Le matricule de la confiance

Le décès de la victime George Floyd (dont l’auteur – policier lors des faits – est inculpé de meurtre) et bien d’autres atteintes à la dignité humaine commises par des agent-e-s de police ont provoqué d’importantes manifestations en Europe et outre-Atlantique.

(Le féminin est compris dans le texte – 4 minutes de lecture)

Afin de prévenir d’autres discriminations, des motions et recommandations son déposées, y compris en Suisse comme celles des Vert.e.s genevois.e.s.

Nouvelles mesures = risques consécutifs

En soi, ces initiatives sont bénéfiques car elles vivifient notre démocratie. Néanmoins, deux risques consécutifs sont à prendre en compte.

  1. Celui de rajouter des couches normatives au cadre professionnel de nos agents de police. Déjà sous pression, plusieurs d’entre eux développent une attitude de rejet et se recroquevillent dans une forme de déni. Nous prenons alors le risque de creuser l’écart entre une part grandissante de la société civile plutôt revendicatrice et des forces de l’ordre plutôt conservatrices. Il y a lieu de craindre que nos polices s’isolent encore davantage.
  2. Toute mesure d’amélioration ou consignes venant du débat puis de la décision politiques et qui se traduisent ensuite par quelques formations ne servent pas à grand-chose si elles ne sont pas sincèrement plaidées par le management ; au risque de devenir des alibis.

Les résolutions envisageables

J’ai largement, et à plusieurs reprises, évoqué, ici, dans les colonnes de ce blog, les moyens à disposition du management policier permettant de réduire les dérives discriminatoires et racistes et, de surcroît, prévenir toutes formes de dégénérescences.

  • La création de lieux de vidages au sein des corporations en faveur des policiers qui fatiguent, dérapent, se fragilisent et se questionnent. Traiter l’erreur renforce l’efficience organisationnelle.
  • L’engagement d’experts qualifiés et indépendants dans l’animation d’ateliers de résolution éthique. De plus en plus de polices suisses ainsi que des organisations de secours s’engagent dans cette voie.
  • La mise sur pied d’organes de contrôle ou de réclamation neutres, libres et indépendants. L’instauration d’un tel outil dépend plus du pouvoir politique que des État-Majors de police, même si ces derniers ont les facultés de convaincre leur direction politique.
  • Des formations initiales et continues pluridisciplinaires et interactives. Il existe aujourd’hui des pédagogies et des didactiques qui échappent au risque d’alibi et qui impliquent davantage les apprenants, surtout lorsqu’il s’agit de policiers expérimentés.
  • L’idée et la possibilité de délivrer un récépissé récapitulant l’intervention policière. Remarque : j’émets quelques doutes quant à cet investissement administratif du policier. Néanmoins, je constate que le procédé existe dans des versions simples et efficaces.
  • Et, enfin, le port du matricule. C’est ce dernier moyen ou support que je souhaite développer ci-après.

Interview dans Forum – RTS La 1ère, du 17 septembre 2020 – Faut-il légiférer contre les discriminations raciales lors d’interpellations ?

Le matricule policier

Le policier suisse, rattaché à un organe étatique communal, régional, cantonal ou fédéral est avant tout un employé du service public.

À son engagement, il embrasse le service public et le devoir inhérent de rendre des comptes aux résidents et citoyens. Ce, avant même de déployer son exercice professionnel concret et quotidien. Il devient une représentation incarnée de l’État. C’est à cette juxtaposition (personne – État) précise – symbolisée, pour le policier, par son assermentation –  qu’intervient la dualité de l’exercice du pouvoir policier : être à la fois l’État – ou une personne morale – et, à la fois, une personne singulière, individuelle et physique, en chair et en os, avec ses émotions et sa sphère privée. Dans cette combinaison, un statut n’exclut pas l’autre mais nécessite une forte capacité de cohabitation. Une cohabitation trop peu discutée, trop peu régulée et trop peu éprouvée dans les formations de polices, malheureusement.

Une cohabitation de deux statuts qui alterne les priorités.

Durant son service professionnel, le policier est d’abord l’État. En congé, il est avant tout une personne individuelle et physique ; même si au travail il n’oublie pas son humanité et qu’au privé il n’oublie pas son engagement policier.

Le matricule apposé sur l’uniforme exprime bien cette dualité : un matricule personnel et un uniforme institutionnel étatique.

Le matricule… nominatif ou chiffré ?

Le matricule nominatif tel qu’utilisé, par exemple, à la Police cantonale bernoise – avec l’initiale du prénom et le nom complet en toutes lettres – démontre la dimension humaine derrière la fonction, alors même que la fonction prime dans l’exercice professionnel.

