Et les victimes, Madame Métraux ?

Madame Métraux, votre prestidigitation sur le plateau de l’émission Forum de la Radio RTS la 1ère du 2 juillet passé (2019) me choque. Le plus grave : votre discours ne porte aucune attention aux victimes des dysfonctionnements de l’Académie de Police de Savatan (APS).

En guise de réaction tardive à l’étude (effectuée en 2017) de Madame Dominique Felder, sociologue, vos efforts de dissimulation sur le plateau de Forum sont ambivalents.

Vous tournez autour du fût.

Il en ressort trois incohérences, une passivité et un abandon, celui des victimes.

Incohérences

1.- Vous saviez et connaissiez l’usurpation militaire de ladite académie, dites-vous, mais avez néanmoins commandé cette étude ?

2.- Vous ne vouliez pas retenir au secret cette même étude mais la RTS a dû engager une procédure jusqu’à la décision du Tribunal afin de l’obtenir ?

3.- Vous attribuez l’excellence de la formation – telle que qualifiée par les personnes interrogées dans cette étude – à l’APS alors que le programme (contenus et exigences) du Brevet fédéral ne dépend pas de l’APS mais de l’Institut Suisse de Police (ISP) ? Et c’est pareil pour les six centres régionaux de formation de police de Suisse. Je ne connais aucun concessionnaire automobile qui s’attribue la fabrication des véhicules qu’il représente.

À vrai dire, Madame Métraux, le seul aspect épargné par les critiques négatives de l’étude en question n’est pas de la responsabilité de l’APS. C’est fort de pinard.

Lors de cette interview surnaturelle, vous vantiez la qualité d’un vin faisant mine d’ignorer la contamination des fûts. La fameuse inversion du contenant en contenu. Vous devriez interroger le précédent directeur de l’ISP, ancien commandant de police, pour connaître la nature de cette contamination.

Passivité

Le 14 décembre 2015, à l’invitation d’une Députée représentante de la Commission de gestion du Grand Conseil valaisan, j’accompagnais Madame Noelia (Aradas) Miguel, psychologue dépositaire confidentielle d’un rapport de dix-huit témoignages et quarante pages, pour rencontrer le Président du Conseil de direction de l’APS de l’époque, Monsieur Oskar Freysinger, Conseiller d’État. Nous étions assistés de deux Députés cantonaux témoins, femme et homme, issus de deux partis distincts. Tout comme le secrétaire général du Département concerné, avocat et docteur en droit, également présent, les élus se sont insurgés face aux révélations, qualifiant leurs teneurs d’inhumaines et d’insoutenables. Quelques jours plus tard, par voie directe et l’entremise d’un huissier, Monsieur Freysinger vous a fait parvenir ledit rapport afin que vous vous déterminiez, sachant que le directeur de l’APS dépend de votre administration. Vous avez reconnu dans l’émission RTS mise au point du 10 juin 2018 avoir pris connaissance du rapport en question… soit trente mois plus tard, devant la caméra et sous l’insistance d’un journaliste ?

Abandon des victimes

Les médias ont également publié de nouveaux témoignages authentifiés et circonstanciés. De plus et à ma connaissance, au moins une plainte pénale si ce n’est deux (contrairement à ce que vous affirmez, Madame Métraux, dans l’émission mise au point du 10 juin 2018), des questions et interpellations écrites (au moins trois) de députés de tous partis (de droite et de gauche) et de deux cantons, d’autres dossiers, des rapports médicaux, au moins un constat d’assurance ont été déposés – depuis 2012 et de façon ininterrompue – auprès des instances officielles et des Corps de polices concernés. Durant tout ce temps vous n’avez pas daigniez recevoir Madame Miguel, ni aucun des nombreux témoins mentionnés, aucune des deux dizaines de victimes recensées à ce jour (il s’agit certainement que de la pointe de l’iceberg) ni vous vous êtes inquiétée de la véracité des contenus, de la réelle implication de vos employés policiers, qui, pour certains, œuvrent sans relâche depuis dix ans à l’investigation, à l’analyse et à la consignation des faits relatés – telles sont d’ailleurs leurs obligations assermentées -, ne supportant plus le contre-exemple qui annihile leur vocation d’agent public. Une quarantaine d’entre eux se sont insurgés, ont questionné leurs hiérarchies par écrit, ont dénoncé la mascarade des questionnaires de satisfaction auxquels les aspirants soumis ne peuvent que répondre favorablement, plusieurs ont démissionné (combien ?). Des ressortissantes, femmes surtout, fraîchement brevetées avec d’excellentes qualifications ont quitté subitement leur profession de policière à peine arrivées en poste tant les souffrances et les traumas endurés à l’APS étaient devenus insupportables à leurs cauchemars. Je n’évoque pas, ici, les congés maladie de longue durée, ni leurs coûts. Vous devriez également vous inquiétez de l’état de santé du personnel de l’APS et précisément de ceux en charge de l’encadrement de la formation de base.

