre autres instances officielles, sans compter les ONGs accréditées d’une rigueur et d’une objectivité irréprochables comme l’ACAT (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture).

Voir l’article de Richard Werly, correspondant du quotidien Le Temps à Paris.

Écouter le commentaire de Ariane Hasler, correspondante de la RTS à Paris.

(2 minutes de lecture – le féminin est compris)

Nos polices suisses pourraient-elles en retirer des enseignements ?

“Non, pas comparable.” Précisent les trois chefs opérationnels (deux latins et un alémanique) que j’ai sollicités pour ce blog. “… car les deux pays (Suisse et France) sont au bénéfice de dispositifs policiers très différents.”

“En Suisse, la répartition de nos forces civiles, leurs contingents et les critères d’engagement varient considérablement selon les densités et les événements cantonaux. D’autre part, dans le maintien d’ordre, nous intervenons essentiellement en marge de manifestations à caractère sportif.”

“Notre étalon opérationnel ne correspond pas aux modus operandi que l’on peut observer chez nos voisins.”

“D’ailleurs, les difficultés que nous avons à mobiliser nos effectifs en suffisance, lors de tels événements, nous poussent à anticiper et à agir davantage sur un plan judiciaire et préventif.”

“Nous collaborons aussi beaucoup avec des sociétés privées de sécurité employées par les clubs sportifs ou les organisateurs.”

Pourtant…

… les pratiques françaises de maintien de l’ordre sont une référence pour

l’Académie de Police de Savatan.

Le maintien de l’ordre est la discipline maîtresse, qui prédomine les relations publiques, de l’Académie de Police de Savatan (APS). Les aspirants prêtés à cette dernière par les Corps partenaires se forment aux tactiques et techniques de maintien de l’ordre “à la française”. L’APS affiche partout et fièrement son jumelage avec le CNEFG (Centre National – français – d’Entraînement des Forces de Gendarmerie). Lors de leurs formations initiales, les différentes volées d’apprenants se déplacent, à grands frais et pompeuses parades, à Saint-Astier (F) pour s’y entraîner intensivement.

L’initiative laisse perplexe la majorité des cadres opérationnels et d’écoles de formations de police avec lesquels j’ai eu l’occasion de m’entretenir ces dernières années. Alors même que les coopérations bilatérales d’un pays à l’autre sont encouragées dans bien des domaines policiers, s’agissant du maintien de l’ordre, l’erreur de casting de l’APS est plutôt perçue comme une diversion.

France et Suisse : deux juridictions territoriales et géopolitiques distinctes.

En France, l’organisation centralisée des deux principales polices (Police nationale dans les zones urbaines et Gendarmerie nationale, rattachée au ministère de l’intérieur depuis 2009, dans les territoires étendus) ainsi que leurs développements historiques présentent des paramètres de gouvernance quasi opposés à nos quatre vingts polices (pour les principales) étatiques suisses fractionnées (communales, intercommunales, régionales et cantonales).

Toujours est-il que le nouveau directeur (de tutelle ?) du Conseil pédagogique de l’Académie de Police de Savatan sait par quoi il peut commencer son périlleux chantier de réforme…

Existe-t-il une alternative ?

Pour ma part, je préconise un maintien d’ordre qui puisse être délégué à d’autres agents d’État assermentés et spécialement formés aux contours sociologiques et politiques de notre Confédération helvétique. Ces agents (professionnels, semi-professionnels ou miliciens suivant la cadence des mobilisations) seraient rattachés à un concordat intercantonal. Nous avons su créer une telle entité spécifique aux flux de mobilité avec la Police des transports. Ce devrait être aussi envisageable pour la gestion des manifestations. Les policiers généralistes et les inspecteurs judiciaires, en nombre réduit car libérés de cette fonction d’ordre, pourraient, quant à eux, se tenir à l’écart, observer, identifier et se concentrer sur d’éventuelles interpellations.

Voir ma proposition détaillée en date du 30 août 2016 et publiée par le quotidien Le Temps.

 

 

 

* Les violences sont improductives.

Celles commises par les manifestants engagent leurs auteurs, uniquement. Je prie que ces derniers puissent être interpellés et conduits au procès équitable. L’acte 18 des gilets jaunes ce samedi passé à Paris a provoqué une hausse de violence très inquiétante et inacceptable.

Mais, celles commises par les agents des forces de l’ordre nous engagent, chacune et chacun, par association directe. Ce sont nos forces armées, déléguées, assermentées, rémunérées et formées selon nos prescriptions et nos ressources.