Les policiers bernois, que j’ai interrogés, ne voient pas d’inconvénient à s’afficher de la sorte. Au contraire, ils ont l’impression d’amortir les susceptibilités de certaines personnes interpellées et récalcitrantes. Une forme de réciprocité s’installe dans la relation qui gagne en confiance.

Le matricule de la confiance

Pour ma part, je ne veux pas d’une police qui se cache. Une police qui exige de connaître – à juste titre – les identités des personnes qu’elle interpelle se doit de donner l’exemple. La connaissance du terrain pour un policier nécessite de tisser des liens de confiance avec ses bénéficiaires et cela ne saurait se produire sous couvert de l’anonymat.

Notre service public ne craint pas de s’afficher.

Face au risque que représente la divulgation de son nom sur un matricule, une policière me confiait que sa meilleure assurance vie n’était pas la défiance mais bel et bien la confiance.

Dont acte.

 

Avertissement : il est bien entendu que les membres d’unités spéciales, lors d’opérations potentiellement dangereuses ou présentant des risques de confrontation importants, changent leurs matricules nominatifs contre des matricules chiffrés ou d’autres supports de légitimation.

Les lois cantonales sur la police précisent toutes, à quelques nuances près, que l’agent doit ou a le devoir de s’identifier ou de décliner son identité à la demande de la personne interpellée. Et, si menace, précise, par exemple, la loi cantonale neuchâteloise sur la police… l’agent donnera son numéro de matricule.

Les policières s’insurgent !

Ce sont les femmes qui émancipent les réformes policières !

Émilie, Rébecca, Camille, Ludivine, Lydia, Vanessa, Stéphanie témoignent aujourd’hui des conséquences d’une incapacité managériale à soutenir les victimes au sein des Corps de police.

Un “management suranné et complètement étanche” me confirme cet officier, comme désolé d’en être toujours là… après tant d’années… “J’en peux plus. Moi aussi, je souhaiterais quitter la police mais la reconnaissance de mon cursus ne vaut pas grand chose à l’extérieur… c’est pourquoi tant d’agents désabusés s’enferment dans le déni.” “Evidemment, ça ne se laisse pas découvrir dans les sondages de satisfaction… les citoyens nous plébiscitent… car ils n’ont pas accès à notre omerta…” complète-t-il.

“Nous sommes l’organe de l’administration le plus étanche et le levier politique le plus convoité.” renchérit cet autre officier lors d’une formation continue.

Harcèlement sexuel, une omerta policière

Tel est le titre du rendu de l’enquête de la journaliste Marion Police parue dans Le Temps aujourd’hui.

“Le phénomène semble même s’empirer…” me signale un troisième officier romand, chef de Police secours.

Quant à moi, je reste convaincu qu’en police la pression exercée par les mâles dominants sur leurs victimes à l’interne de leurs services est extrêmement forte et neutralise les initiatives de plaintes internes comme externes.

“Quant ce sont vos harceleurs qui décident de l’avancement de votre carrière et que votre entourage est si fier de vous savoir en police, vous ne pouvez plus bouger.” me confiait Jasmine, une policière romande en exercice, il y a un mois. Elle songe, comme au moins cinq autres policières de ma connaissance, à quitter la profession.

“On les essore… jour après jour. N’oublions pas que les policiers détiennent les principaux outils de plainte et de dénonciation, y compris lorsqu’il s’agit de les relativiser… quand ça les arrange.” me confiaient ces deux professionnels vaudois de la santé.

Quatre pistes managériales, … inlassablement.

  1. La création d’organes d’écoute active, de traitement et de réhabilitation ou de résolution ou de dénonciation ; libres, neutres et indépendants ; comme ils existent dans d’autres professions ou domaines (sports, médias, arbitrages interprofessions, etc.)
  2. Certains commandants le reconnaissent, engager plus de femmes et promouvoir de la pluridisciplinarité efficiente dans la chaîne de commandement.
  3. Maintenant que ces femmes – véritables et authentiques policières dans leurs postures – parlent, qu’on leur donne une place de choix dans les formations, les bilans de fin d’années, les cérémonies de nomination, qu’on publie leurs témoignages au sein des Corps.
  4. Enfin, rompre l’inversion sociologique tant de fois constatée et scientifiquement documentée, c’est-à-dire, qu’on écarte les auteurs au lieu de les grader ou de les déplacer de l’opérationnel vers les centres de formation ou les services généraux comme c’est encore malheureusement le cas.

Plébisciter la police c’est croire en sa capacité de réforme, aussi lente soit-elle.

