Une grande police sait perdre…

… pour gagner la paix.

(Le féminin est compris dans le texte – 2 minutes de lecture)

En marge des manifestations françaises, les conjectures comme les accusations pleuvent de tous bords, amplifiées par les réseaux sociaux. Face à cet enlisement, les polices ont le devoir de descalader les confrontations. C’est un devoir mais aussi une compétence autant professionnelle que démocratique.

Une compétence, précisément, que les manifestants n’ont pas le devoir de détenir. Les manifestants n’engagent pas l’État, ne le représentent pas formellement, ni ne détiennent l’exclusive habilité policière d’user de la force équipée, sophistiquée et proportionnée. Le comportement des manifestants est assujetti à la loi. Toute violence sera poursuivie et jugée.

Le manifestant est bénéficiaire de l’État. Il est une personne physique.

Le policier est détenteur de l’État. Il est une personne morale.

Perspectives et angles d’approche

Premier exemple…

1. Lorsqu’un policier verbalise et sanctionne un automobiliste en infraction, il n’exprime pas de l’acharnement contre ce dernier, contrairement aux apparences – sachant que tout un chacun, y compris le policier lui-même, peut commettre une irrégularité et enfreindre la loi sur la circulation routière -. Tout au contraire, le policier, par sa contravention, libère le plus grand nombre, facilite la fluidité des autres automobilistes éventuellement incommodés qu’ils ont été par la gêne ou l’entrave de celui qui fut appréhendé. L’intention du policier est orientée par le bien communautaire et non par la personne en infraction. Points de vues diamétralement opposés !

Deuxième exemple…

2. Dans la poursuite d’une personne en fuite, suspecte de cambriolage, le policier renoncera à sa course (toute sirène hurlante) si celle-ci risque de provoquer un danger imminent pour les passants (familles avec enfants) d’une rue piétonne par exemple. Il appellera des renforts pour se faire relayer sur des routes à faible densité ou développera une autre tactique afin de préserver la sécurité du plus grand nombre. Quant au suspect présumé, de nouvelles opportunités se présenteront dans le cours de l’enquête, l’audition des témoins et la récolte des indices. Tout bon policier saura tisser le filet judiciaire, avec ou sans l’appréhension de l’individu.

Alors, qu’en est-il de l’intention de certains policiers, dans les cités françaises, à vouloir charger tel ou tel manifestant au détriment du bien commun ?

Quel discernement démocratique exige-t-on d’eux ?

La mission ultime du policier civil est de préserver la paix,

quitte à rebrousser chemin ou à consentir une défaite.

Savoir perdre avec honneur, renoncer à une charge physique, en temps de paix, comme autant d’ambitions maîtrisées et savamment distillées qui invitent (obligent) nos polices à développer des ingéniosités respectueuses des individus, durables et perspicaces, et qui préviendront aussi leurs fatigues chroniques, leurs traumatismes post-interventions et leurs cassures professionnelles.

Ennemi ou adversaire ?

 

(Photo Ludovic Marin – AFP)

Faire de l’autre, résident, citoyen, migrant, touriste, aux revendications, contrariétés ou débordements hostiles un adversaire momentané et non un ennemi.

 

Les violences policières sont le reflet d’un échec : éditorial Le Monde du 11 janvier 2020

Rapport de l’ONG française ACAT – mars 2016 – L’ordre et la force, enquête

Infographie pratique sur les conditions de l’usage de la force, 2019

Frédéric Maillard

Frédéric Maillard, socio-économiste, accompagne les nouvelles gouvernances d’une dizaine de corporations policières suisses. De 2005 à 2015, il a analysé les pratiques professionnelles de 5000 agent-e-s. Depuis, il partage publiquement son diagnostic, commente l’actualité et propose des innovations. fredericmaillard.com