Je tiens donc le bon bout.

Celui de l’exemplarité.

Mais, tu crois quoi ?

Le tutoiement de la part des agents du service public est irrespectueux.

(1 minute de lecture – le féminin est compris dans le texte)

Il y a cette réaction du service de médiation de la Ville de Zurich – et oui, la Ville de Zurich bénéficie d’un service de médiation ! Exemple à suivre.

Et, il y a cette lancinante impolitesse qui galope toujours dans les us et coutumes de plusieurs polices de notre pays… selon le type d’usager, d’interlocuteur… bien entendu. À tel point, que la semaine passée encore un député m’offrit la désolation suivante : ” Vous pensez ? Vraiment Monsieur Maillard ? Moi, qui suis connu, vous voyez, jamais un policier ne m’a tutoyé”.

Le tutoiement de la part d’agents policiers n’est pas digne d’une délégation ou d’une représentation d’État.

Pourquoi ?

1. Parce qu’il disqualifie la posture de l’État – qui se trouve être une personne morale aux multiples visages -, qu’elle soit communale, cantonale ou fédérale.

2. Parce qu’il fragmente l’attention policière portée à l’autre en raison d’un préjugé basé sur l’âge, la provenance, le statut, la vulnérabilité sociale ou la maîtrise d’une langue. Autant de facteurs qui réduisent l’habilité du policier à discerner et à établir le plus objectivement possible les raisons et les faits de son interpellation.

3. Toute ascendance est infondée. L’assermentation octroie à l’agent une légitimité qui revêt un caractère de serviabilité et non de supériorité.

4. Parce que la réciprocité ne serait pas admise alors que notre démocratie promet l’égalité, sans distinctions.

Résultat : autogoal et négation constitutionnelle.

Autant dire Vous !

L’extrême droite dans les polices ?

Ce n’est pas la première fois que l’actualité nous révèle cette accointance idéologique nauséabonde. Telles sont la lente et rampante découvertes faites à Francfort – lire l’article de Nathalie Versieux du 17 décembre passé (2018), correspondante en Allemagne du quotidien Le Temps.

(2 minutes de lecture – le féminin est compris dans le texte)

En Suisse, à Genève, un policier cantonal adepte du nazisme avait été dénoncé par sa commandante en août 2014. Il n’était pas le seul. Aujourd’hui encore, il m’arrive, au détour d’un vestiaire de l’une ou l’autre corporation de police de notre pays, de me trouver face à des insignes ou des slogans équivoques.

Les métiers armés d’ordre et de sanction ont toujours présenté un terreau sous-culturel enclin à une certaine doctrine arbitraire. C’est donc, entre autres, la raison pour laquelle, en 2013, le Conseil fédéral instaura, en première ligne du Brevet de policier, le cours obligatoire et éliminatoire sur les valeurs fondamentales de notre Constitution d’État de Droit nommé Module de formation Droits de l’Homme et éthique appliquée. Force est de constater que la prescription du médicament en Droits de l’Homme, dans le but de soigner d’éventuelles contagions, ne suffit pas. Les gouvernances de polices toutes entières doivent montrer l’exemple et rappeler manifestement et à chaque échelon leur foi et leur fidélité inaliénables aux valeurs fondamentales et universelles, garantes de notre démocratie active.

Les effets secondaires d’une prophylaxie enseignée au corps apprenant sans l’incarnation des dirigeants…

… génère des carences connues :

1. Un processus d’admission (appelé couramment recrutement) qui ne se soucie pas suffisamment de l’attachement du candidat aux valeurs universelles, à son ouverture au monde, à sa sensibilité sociale, au service et à la protection du plus faible. Cette dernière attention est au cœur du préambule de notre Constitution, devant laquelle le futur policier prêtera serment.

2. Une longue chaîne hiérarchique – peu adéquate en temps de paix – rigide et laborieuse qui, finalement, incite à la diversion les agents les plus influençables, ceux qui n’osent pas résister aux effets de groupe, aux pressions sociales et au “rendre-compte” public.

3. L’absence de contre-maîtrise institutionnelle, telle qu’on pourrait l’imaginer avec une direction de police collégiale et pluridisciplinaire ou la présence permanente d’un office de médiation neutre et indépendant.