En temps de paix, aucune autre force armée de service et de protection, incluant la contrainte et la sanction, ne saurait intrinsèquement remplacer nos polices publiques et assermentées.

Raison pour laquelle, nos polices n’ont pas à craindre la critique, ni la remise en question : conditions sine qua non pour réussir leurs adaptations et leurs évolutions managériales !

Faut-il encore le préciser ? – L’émission radio Le point J. du 29 juin 2020 – nous rappelle combien la police est existentielle au maintien de la démocratie active.

À quoi sert la police ?

À servir et à protéger, à commencer par le plus faible, à enquêter et à monter les dossiers de dénonciation.

C’est aussi valable pour elle-même, non ?

Une police représentative

La représentativité, les pouvoirs exceptionnels et les maîtrises policières ne sont pas assimilées à l’identité fédérale ou cantonale de l’agente.

(Le masculin est compris dans le texte – 101ème blog – 2 minutes de lecture)

Pourquoi ?

La délégation prévaut dans notre Confédération

1. Parce que les organes de notre démocratie sont séparés les uns des autres. Cette fabrication semi directe prévient les abus d’autorité et favorise l’équilibre des forces. Nul ne saurait être à la fois juge et partie. C’est d’autant plus vrai pour des policières *.

La territorialité est la limite du pouvoir policier

2. Parce que notre État est fédéral, composé de 26 États cantonaux desquels dépendent principalement nos polices. Nombre de policières sont étrangères à leur canton d’exercice professionnel.

La diversité est la marque de fabrique de notre Confédération

3. Parce que la police est le reflet des compositions culturelles diversifiées de notre société.

En Suisse, l’exercice policier est bien plus une affaire de territorialité et de délégation que de citoyenneté !

… ou une affaire de juridiction, préciseraient les américains du nord. Notre organisation confédérale est fractionnée par les cantons, les régions et les communes, toutes desservies par pas moins de 300 corporations de police incluant en cela les polices thématiques (et non géographiques) comme celle des transports étendue à l’ensemble des voies de communications publiques du pays.

Concrètement, l’intercantonalité est déjà en vigueur dans nos polices

Une ressortissante valaisanne n’est pas empêchée d’exercer en République et canton de Genève alors même qu’elle n’a aucun droit de vote à l’échelle du canton d’accueil de son exercice professionnel.

À l’heure actuelle, quatre états cantonaux accueillent les personnes détentrices d’un permis C. dans leurs effectifs : Les polices cantonales de Bâle-Ville (depuis 1996), de Schwyz, Neuchâtel et Jura.

Une motion déposée au Grand Conseil (pouvoir législatif ndlr.) demande que le métier de policier soit ouvert aux personnes titulaires d’un permis C.

 

Le doigt ou la lune ?

La police ne s’approprie pas le Droit qu’elle engage sur le plan visible et opérationnel. La police se contente d’indiquer et de renseigner le Droit du bout de son doigt puis conduit le résultat de ses investigations ou les personnes (présumées innocentes) qu’elle aura interpellées auprès du juge (pouvoir judiciaire séparé du pouvoir exécutif auquel appartient la police, ndlr.). Nous bénéficions, ici, comme le long des chaînes sécuritaire et judiciaire, de pouvoirs transposés et séparés. Cette logique peut aussi prévaloir dans l’engagement des futurs policiers vaudois. Une policière étrangère peut très bien renseigner sur le respect des règles et des lois de son pays d’accueil sans interagir au sein de l’identité cantonale qu’elle sert et protège.

Ainsi, ne craignions point cette distanciation étrangère à l’exercice policier, elle est une composante de notre démocratie.

Voir mon blog du 20 janvier 2017 :

A la police, les étrangers sont les bienvenus !

*On peut préciser encore qu’une policière ne détient pas moralement l’État (en main du peuple qui délègue ses représentantes) mais détient, par contre, les droits fondamentaux et par conséquence, la responsabilité de défendre les valeurs universelles dans l’espace public. Ces droits fondamentaux protègent aussi – et, sans distinction aucune – les personnes d’origine étrangère.

Sans ces droits fondamentaux, la policière perd toute légitimité, notamment dans le fait de détenir des moyens exceptionnels (usage de la force, de la contrainte, etc.). Dans tel cas, ces moyens ou pouvoirs ne seraient point maîtrisés et menaceraient notre fabrication démocratique pour laisser place, dans les pires situations, aux dérives et abus.

Dans la tête d’un… flic

… que se passe t-il dans la tête d’une policière confrontée à la face sombre de notre société ?