Une telle radiographie vous serait utile avant de prescrire des tranquillisants placebo ou de commander des questionnaires bidons et contestés de tous.

Vous attendiez votre nomination à la présidence du Codir de l’APS, précisez-vous encore dans l’interview radio… est-ce à dire qu’une ministre cantonale est impuissante jusque-là ? Inquiétant.

Finalement, vous annoncez avoir créé un colloque ministériel (politique) en plus des autres organes existants.

Je constate que vous disposez d’importants moyens pour rajouter de nouvelles couches qui, connaissant les caves de vinification de Savatan, vont renforcer l’opacité au lieu de résoudre les maux systémiques. Aucun changement, aucune guérison ne s’effectuent, Madame Métraux, vous devriez le savoir, sans la reconnaissance avouée des causes et des responsabilités.

Sommes toutes, vous avez de la chance, Madame Métraux, de présider une APS avec autant d’utopie car les victimes, elles, sont toujours enfermées dans leur passé. Des policiers et policières – ou ex-policières – qui devraient, à l’heure où je vous écris, recueillir les plaintes d’autres victimes dans le meilleur service possible à nos populations.

Le monde à l’envers.

Le monde à l’envers

Finalement, vous savez, je me contrefous des colosses au pied d’argile et des autruches politiques. Depuis la nuit des temps et l’histoire des humains, leurs sorts autant que leurs chutes sont inéluctables. Mais, sachez une chose, Madame Métraux, que je n’accepterai jamais de la part de toute police d’état de droit et de toute autorité politique démocratique un tel déni de la parole des victimes.

Recommandation de lecture : Rébecca. Le pouvoir du silence. 2019. Georg éditeur

Frédéric Maillard

Frédéric Maillard, socio-économiste, accompagne les nouvelles gouvernances d’une dizaine de corporations policières suisses. De 2005 à 2015, il a analysé les pratiques professionnelles de 5000 agent-e-s. Depuis, il partage publiquement son diagnostic, commente l’actualité et propose des innovations. fredericmaillard.com

4 réponses à “Et les victimes, Madame Métraux ?

  1. Un vitrail, des vitraux;
    Une mitraille, des métraux?

    Les fûts sont de chêne, mais la langue n’est pas de bois, sûr
    🙂

    1. C’est sûr Olivier. La société civile a aussi son mot à dire quant le politique se moque de nous.

      1. J’adore le parler vrai et Madame Métraux a toute latitude et longitude pour vous répondre ici.
        Et d’ailleurs, profitons-en.

        Ce média n’est plus romand, ni même suisse depuis lurette et apparemment vendu à un groupe américain, alors, entre les lobbyistes et autres politiques vendant leur camelote US (ou UE, ce qui revient au même) et la liberté d’expression, le temps nous est compté avant de prendre le maquis 🙂 🙂 🙂

        1. Point nouvelles de Dame Métraux, cher Frédéric?
          N’en suis point fort surpris, les vaudois sont schizophrènes.

          Oui, ils vendent tout leur magnifique patrimoine avec leurs avocats du PLR et élisent des nunuches d’on ne sait pas où, même pas suisses et favorisant l’émigration!

          P.S. Je les connais un peu, pour les avoir fréquenté bcp,ces pseudo fils de Gilles
          🙂

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