Miroir de nos sociétés

« Miroir, ô mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle ? » disait chaque matin la reine de « Blanche neige » qui ne souffrait aucune concurrence…

La fable universelle nous rappelle combien il est vital de se confronter au reflet de la critique.

La police, baromètre de nos maux.

La police est le lieu de plusieurs ambivalences connues et répertoriées. Ces ambivalences conditionnent la critique et sa recevabilité. Deux, en particulier, méritent qu’on s’y penche.

1. La première, relative au niveau de sympathie. La police, en Suisse, est en tête de classement et recueille 7,9 points sur 10 dans le rapport de confiance que lui accorde la population. Devant la science, devant les tribunaux…

2. La deuxième, relative à ses pouvoirs. La police est dotée de deux pouvoirs exécutifs exceptionnels et exclusifs qu’aucun autre acteur social, et à la fois agent d’État, ne dispose dans l’espace public.

Pour autant, les interprétations vont bon train, infligent comparaisons hasardeuses et confusions. Critiquer quelques abus ou dysfonctionnements de nos polices ne plaît pas toujours… Il n’empêche que d’autres champs professionnels, privés ou publics, sportifs ou médiatiques, pour ce qu’ils sont, ont été contraints de progresser sous la critique. En police, ça passe mal. D’où le malaise, d’où l’ambivalence.

Pourquoi ?

– Parce que critiquer l’un ou l’autre traits d’une organisation de sanction et d’ordre, de plus est, plébiscitée dans les sondages de sympathie, est risqué… aux registres de sa carrière professionnelle publique et de la politique électoraliste.

– Parce qu’égratigner une corporation qui nous protège semble incongru, incompatible avec l’idéal du bien collectif que l’on se fabrique.

Les polices sont faites pour être critiquées.

Elles sont le lien à nos contradictions. Elles sont l’interface entre le “permissible” et l’interdit.

Leurs fabrications sociétales, inscrites dans les siècles, produisent l’exutoire de nos maux, de nos déviances et de nos criminologies. Les polices sont les antichambres de nos errances, celles que l’on visite à son insu mais le moins souvent possible.

Niveau de sympathie

Le résultat des mesures de confiance cité plus haut me réjouit.

Pour autant, dois-je faire fi des contours hermétiques de ces Corps clos ? Impénétrables, imperméables, dont rares sont les citoyens témoins de ce qui pourrait se tramer en leurs murs, en certaines circonstances. Celles et ceux, membres de l’appareil hiérarchisé, qui pourraient ou devraient (légalement) parler sont tenus au secret ; forme de sous-culture de la redevabilité que nous expliquent les sociologues depuis quatre décennies. Les progressions professionnelles des policières et policiers étant qualifiées par les pairs, elles et ils choisiront de se taire.

Les sondages de satisfaction sont donc, pour partie du moins, borgnes, sourds et muets.

Pouvoirs exceptionnels

Face à cette forme de repli sur soi, largement documentée, le Conseil fédéral, en 2003, suggère que des intervenants extérieurs aux polices puissent dessiner, forger et animer les cours comportementaux. Cours initiaux obligatoires et éliminatoires pour l’obtention du Brevet fédéral de policier. Pour cause…

Malgré ces considérants, cela va sans dire, nos instances policières emblématiques méritent le plus grand respect. Sans discussion.

Concrètement, des femmes et des hommes, en chair et en os, portent, lors de missions périlleuses, parfois au péril de leur vie, dans l’espace public, l’uniforme et la fonction de la plus grande légitimité civile qui soit en terre démocratique.

Ici, à cette jonction précise, entre droits et devoirs, mérites et contraintes, se joue et dénoue tous les enjeux de la profession policière. Enjeux encore trop peu élucidés, trop peu éprouvés, trop peu analysés. Comme ceux reflétés dans le miroir. Miroir qui nous renvoie notre image, notre actualité, que cela plaise ou non.

Il est donc nécessaire de traiter cette critique comme une véritable opportunité de changement.

Deux résolutions se profilent, invariablement :

1. Concevoir des formations continues, répondant au principe démocratique du rendre compte public, pour ne pas craindre l’exposition, le débat et la justification légitime et s’y préparer au mieux.

2. Créer un organe indépendant d’accueil des plaintes et d’enquête (avec prérogatives complètes de police), répondant au principe démocratique de la séparation des pouvoirs, à propos d’éventuelles exactions commises par les représentant.e.s des forces de l’ordre. Sujet sur lequel nous reviendrons lors d’un prochain post.