(2 minutes de lecture – Le féminin comprend le masculin)

Selon les témoignages ainsi que les avis d’expertes recueillis au sein de – l’excellente ndlr. – émission “Dans la tête d’un… ” diffusée, sans poisson, le 1er avril 2020 sur RTS 1 : des hauts et des bas…

Policière : c’est encourir le risque de se noyer dans son propre destin professionnel

L’écart est vertigineux entre la représentation fantasmée de certains spots de recrutement et la réalité quotidienne au sortir de la formation initiale de policière. Les convictions vacillent.

Les formations initiales et continues ne préparent pas suffisamment la future policière, de même que l’expérimentée après 4, 5 ou 6 années, à la gestion de ses émotions, à la régulation de ses états d’âmes, à l’hostilité de certains publics révoltés ou en détresse. Engoncée au sein d’une organisation généralement ultra-formelle et stricte, ultra-hiérarchisée et superposée de couches de services stériles et interminables, la policière encourt le risque de se noyer dans son propre destin professionnel.

Remèdes

Pour y remédier, j’entrevois trois pistes :

1. En formation : renforcer ou introduire les thématiques et les méthodologies propres à la relation d’aide, à l’observation géopolitique, à la remise en question, à l’innovation et à la collaboration pluridisciplinaire. En clair, doubler le temps de formation initiale, de 2 à 4 ans ; à l’image des travailleuses sociales, des ambulancières, des soignantes, etc.

2. Renforcer l’autonomie des agentes, cultiver l’erreur comme outil de gestion et de perfectionnement et encourager les initiatives originales. En bref, s’engager en recherche action & développement et offrir des espaces de vidage et de réhabilitation.

3. Prévoir qu’après 5 ou 6 ans d’exercice, la policière puisse être invitée à séjourner temporairement dans un autre service de l’État communal, cantonal ou fédéral ; pour changer d’air et se ressourcer. Exemples d’employabilité : les services hospitaliers, l’accueil et l’accompagnement des migrants et des requérants d’asile, les secours d’urgence pré-hospitaliers (ambulances), le travail social hors murs, l’instruction publique (prévention et instruction routière), les offices de tourisme, la protection de l’environnement, l’accueil de nouveaux habitants, etc.

Mieux comprendre son environnement sociétal permet de durer dans son job, de nuancer ses préjugés et d’élargir son horizon pour mieux respirer. Au contraire, l’isolement corporatif pervertit le pouvoir que détient la policière dans l’exagération et l’abus. Cet enfermement favorise des comportements sectaires et de compromission malsains et dangereux pour notre démocratie.

Que respire, respire la profession de policière !

Visionner “Dans la tête d’un…flic” sur RTS 1 ici

Visionner “Dans la tête d’un…flic” sur mon site fredericmaillard.com ici

Maintien de l’ordre (en France) : à quel prix ?

Tel est le titre du rapport de l’ACAT-France sur le maintien de l’ordre des polices françaises (Police nationale – Gendarmerie nationale).

Un rapport accablant

Plus d’un an d’enquête, d’entretiens avec des victimes, des expert-e-s, des policiers et des représentants de la défense du Droit et des autorités sur 200 pages documentées, avec tableaux, schémas, explications des mises en oeuvre de la force et des sommations, chronologie historique, planches techniques, descriptions des armes et des équipements, chiffres et lexiques. Un travail fouillé et rigoureux.

Des faits vérifiés. La psychologue d’urgence, Noelia Miguel (Aradas) et moi-même, en avons été témoins.

La démonstration est éloquente, imparable. Ce rapport fera date, les aveux abondent dans des médias objectifs et d’utilité publique.

Vous vous en doutez, il en ressort l’impérative nécessité d’une nouvelle doctrine et la composition de formations pluridisciplinaires évolutives à l’exemple de ce qui se fait dans d’autres pays – voir dernier paragraphe du présent blog.

Résumé du rapport Maintien de l’ordre : à quel prix ?

Rapport Maintien de l’ordre : à quel prix ? pdf complet 

(Photographie de Réforme – Hebdomadaire protestant d’actualité – 11 mars 2020)

L’article publié le 11 mars 2020 dans l’hebdomadaire français Réforme

Selon l’ACAT, bien loin de concourir à apaiser les tensions et à maintenir l’ordre, le recours systématique aux armes de force intermédiaire est susceptible de générer une escalade de la violence.

Le maintien de l’ordre actuel en France est dysfonctionnel, de l’avis même des spécialistes. Des unités non spécialisées sont mobilisées ; inadéquates, mal renseignées, mal commandées et non formées. Elles ont régulièrement recours à des actions disproportionnées qui débordent alors qu’elles auraient pu être évitées (dès la page 72 du rapport).

Un autre maintien de l’ordre est possible.