5 réponses à “Une grande police sait perdre…

  1. Il doit être assez difficile pour un policier de rester calme quand il a affaire à un groupe qui provoque, insulte, cherche la confrontation. Quand quelques-unes de ces personnes dans le groupe sont arrêtées, le policier peut déposer plainte pour l’atteinte qu’il a subie. Les autres qui suivent leurs leaders ne sont pas inquiétés et ils reviendront. Je comprends qu’une aversion puisse se développer, et ne pas contribuer à considérer que celui ou ceux qui sont en face sont des « adversaires momentanés et non des ennemis ». Une « grande police » doit savoir bâcher régulièrement, dans l’intérêt public ? Dans les cas que je cite, j’estime que non. Ce sont ces mêmes groupes d’immatures qui, à d’autres occasions, maltraiteront des gens qui ont le tort d’être assimilés à l’image d’autorité qu’ils détestent. Et pas même besoin que les personnes présentes ou croisées « jouent à la police ». Les passagers dans le wagon pour Genève, à six heures du matin, l’avaient compris quand un groupe de trentenaires éméchés avaient commencé à gueuler, taper des pieds, insulter chaque femme qui passait. Personne n’avait osé faire une remarque, nous avions « bâché » aussi, dans notre intérêt… Ma conclusion est que le policier doit souvent faire preuve de réserve, non pas dans l’intérêt commun, mais plutôt parce que les moyens qui permettraient d’emmener, garder ces personnes, les auditionner puis les dénoncer afin qu’elles soient jugées ne sont pas financés en rapport. C’est un abandon obligé qui rend honneur à ces groupes qui finalement se défoulent presque légalement. Nous sommes bien loin du comportement policier souhaité à juste titre dans le cas du parcage sans gêne qui dérange tout le monde. Les cas extrêmes pour leur légèreté, ou à l’opposé présentant un sérieux danger, ne permettent pas de définir le comportement à suivre comme s’il y avait un curseur entre les deux. L’évaluation que l’on attend du policier n’est pas applicable quand les moyens après lui ne sont pas appliqués en pratique. Demander à un policier d’être idéal dans un système global à l’abandon est assez hypocrite, on attend de lui qu’il continue à courir en restant calme pour être un vrai professionnel. Alors il faudrait fournir également aux juges de plus grands bureaux pour y poser leurs surplus de dossiers, afin de pouvoir les consulter calmement sans être pressés.

    1. Bonjour Dominic,

      vous pensez bien que je plaide le retrait ou le “savoir perdre” uniquement lorsque les dégénérescences l’emportent – par enchaînement de violences ou dépit des policiers – sur la maîtrise des individus ou des groupuscules fauteurs de troubles.

      Il n’est pas question, pour les polices, de capituler devant les menaces ou les incivilités ni de présenter des signes d’abandon de l’espace public, sauf, précisément lorsque les débordements sont tels qu’ils entraînent les polices à se comporter de la même façon que les voyous; à produire de la guerre en situation de paix…

  2. La France, lâche s’il en est peu comme peu, n’a aucune excuse de tirer des balles de caoutchouc de 20mm dans les yeux des manifestants, les suisses non plus d’ailleurs, et même si la géniale invention est suisse, comme quoi, la Suisse reste la Suisse, cette perfide Albion 🙂

    Le reste n’est que conjecture sur la planète et la France va faire face à une seconde révolution.
    La Suisse aussi, qui commence à baisser ses frocs devant des insoumis climatiques!

    2020, l’année où le monde va imploser, vous allez voir 🙂

  3. Bonsoir,
    @Frédéric Maillard,
    Je vous suis depuis plusieurs années, merci de votre travail, de vos points de vue et d’éclairer notre lanterne. Voyageant régulièrement aux US, j’apprécie d’autant plus les règles de comportement dont nos polices sont dotées, même si certains de ses membres rêvent parfois de jouer les rambos – on l’a encore vu il y a quelques jours au tribunal avec les assistants de sécurité.
    Puis-je vous faire une demande ? pourriez-vous de temps en temps renverser la proposition “Le féminin est compris dans le texte” en écrivant “Le masculin est compris dans le texte”. Si j’ai bien compris, la primauté de l’un sur l’autre date des Lumières.

    @Dominic: à moins d’être absolument seul.e dans le wagon, c’est dommage de bâcher face à un groupe de gens stupides. OK, il faut évaluer la situation avant de se lancer. Expérience faite, que ce soit avec des ados, M ou F, des jeunes adultes ou des adultes avinés, je ne me suis jamais fait cogner et j’ai souvent obtenu la paix et la cessation du trouble. Trouver un ou deux alliés dans le wagon, Y aller calmement et assurément – on bénéficie de l’effet de surprise -, on comprend leur joie (départ en vacances, anniversaire,) ou leur besoin de faire la fête, mais expliquer toujours que leur comportement nous dérange, si besoin les interroger sur leur propre comportement (êtes-vous content de vous ?), ne pas crier, ne pas hurler – le secret est je crois d’aller les voir avant d’être complètement énervé soi-même – puis remercier de leur écoute, remercier pour le calme qui va revenir et retourner à sa place. Conclure éventuellement un “contrat” : vous pouvez être un peu bruyant, mais vous n’embêtez plus les femmes qui passent.
    Dominic, vous n’êtes pas obligé de me croire. Pendant longtemps j’ai fui ce genre de problèmes – et les autres. Puis l’âge venant, j’en ai eu assez et je me suis habituée à faire face. Et j’ai été très surprise de constater que ça fonctionne plutôt bien. Même de mieux en mieux: la soixantaine et les cheveux gris semblent être une aide précieuse.
    Belle soirée

    1. Bonsoir Marie,

      je vous remercie pour votre gentil message et votre éclairage. Précieux. Le meilleur à vous, Frédéric

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