 

Forum. Exemple récent de création d’un service d’accueil des plaintes à Neuchâtel – RTS radio La 1ère du 25 janvier 2023.

Les Echos de Vacarme “Que fait la police ?” – RTS radio La 1ère du 22 janvier 2023.

Patti chiari. Reportage et débat télévisé du rapport des citoyens à leurs polices – RSI TV du 20 janvier 2023.

Frédéric Maillard

Frédéric Maillard, socio-économiste, accompagne les nouvelles gouvernances d’une dizaine de corporations policières suisses. De 2005 à 2015, il a analysé les pratiques professionnelles de 5000 agent-e-s. Depuis, il partage publiquement son diagnostic, commente l’actualité et propose des innovations. fredericmaillard.com

3 réponses à “Miroir de nos sociétés

  1. “Créer un organe indépendant d’accueil des plaintes et d’enquête (avec prérogatives complètes de police), répondant au principe démocratique de la séparation des pouvoirs, à propos d’éventuelles exactions commises par les représentant.e.s des forces de l’ordre. Sujet sur lequel nous reviendrons lors d’un prochain post.”

    Je suis contre.
    Pour cet organe, il faut du personnel.
    Pour que cet organe soit doté des prérogatives complètes des policiers, il faut du personnel policier.

    Il faut donc des policiers pour enquêter sur des policiers. Cet organe ne changerait dès lors rien à la situation actuelle.

    Ou il faudrait une formation policière pour enquêter sur la police, sans passerelle (souhait d’Amnesty). Et, là, je n’aurais aucune confiance dans l’indépendance de personnes qui s’engageraient dans une formation de policiers uniquement pour enquêter sur des policiers.

    Donc, là aussi, la situation actuelle est meilleure.

    Merci de m’avoir laissé exposer mon opinion.
    ❤️👮‍♂️👮‍♀️👮🥷

    1. Bonjour,

      Fort intéressant votre argument des effectifs.
      Je vous remercie de nous le partager.
      Vous avez raison, quant à l’exigence de compétences policières pour de telles enquêtes. Pourtant, nombre de policiers, en dehors de la pression de leur corporation produisent des innovations. Il y a les personnes physiques mais aussi les personnes morales (les corporations ou institutions). Les personnes physiques s’émancipent et doublent d’ingéniosité quand elles ne sont plus sous la coupe de leur corporation originelle. Par exemple, en Irlande du Nord, le service des plaintes et des enquêtes est indépendant, maintenant un lien avec le Ministère public. Il est composé d’environ 150 enquêteurs chevronnés. Ces derniers nous expliquent que le fait d’être hors sérail, leur offre une plus grande objectivité, une plus grande liberté. Ils peuvent aussi débuter des enquêtes sous leur propre initiative.
      Donc, mon opinion est la suivante. Les mêmes effectifs, d’une IGS (Inspection Générale des Services) par exemple, après quelques ajustements, peuvent transiter dans un service moral indépendant et extérieur avec de nouvelles prérogatives, un nouveau cadre et plus d’indépendance. La question de dotation des effectifs ne change pas, mais leurs affectations se métamorphosent, du tout au tout. Je dis souvent que le récipient ou le contenant conditionne les contenus.

      1. Merci de votre réponse.

        Je suis d’accord avec votre conclusion.

        Et, pourtant, je me satisfais de:


        Art. 63 Inspection générale des services

        1 Une inspection générale des services (IGS), administrativement rattachée au commandant, est notamment chargée des tâches de police judiciaire qui concernent les membres du personnel de la police.

        2 Les membres de l’inspection générale des services ne sont pas rattachés aux services de la police et ne sont pas subordonnés à sa hiérarchie.

        https://silgeneve.ch/legis/index.aspx

        Après, je peux comprendre qu’on crée un pôle d’inspection concordataire, avec un pool de policiers spécialisés romands.

        Ce que je conteste, vivement, ce sont les recommandations d’amnesty, qui exige un organe indépendant, avec des enquêteurs qui n’auraient jamais servi dans un corps de police.

        “(2007) Amnesty International recommande au canton de Genève l’adoption d’une véritable instance indépendante pour le dépôt et l’investigation des plaintes contre la police”

        https://www.amnesty.org/fr/wp-content/uploads/sites/8/2021/07/eur430012007fr.pdf

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