28 recommandations

… parmi celles-ci :

Nommer des observateurs de manifestations

Garantir la présence de journalistes et le droit de filmer pour tous (p.103)

Une meilleur identification des agents des forces de l’ordre

Juger et décider de véritables sanctions

et … créer des organes de contrôle indépendants.

De la nécessité de créer des organismes de contrôle indépendants

Les défauts des polices françaises – et des polices suisses s’agissant de l’absence d’organes indépendants de contrôle -, à commencer par celui de ne pas devoir rendre des comptes à des organes neutres, apolitisés et indépendants, sèment le doute sur notre modèle démocratique. Ce qui, en soi, est très préjudiciable. Quelle exemplarité ? Quelle pédagogie ? Le bien-fondé de telles polices, comme de toute autorité, peut se résumer à la séparation des pouvoirs. Il n’existe pas de polices de Droit, civiles ou militaires, qui puissent exercer sans remettre et déposer enquêtes, preuves et rendus d’auditions à l’autorité judiciaire.

Un puissant aveu d’échec

Comment se fait-il que pour elles-mêmes, les polices, dans leurs propres gestions des affaires internes, ne sachent, ni ne puissent opérer ce qui les fondent, respecter ce qu’elles proclament ? À savoir, garantir un traitement séparé de l’analyse et du jugement de ses éventuels dysfonctionnements ou irrégularités. Font-elles parties de la solution ou du problème ? Cette question supplante toutes les autres recommandations du rapport en question.

S’inspirer des pratiques d’autres pays

Dans plusieurs pays des maintiens de l’ordre ratés ont engendrés au fil du temps des refontes innovantes et salutaires. Le rapport de l’ACAT donne des exemples concrets de défaillances (p. 140) et dresse le portrait des pays qui ont réformé les gouvernances de leurs polices. Parmi ceux-ci, la Suède avec ses officiers de dialogue (p. 151) mais aussi les “peace unit” aux Pays-Bas ou les “Police liaison officers” en Angleterre. En Allemagne, sont également déployées des unités de dialogue, lors des manifestations ou rencontres de football. L’objectif de ces unités est de faire en sorte que les actions de la police soient systématiquement expliquées, afin d’être correctement comprises et interprétées par les manifestants. Quant à l’Irlande du Nord (p. 156), un expert de l’OSCE explique à l’ACAT : ” La police est passée d’une logique de confrontation avec un usage important de la force vers un maintien de l’ordre de meilleure qualité, avec un vrai commandement, une bonne formation, l’application des principes des droits de l’homme. “

 

Une grande police sait perdre…

… pour gagner la paix.

(Le féminin est compris dans le texte – 2 minutes de lecture)

En marge des manifestations françaises, les conjectures comme les accusations pleuvent de tous bords, amplifiées par les réseaux sociaux. Face à cet enlisement, les polices ont le devoir de descalader les confrontations. C’est un devoir mais aussi une compétence autant professionnelle que démocratique.

Une compétence, précisément, que les manifestants n’ont pas le devoir de détenir. Les manifestants n’engagent pas l’État, ne le représentent pas formellement, ni ne détiennent l’exclusive habilité policière d’user de la force équipée, sophistiquée et proportionnée. Le comportement des manifestants est assujetti à la loi. Toute violence sera poursuivie et jugée.

Le manifestant est bénéficiaire de l’État. Il est une personne physique.

Le policier est détenteur de l’État. Il est une personne morale.

Perspectives et angles d’approche

Premier exemple…

1. Lorsqu’un policier verbalise et sanctionne un automobiliste en infraction, il n’exprime pas de l’acharnement contre ce dernier, contrairement aux apparences – sachant que tout un chacun, y compris le policier lui-même, peut commettre une irrégularité et enfreindre la loi sur la circulation routière -. Tout au contraire, le policier, par sa contravention, libère le plus grand nombre, facilite la fluidité des autres automobilistes éventuellement incommodés qu’ils ont été par la gêne ou l’entrave de celui qui fut appréhendé. L’intention du policier est orientée par le bien communautaire et non par la personne en infraction. Points de vues diamétralement opposés !

Deuxième exemple…

2. Dans la poursuite d’une personne en fuite, suspecte de cambriolage, le policier renoncera à sa course (toute sirène hurlante) si celle-ci risque de provoquer un danger imminent pour les passants (familles avec enfants) d’une rue piétonne par exemple. Il appellera des renforts pour se faire relayer sur des routes à faible densité ou développera une autre tactique afin de préserver la sécurité du plus grand nombre. Quant au suspect présumé, de nouvelles opportunités se présenteront dans le cours de l’enquête, l’audition des témoins et la récolte des indices. Tout bon policier saura tisser le filet judiciaire, avec ou sans l’appréhension de l’individu.