4. Enfin, une formation de base qui n’investit pas ou trop peu l’histoire et la sociologie.

Prévenir le management plutôt que guérir le corps apprenant

Sans une radiographie structurelle et organisationnelle des institutions de sanction, la seule transmission des fondements constitutifs de notre cohabitation peut produire un effet biaisé voire contraire. La dispense valeureuse se dépose alors, telle une couche supplémentaire, sur les uniformes glacés et réfractaires de policiers saturés de consignes, d’ordres et de contre-ordres. Déjà agacés qu’ils sont dès leur instruction initiale, nombre d’agents policiers développent mille et une astuces pour se détourner des directives officielles et agir le plus secrètement possible en coulisses.

C’est dans ce retranchement institutionnel que, par cooptation mafieuse, prolifère des franges xénophobes et d’extrême droite *. Une élection de pseudos-justiciers s’émancipe alors et opère à l’abri de tout contre-pouvoir. Phénomène connu et largement documenté, notamment au Canada et dans les pays nordiques.

 

* toute autre extrémité politisée poserait le même problème.

 

 

Bravo le CHUV ! À quand le tour des polices ?

Remarquable initiative du CHUV, qui fait tout juste.

(2 minutes de lecture – le féminin est compris dans le texte)

Je suis impatient de voir naître pareille action du côté de certaines polices… C’est pas faute d’avoir proposé. Mais, chut ! Le culte du secret, les “circulez y’a rien à voir” prédominent encore dans quelques “hôtels” barricadés.

Le CHUV s’engage contre le sexisme !

Lundi 26 novembre passé (2018), le CHUV a lancé une campagne d’affichage et ouvert une ligne téléphonique d’écoute pour prévenir et traiter les harcèlements sexuels dont sont victimes des étudiantes en médecine.

Sur RTS info, l’interview complète du directeur des ressources humaines du CHUV, Monsieur Antonio Racciatti.

Question de Nadine Haltiner, Radio La 1ère : “Est-ce que le milieu médical est particulièrement sexiste ?”

Réponse de M. Racciatti, DRH du CHUV : “Moi, je ne sais pas ce qui se passe dans les autres secteurs, je ne sais pas si le milieu médical est plus sexiste que d’autres. Ce que je peux vous dire c’est que dans l’institution du CHUV ça existe… et puis qu’on a décidé d’y remédier. Ce qui nous distingue peut-être des autres secteurs, c’est que nous on en parle et ouvertement.”

Les ingrédients d’une entreprise responsable

1. Un collectif officieux, informel, que la direction générale du CHUV reconnaît.

Je pense à un autre collectif qui dénonce depuis cinq ans les malveillances et le sexisme qui arpentent les couloirs et les salles d’entraînement de l’Académie de Police de Savatan sans que rien de conséquent ne soit entrepris pour y remédier, contrairement à ce que prétendent les représentants politiques parmi lesquels on compte Madame Béatrice Métraux et Monsieur Pierre Maudet. Ces derniers ont pourtant été alertés et interpellés de nombreuses fois par une psychologue, des intervenants juridiques, des témoins, des syndicats et les médias.

2. Les paroles sont libérées se réjouit le CHUV. La direction du CHUV, à son tour, décide d’en parler ouvertement.

Il existe encore des polices, membres assermentées du service public que nous finançons, qui craignent l’autocritique.

3. Ce collectif est pris au sérieux, il est sincèrement remercié. On lui fait confiance. Le collectif est associé, à part entière, à la direction générale du CHUV dans l’élaboration de la campagne de prévention et lors des présentations publiques.

4. Une vraie remise en question est initiée, concrètement. Elle est largement communiquée à l’interne et à l’externe, et rendue visible, tangible.

5. Le DRH du CHUV annonce sa détermination de vouloir changer de culture.

Le contre-exemple du secteur policier

est le plus dommageable que je connaisse…

(Pourquoi ?)

… car il oppose le sens de la mission étatique la plus visible et la plus emblématique ainsi que son devoir de dénonciation à la passivité, au silence. Il en est de même face aux discriminations raciales. À ce propos, lire le blog du 6 novembre passé 2018.

Avez-vous déjà entendu un commandant de police ou un DRH police reconnaître que sa corporation n’avait pas tout fait juste ?

Pour des institutions de police constituées au service et à la protection des plus faibles, la comparaison avec le CHUV fait pâle figure. Les polices que je connais, pour partie, ne sont pas promptes à se remettre en question. Elles ne sont non plus encouragées par leurs politiques, dont certains ne montrent en rien l’exemple de la transparence…

Si ce manque de courage prévaut également dans la lutte contre les criminalités, à l’extérieur, nos policiers détiennent alors une des explications majeures de l’amertume qui affecte nombre d’entre eux.