Alors, qu’en est-il de l’intention de certains policiers, dans les cités françaises, à vouloir charger tel ou tel manifestant au détriment du bien commun ?

Quel discernement démocratique exige-t-on d’eux ?

La mission ultime du policier civil est de préserver la paix,

quitte à rebrousser chemin ou à consentir une défaite.

Savoir perdre avec honneur, renoncer à une charge physique, en temps de paix, comme autant d’ambitions maîtrisées et savamment distillées qui invitent (obligent) nos polices à développer des ingéniosités respectueuses des individus, durables et perspicaces, et qui préviendront aussi leurs fatigues chroniques, leurs traumatismes post-interventions et leurs cassures professionnelles.

Ennemi ou adversaire ?

 

(Photo Ludovic Marin – AFP)

Faire de l’autre, résident, citoyen, migrant, touriste, aux revendications, contrariétés ou débordements hostiles un adversaire momentané et non un ennemi.

 

Les violences policières sont le reflet d’un échec : éditorial Le Monde du 11 janvier 2020

Rapport de l’ONG française ACAT – mars 2016 – L’ordre et la force, enquête

Infographie pratique sur les conditions de l’usage de la force, 2019

Les transcriptions révélatrices

Les colères des peuples luttant contre les inégalités et les discriminations s’expriment dans les rues du monde entier, voir l’article Le Temps de Olivier Perrin du 24 octobre 2019. Leurs révoltes sont liées aux faiblesses des états commente France culture le 30 octobre 2019.

Des lanceurs d’alertes, des fonctionnaires parmi lesquels des policiers, des citoyens, quant à eux, choisissent d’autres médiums que la rue pour porter à connaissance publique les ratées des institutions dans leur devoir de protection et de régulation de nos trajectoires de vies.

Le récit, avec son histoire narrée et documentée, est l’un de ces médiums.

Celui qui soulève mon attention aujourd’hui nous plonge dans le monde de la police.

Pourquoi ?

Parce que les polices, toutes confondues, dans leurs postures et leurs actions, reflètent nos conditions de vie, y compris celles recluses dans leurs centres de formation.

Un nouveau livre donne la parole à Ebelsthian, Bastée, Alvin, Rébecca et bien d’autres jeunes apprenantes et aspirants policiers, et gendarmes.

Rébecca. Le pouvoir du silence

2019. Georg Editeur, Genève

Une école de police défigure un lieu séculaire et ses résidents.

Un colonel domine, avec la complicité de tous.

Comment rompre le silence ? Défaire les compromissions et les complaisances ? Les injustices ?

Une jeune aspirante va se lever.

Son histoire est inspirée de fait réels.

Elle se prénomme Rébecca. Elle se surprend à défendre sa liberté. Elle ne se doute pas une seule seconde de ce qui l’attend.

Jusqu’au jour où un migrant clandestin dévoile son passé. Alors leurs destins basculeront.

Les événements décrits dans ce roman se déroulent en Charente-Maritime. Mais, ils pourraient très bien se dérouler sous d’autres contrées.

Disponible dans toutes les librairies d’Europe francophone.

Le site de l’éditeur

Le site du roman

La pénibilité policière…

… trouve plusieurs de ses causes au sein de sa propre organisation.

(2 minutes de lecture – le féminin est compris dans le texte)

Elles ne sont pas si nombreuses que ça les études scientifiques en Suisse romande qui se sont penchées sur les difficultés d’accomplir les métiers de la profession policière, contrairement à d’autres pays ou régions (France, Québec, etc.).

Ces dernières années, deux thèses de doctorat ont attiré mon attention. L’une et l’autre se font écho. La première du sociologue David Pichonnaz (voir mon blog du 6 juin 2017) a été produite en 2014 et publiée chez Antipodes en 2017, la deuxième, toute récente, de la psychologue Magdalena Burba a été rédigée, soutenue et validée en mai 2019.

(Référence lui a été faite le 20 juin 2019 dans mon blog intitulé Les effectifs policiers et leur relativité.)

Magdalena Burba

Psychologue et psychothérapeute FSP

(Photographie de Noura Gauper – 2018)

Problématique

Dans une société qui a vu les menaces et les violences contre les autorités et leurs fonctionnaires presque quadrupler depuis l’an 2000, l’état de stress des policiers est devenu un enjeu majeur. Mais, pour la chercheuse, ce sont surtout des facteurs liés au cadre de travail et à la personnalité qui influencent le risque de burnout. “J’ai constaté que les difficultés relationnelles et organisationnelles à l’interne sont perçues comme plus usantes et destructrices que les intimidations vécues sur le terrain. Certains policiers ne se sentent pas soutenus par leurs supérieurs, ni par les décisions politiques. Ils ont la sensation d’être impuissants ou de devoir toujours réagir au lieu d’anticiper”. explique-t-elle dans L’uniscope mai-juin 2019.

Résolution

Pour répondre à ces troubles, une des pistes proposée par la psychologue consiste à augmenter la marge de manœuvre des policiers. « Mais pour cela – affirme-t-elle – il faudrait repenser l’entièreté du système hiérarchique… ».

Quant à moi, j’ajouterais – l’ayant documenté dans mes analyses de pratiques – qu’il serait également nécessaire de renforcer la connaissance du moyen discrétionnaire du policier (voir définition dans mon blog du 14 septembre 2015), par trop méconnu des agents eux-mêmes. Ce moyen complète le pouvoir coercitif autorisant le policier à faire usage proportionné de la force, de la contrainte et de la privation momentanée de liberté.

Ce moyen et ce pouvoir sont exceptionnels et exclusifs. Ils doivent être maîtrisés avec intelligence et dextérité. Tout l’enjeu de la faculté d’exercer d’un policier se niche dans la bonne application de ces deux attributs. Par exemple, le moyen discrétionnaire autorise l’agent d’ordre à faire le choix d’une interpellation ou non en raison de son discernement personnel. Ce moyen est un facteur essentiel pour augmenter la marge de manœuvre du policier dont parle Magdalena Burba. Il est également une source de développement et de motivation. Les travaux de recherche de Madame Burba révèlent ce point sensible, malheureusement sous-développé dans les formations de base et continues de nos polices.

Une hiérarchie rigide n’est pas Swiss Made

Enfin, tel que Magdalena Burba le précise dans sa thèse, faisant référence aux dimensions culturelles développées par Geert Hofstede, il y a aussi notre lien collectif, de surcroît le lien du policier, agent du service public, avec le pouvoir de nos autorités suisses. En effet, « les citoyens suisses cultivent une distribution relativement égale du pouvoir dans la structure sociétale alors que les policiers évoluent dans une structure hiérarchique forte. » Cet écart renforce le malaise que ressentent plusieurs policiers écartelés qu’ils se trouvent entre une organisation très hiérarchisée et une société helvétique qui cultive la participation décisionnelle.

Voir une deuxième définition du Moyen discrétionnaire parue dans le blog du 17 novembre 2016.

Voir l’article sur le travail de Magdalena Burba paru dans le journal de l’université de Lausanne L’uniscope de mai-juin 2019.

Le ciel s’assombrit

Il en est un de plus, parmi les experts externes aux polices, qui est évincé en raison de son opinion. Dans l’exemple de Sebastian Roché, décrit ci-après, nous nous situons en France, où les critiques du sociologue de police à l’encontre de certaines pratiques policières – jugées trop violentes – lors de manifestations des gilets jaunes lui coûte sa place d’enseignant.

(3 minutes de lecture – le féminin est compris)

La critique est muselée

L’éviction du chercheur et formateur de polices, Sebastian Roché

Le sociologue français Sebastian Roché a été écarté par l’École nationale supérieure de la police, où il intervenait en tant qu’enseignant depuis 1993. Spécialiste des rapports “police et population” et chercheur au CNRS, il a osé critiquer. (Voir lien actif à france culture du 29 août 2019)

Tel est pourtant ce qu’une démocratie vivace peut espérer de mieux de la part d’un intervenant extérieur. “C’est en France, avec son pouvoir princier, cela ne saurait intervenir en Suisse fédérale…” dixit mon entourage professionnel policier, pour me rassurer… Mais, il y a aussi cet officier, fervent défenseur d’un management plus ouvert : “Tu vois Frédéric, ce n’est pas que chez nous !!

Un intervenant extérieur, ça sert à quoi ?

En Suisse, 2003, lors de l’introduction progressive du Brevet fédéral de policier, les principales commissions de travail ainsi que le Conseil fédéral (par l’entremise de Joseph Deiss) insistent pour qu’au moins la moitié des formateurs comportementaux (branches sociales, éthique, Droits de l’Homme, psychologie, etc.) dudit Brevet provienne de l’extérieur des corporations. Il est explicitement souhaité que ces experts externes et vacataires puissent critiquer le système policier conventionnel – système appelé à une réforme urgente et salutaire.

La critique est le moteur de l’innovation

C’est sous cette recommandation que j’ai personnellement été engagé à la Police cantonale genevoise – institution pilote, à l’époque, pour le Module éthique et droits humains – par trois représentants, de la Police judiciaire, de la Gendarmerie et de la Police de sécurité internationale. Mes interventions et mes responsabilités ont perduré – par miracle ? – neuf années durant. Nombre de mes ex-partenaires internes à cette police me rappellent aujourd’hui encore combien cette indépendance a été indispensable pour “…bouger nos scléroses…”. En réalité, j’ai failli l’éjection plus d’une fois mais mon indépendance inconditionnelle était garantie par Monsieur le Conseiller exécutif cantonal David Hiler, grand homme d’État, persévérant et brillant comme tout, faisant l’unanimité. Le Conseiller d’État Hiler a toujours été davantage soucieux de la démocratie participative qu’il servait de toutes ses forces plutôt que de sa carrière personnelle. Les dents grinçaient à l’état-major de la Polcantgenève après qu’il ait signé la préface de mon premier essai “Police. état de crise ? Une réforme nécessaire” publié en 2009 aux éditions scientifiques de la Société d’études économiques et sociales *.

Un problème politique

La liberté d’expression est garantie** sous nos latitudes mais la marge de tolérance est politique. Monsieur Roché précise aussi qu’il s’agit avant tout d’une “décision politique“. Interrogé par l’Agence France-Presse, il rajoute que “cela montre la difficulté de la police à s’ouvrir à la société à un moment où elle se recroqueville de plus en plus sur elle-même, à son détriment”. Le sociologue a également critiqué le manque d’indépendance de l’IGPN (la police des polices).

De grands dommages démocratiques

Des inspecteurs de police examinant les comportements de leurs pairs (hic ! Une telle connivence serait risible dans la majorité des autres champs professionnels ou domaines d’activités), des formateurs policiers exclusivement issus des rangs policiers et des chercheurs nourris et encadrés par leurs propres sujets d’études laissent présager de piètres matchs nuls. Desquels, acteurs et spectateurs, si tel devrait être le tableau, s’en détourneraient pour abandonner le jeu démocratique aux spectres des plus sombres et dangereuses pages de notre histoire européenne.

* Co-écrit avec Yves-Patrick Delachaux. Postface du regretté chercheur et chef de police judiciaire, feu Olivier Guéniat. La Société d’études économiques et sociales a été créée en 1943, durant la deuxième guerre mondiale, afin de réfléchir et résister malgré le contexte géopolitique extrêmement pessimiste.

** Je fais, ici, naturellement exception des injures et atteintes à l’honneur en lien aux dispositions légales.

Diversité policière

Le Conseil d’État fribourgeois veut renforcer le pouvoir de police de ses inspecteurs du travail.

Les inspecteurs du travail fribourgeois seront promus agents de police

Ces derniers seront promus agents de police judiciaire et verront leurs pouvoirs augmentés (voir RTS du 15 juillet 2019).

Il s’agit là d’une excellente décision.

L’attribution de ces prérogatives supplémentaires accordée aux inspecteurs du travail du canton de Fribourg est la démonstration même du développement pluridisciplinaire des autorités de polices, toutes formes confondues. À l’avenir, nos polices se découvriront avec des facettes toujours plus larges et multidisciplinaires. Condition “sine qua non” pour défier les réalités sociétales et, dans le cas précité, le marché du travail, toujours plus complexes.

Avantages

Cette diversité renforce le rayon d’action de nos polices déjà passablement éclaté en Suisse (environ 330 corporations, 80 principales). Une plus grande variété de postures et de fonctions équilibre les rapports de force, élargit les point de vue, laisse place à la critique et aux opinions contradictoires pour de meilleures résolutions ; et multiplie ainsi l’ingéniosité des réflexions et des actions.

Inconvénient

Augmenter les pouvoirs du côté policier c’est prendre le risque de diminuer les moyens de défense du côté des bénéficiaires notamment des personnes interpellées.

Résultante

Plus nos polices de Droit civil disposent de pouvoirs et de rayonnement d’action, plus elles ont – et auront – besoin de moyens de régulation et d’arbitrage ainsi que d’organes de contrôle neutres et indépendants.

Deux polices, deux exemples

Je reviendrai à la rentrée sur deux initiatives exemplaires produites par la Police Région Morges et la Police Municipale de Crans-Montana. Ces deux polices comptent parmi les plus entrepreneuriales du pays. Toutes deux ont imaginé des outils de médiation ; l’une pour la régulation et l’appréciation la plus objective possible des contraventions et l’autre pour sa gestion du stationnement en zone de forte densité touristique.

Ces deux polices démontrent que l’augmentation des pouvoirs peut être régulée dans l’intérêt commun tout en privilégiant l’attention au plus faible.